Le salon de l'Agriculture rouvre ses portes sur fond de révolution du secteur agricole

Après une année exceptionnelle de fermeture due au Covid-19, le Salon international de l'agriculture (SIA) 2022 ouvre ses portes ce samedi. L'occasion pour le secteur agricole de sensibiliser les Français et les politiques aux nombreux défis auxquels il est confronté. Transition écologique, produits bio, rémunérations des agriculteurs...., La Tribune détaille les grands défis de la filière.
Giulietta Gamberini
Au-delà des difficultés économiques, le principal défi auquel est confrontée l'agriculture française est la nécessité d'une profonde transition écologique, condition du maintien de la confiance de consommateurs de plus en plus sensibles à la protection de l'environnement.
Au-delà des difficultés économiques, le principal défi auquel est confrontée l'agriculture française est la nécessité d'une profonde transition écologique, condition du maintien de la confiance de consommateurs de plus en plus sensibles à la protection de l'environnement. (Crédits : Reuters)

Selon ses organisateurs, c'est l'occasion des retrouvailles. Après deux ans, le Salon de l'agriculture, annulé exceptionnellement l'année dernière à cause de la pandémie de Covid-19, rouvre ses portes à Paris. Un rendez-vous capital pour les quelque 400.000 agriculteurs de France, confrontés à un nombre croissant de défis qu'ils espèrent faire comprendre aux Français et voir intégrés dans les préoccupations des candidats à la présidentielle.

A la reconquête de la souveraineté alimentaire

Celui sur lequel la profession, et depuis la pandémie aussi le ministère de l'Agriculture, mettent le plus l'accent, est la reconquête de la "souveraineté alimentaire nationale". Les produits issus de l'agriculture et de l'agroalimentaire français représentent le troisième poste excédentaire de la balance commerciale de la France, derrière l'aéronautique et l'industrie chimique et cosmétique. Mais non seulement cet excédent est en recul depuis une quinzaine d'années. Surtout, il est essentiellement porté par les vins et spiritueux ainsi que par les céréales.

Environ 20% de la consommation alimentaire des Français est ainsi importée, et ce taux dépasse 50% pour les fruits et légumes. En 2021, les importations de volailles ont atteint 38%: trois points de plus qu'en 2019. Et dans la restauration hors domicile, "trois poulets sur quatre sont d'origine étrangère", regrette le comité interprofessionnel du poulet de chair (CIPC). Si la géographie et la spécialisation de l'agriculture française expliquent une partie de ces importations, elles sont aussi souvent dues aux écarts des prix, découlant des écarts des coûts de production, à leur tour dépendant partiellement de l'application en France de normes sociales et environnementales plus exigeantes.

Lire: Coronavirus: vers quelle souveraineté alimentaire dans le monde d'après?

L'exécutif d'Emmanuel Macron a mis en place diverses mesures et stratégies afin de corriger le tir. Un décret adopté fin janvier impose ainsi, à partir du 1er mars, l'étiquetage obligatoire de l'origine de toutes les viandes -et non plus seulement de celle de boeuf- servies hors domicile. Les éleveurs espèrent que l'interdiction sera étendue aux viandes transformées et élaborées. Fin février, un arrêté a encore interdit d'importer les viandes et les produits à base de viande issus d'animaux ayant reçu des antibiotiques comme activateurs de croissance: une pratique interdite dans l'Union européenne.

Plus globalement, parmi les priorités de la présidence française de l'Union européenne, figure le respect de la réciprocité des normes appliquées aux produits importés: un enjeu d'autant plus crucial que l'Union européenne compte, dans le cadre de son Pacte vert, renforcer davantage ses exigences environnementales applicables à l'agriculture. La France promet notamment de soutenir l'introduction dans les traités de commerce international de "clauses miroirs", imposant aux partenaires commerciaux les mêmes normes sanitaires et environnementales sur les biens échangés.

A la recherche de prix assurant une rémunération décente

La compétition avec les aliments importés, combinée avec la guerre des prix entre grands distributeurs, oblige en effet aujourd'hui les agriculteurs français à vendre leurs produits à des prix bradés, souvent même inférieurs aux coûts de production, en les empêchant souvent de trouver un modèle économique viable sans aides et subventions publiques -notamment sans les neuf milliards d'euros annuels issus de la politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne, dont la France est le premier bénéficiaire. Les conséquences sont parfois dramatiques: selon l'Insee, 18% des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté, contre 13% pour l'ensemble des ménages ayant des revenus d'activité. Certaines filières sont particulièrement affectées: chez les éleveurs bovins, la pauvreté atteint 25%.

Pour la profession, une revalorisation de l'alimentation permettant une rémunération décente est donc depuis quelques année l'autre mère des batailles. Le gouvernement a pris le sujet en main dès 2017, avec le lancement d'Etats généraux de l'alimentation ayant abouti, en 2018, à une première"loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous", dite "Egalim". Afin d'inverser le mécanisme de construction des prix, elle prévoyait que les contrats et les prix associés destinés aux transformateurs et aux acteurs de la distribution soient désormais proposés par les agriculteurs en prenant en compte des indicateurs des coûts de production. N'ayant pas atteint ses objectifs, une loi "Egalim 2" a toutefois due être adoptée en 2021. Mais malgré son caractère plus contraignant, elle peine encore à s'imposer dans les négociations commerciales, au point que certains acteurs évoquent déjà la nécessité d'une "Egalim 3".

Lire: Grande distribution : à quelques jours de la date butoir, les négociations commerciales avec les fournisseurs dans l'impasse

Un métier de moins en moins attractif

L'amélioration de la rémunération des agriculteurs est essentielle afin de répondre à un autre défi fondamental de l'agriculture française: la diminution progressive du nombre des agriculteurs français. Selon le dernier recensement, dont les résultats non définitifs ont été publiés en décembre par le ministère de l'Agriculture, la France métropolitaine comptait en 2020-2021 389.000 exploitations agricole. Elles ont diminué de presqu'un cinquième depuis 2010, et sont quatre fois inférieures à 1970.

Puisque presqu'un exploitant sur six est âgé de 50 ans ou plus, la question du devenir des fermes et de l'attractivité du métier est donc sensible. En 2020, selon des chiffres rapportés par l'AFP, le taux de remplacement a été de 76,5%, le nombre de départs dépassant les nouvelles installations. Selon la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), ces dernières ne cessent de reculer.

La baisse du chômage en France rend en outre le métier d'agriculteur de moins en moins attractif aussi pour les salariés, permanents ou saisonniers, et ce malgré une hausse de plus de 4 % de la grille nationale des salaires minimum sur les 12 derniers mois, s'inquiète le principal syndicat agricole français, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea). En 2020, un million de personnes ont été employées dans les fermes françaises, dont plus de 600.000 saisonniers.

Un secteur à décarboner

Au-delà des difficultés économiques, le principal défi auquel est confrontée l'agriculture française est la nécessité d'une profonde transition écologique, condition du maintien de la confiance de consommateurs de plus en plus sensibles à la protection de l'environnement. Il s'agit tout d'abord de décarboner un secteur qui produit 85 millions de tonnes équivalent CO2 chaque année, représentant 19% des émissions de gaz à effet de serre (GES) nationales. Pour ce faire, le gouvernement mise sur une stratégie, approuvée par les agriculteurs: "concilier les valeurs environnementale et économique", plutôt que multiplier les contraintes. Il promeut notamment, au niveau national comme dans l'Union européenne, les "labels bas carbone": des outils de certification des projets de réduction des émissions et de séquestration de carbone fondés pouvant être financés par les entreprises qui veulent compenser leurs émissions incompressibles.

Lire: Les "labels bas carbone", le pari du gouvernement pour décarboner l'agriculture

L'exécutif actuel, ainsi que les agriculteurs, reposent aussi beaucoup d'espoirs dans la "troisième révolution agricole", à laquelle Emmanuel Macron a consacré un milliard d'euros dans son plan France 2030. Il s'agit de promouvoir les nouvelles technologies robotiques, numériques et génétiques susceptibles de réduire l'empreinte carbone de l'agriculture ainsi que son utilisation de produits phytosanitaires et d'engrais, tout en maintenant voire en améliorant les niveaux de production actuels. La Fnsea ne perd en effet aucune occasion de le revendiquer: l'agriculture française doit continuer de produire massivement, pour nourrir non seulement sa population, mais aussi la planète. Un enjeu qui prend une dimension géopolitique inédite depuis le début de la guerre russe en Ukraïne.

Lire: « Avec l'arme militaire, la Russie détient l'arme alimentaire » Henri Biès Peré, FNSEA

Une filière bio dans l'incertitude

En France, la transition écologique de l'agriculture est toutefois aussi portée par le bio, qui fin 2020 couvrait 9,5% de la surface agricole utile française, soit 2,5 millions d'hectares sur 26,7. La France voudrait atteindre 18% en 2027, alors que l'Union européenne vise, dans la cadre de sa stratégie "De la ferme à la fourchette", 25% en 2030.  Mais bien que le nombre de fermes se tournant vers l'agriculture biologique ne cesse de croître (6.000 nouvelles en 2020, portant le total à plus de 53.000), le gouvernement a reconnu que l'objectif d'atteindre 15% des surfaces en bio en 2022 ne sera pas atteint.

Et le marché, qui pendant des années a soutenu ce mouvement par une croissance à deux chiffres des ventes de produits bio, vient désormais lui mettre les bâtons dans les roues: en 2021, en valeur, les ventes ont baissé de 3,1% par rapport à 2020, en créant la panique chez les producteurs, qui ne savent plus comment se projeter dans les années à venir.

Lire: Aliments bio : après des années de croissance, la consommation baisse

Des catastrophes de plus en plus fréquentes

Gros émetteur de GES, le secteur agricole est enfin aussi de plus en plus frappé par le changement climatique, qui perturbe le cycle hydrique en rendant les événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents. En 2020, une réflexion autour de ces défis a été lancée par le ministère de l'Agriculture,  dans le cadre du "Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique", qui s'est conclu le 1er février.

Lire: Eau : le gouvernement veut pousser l'agriculture à s'adapter au changement climatique

Elle a notamment abouti à l'adoption, le 24 février, d'une réforme de l'assurance récolte attendue de longue date par le monde agricole. Il créé un "régime universel d'indemnisation" à trois étages, en fonction de seuils de pertes: un premier relevant de l'agriculteur; un deuxième de l'assureur et un troisième de l'Etat. Le gouvernement veut qu'elle soit opérationnelle dès 2023.

Lire: Aléas climatiques: le gouvernement veut un système d'assurance plus protecteur pour les agriculteurs

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 26/02/2022 à 18:47
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"Un rendez-vous capital pour les quelque 400.000 agriculteurs de France" Donc en 2062 ,il n'y en a plus puisque l'autre article évoque 100.000 de moins tous les dix ans.

à écrit le 26/02/2022 à 16:42
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On ne peut pas concevoir un progrès dans "l'agriculture" avec des innovations technologiques mais simplement avec "le respect du vivant"!

à écrit le 26/02/2022 à 8:58
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Surveillez le maïs, s'ils réduisent fortement leur production de ce produit qui sert d'autres intérêts que l'alimentation vu que la part consommé du français en maïs est ridicule, c'est que peut-être qu'il s'est passé un truc dans leurs cerveaux mort...

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