Du chasseur-cueilleur à la ferme digitale : une histoire de l'agriculture

Du chasseur-cueilleur à la ferme digitale en passant par la paysannerie et l’exploitation agricole, de la faux à la moissonneuse-batteuse en passant par la charrue, l’agriculture a évolué au fil des siècles et des progrès technologiques avec pour seul mot d’ordre : nourrir l’humanité. Une histoire intimement liée à celle de l’alimentation. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune, une édition consacrée à l'agriculture et l'alimentation, actuellement en kiosque)
(Crédits : Istock)

Au commencement, il y a, comme souvent, un changement de paradigme. De 14 000 à 7 000 avant J.-C. se produit la première révolution agricole. De chasseurs-cueilleurs, les premiers hommes deviennent progressivement des agriculteurs-éleveurs. Cela paraît peu signifiant, mais il s'ensuit un bouleversement qui changera, à jamais, le destin de l'humanité. Au cours de ce processus long de plusieurs millénaires, les hommes du Néolithique vont se sédentariser peu à peu, se regrouper en de petites communautés au sein desquelles ils vont cultiver la terre et domestiquer des animaux. C'est ainsi que naît l'agriculture qui, plus loin encore que le simple fait, pourtant essentiel, de nourrir les hommes, va également leur permettre de socialiser, de croître et de progresser. Et l'on comprend alors, même si l'art n'en est qu'à ses balbutiements, combien l'agriculture fait système et comment elle constitue une norme qui organise la vie sociale. En d'autres termes, combien elle est, intensément et intrinsèquement, économique et politique ! Encore aujourd'hui on peine à comprendre comment l'homme invente précisément l'agriculture. Plusieurs thèses sont avancées, dont celle d'une soudaine montée des températures à l'échelle du globe, mettant fin à une longue période d'ère glaciaire. À la suite de la fonte des glaces auraient alors poussé des céréales sauvages qui sont découvertes par hasard avant que l'homme n'ait l'idée d'en récupérer les graines pour les semer. Dans un même réflexe, et d'une curieuse concordance, sur tous les continents, on s'empare de variétés locales (du maïs en Amérique, du sorgho en Afrique, du blé au Proche-Orient, du riz en Asie) pour n'en sélectionner que les meilleures tiges, les meilleurs grains et épis. Et voilà que la géographie et les paysages se transforment. Pour cultiver, l'homme du Néolithique a besoin d'espace. Mais à cette époque, la forêt est partout. Que faire ? Pour créer des champs, on abat des arbres, on brûle des forêts. « C'est la technique des abattis-brûlis, on abat à la machette, puis on brûle. Cela se pratique depuis le Néolithique et, encore aujourd'hui, c'est la première forme d'agriculture dans l'histoire, à côté des élevages pastoraux. Une forme qui continue d'exister. Mais le processus est long. Largement imparfait » précise Marcel Mazoyer, ingénieur et successeur de René Dumont à la tête de la chaire d'agriculture comparée de l'Institut national agronomique. C'est ainsi que l'Europe demeure, pour quelques siècles encore, un territoire vierge. Avant de céder lui aussi à cette révolution inédite dans l'histoire de l'humanité. Des fèves, des lentilles, des pois mais aussi des céréales telles que l'orge, le blé ou le millet sont mises à contribution, testées, plantées, replantées. Reste que pour l'heure les rendements sont faibles et l'on cultive d'abord pour soi, sans grande possibilité de stocker ni d'exporter le fruit des récoltes. Mais tout va changer au cours de l'Antiquité.

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Du Croissant fertile à Rome, contours d'une Antiquité agricole

Si l'on identifie bien Athènes et Rome comme des phares de civilisation ayant permis des avancées majeures dans les domaines des arts, des lettres et de la philosophie, on méconnaît souvent leur maîtrise précoce des systèmes agricoles. Celle-ci, couplée à une stratégie de planification économique, aura permis à l'élevage comme aux cultures de se développer partout dans le bassin méditerranéen. C'est ainsi que l'on peut écrire sans ciller que les bases économiques des civilisations antiques furent presque exclusivement agricoles. L'Égypte n'est pas en reste. Le long du Nil, si la production des céréales (froment et orge) et du lin était prédominante, la vigne, le papyrus et les cultures maraîchères se sont également développées rapidement. Et puisque l'agriculture dans son ensemble est le souci premier, c'est bien toute la société égyptienne qui s'organise pour permettre à ses paysans et ses éleveurs de produire les denrées nécessaires. En Égypte, il a été mis au point un système complexe d'irrigation permettant de maîtriser l'eau dans l'objectif de moins dépendre de l'aléa climatique, en l'occurrence des périodes de sécheresse. Ce souci sera constant, au point de prendre, tout au long de notre Histoire et sur toute la surface du globe, la forme d'une véritable angoisse existentielle. Une angoisse qui perdure aujourd'hui encore, en dépit des immenses progrès techniques et technologiques.

Ce que nous explique le sociologue et prospectiviste Jean Viard, expert des questions agricoles.« Pour mieux comprendre les particularités de la vie paysanne, il nous faut un moment les regarder du point de vue de ses différences de rythme par rapport à la société urbaine dominante. Car, par définition pourrait-on dire, la population paysanne vit souvent à contre-rythme du rythme général. Les rythmes saisonniers, la force imprévisible du climat et de la météorologie restent son lot quotidien au cœur d'une société qui a beaucoup investi pour s'autonomiser des dimensions climatiques - et qui se retrouve d'ailleurs fortement dépourvue dès que le climat sort des prévisions ordinaires moyennes de Météo France. La société urbaine s'est d'une certaine manière construite pour se libérer de l'aléa du climat. »

Retour au contexte antique. Il n'y avait alors pas que les Égyptiens pour chercher à maîtriser et canaliser les caprices du temps. En Mésopotamie, grâce notamment à l'invention et au perfectionnement d'outils en fer, la fertilité du sol qui produisait deux récoltes annuelles, faisait l'admiration d'Hérodote. Au point que l'on venait alors, de tout le monde connu, observer et chercher à comprendre les secrets du Croissant fertile. On ne tarde pas à comprendre qu'avec toute la bonne volonté du monde, l'homme ne peut rien à grande échelle s'il n'est pas aidé par des outils. L'araire fait ainsi son apparition en Mésopotamie au ive siècle avant J.-C. : tracté par un animal, il gratte le sol afin d'aérer et d'ameublir la terre. En Grèce, le sol de qualité médiocre imposait le recours à l'assolement biennal. Dans la Rome antique, on recourt au drainage et à l'irrigation. On invente le moulin à eau permettant de substituer à la force musculaire de plusieurs travailleurs la puissance de l'énergie hydraulique. En Gaule, dès le iiie siècle avant J.-C., certains progrès techniques permettent le développement de l'agriculture : le marnage (enrichissent les sols limoneux acides jusque-là infertiles et incultes), le développement des systèmes de culture attelés et l'invention de la faux. Si toute cette aide est évidemment la bienvenue, les rendements demeurent faibles et l'élevage peine à enregistrer de progrès significatif. Mais les territoires évoluent encore. On notera, à ce titre, la division de l'espace en plusieurs parcelles, depuis le centre d'exploitation (ager, le champ et hortus, le jardin) jusqu'aux pâturages et sa frontière ultime, la forêt (silva) constituant les espaces les plus lointains, les plus sauvages aussi.

Le serf du Moyen Âge, ou la naissance de la condition paysanne

La période qui s'ouvre ensuite, pour la paysannerie, n'est pas rose. Loin de là ! Pour la décrire, Michelet avait coutume de s'écrier « Voilà mille ans de douleurs ! » et s'empressait d'évoquer ensuite le martyrologe de ce que l'on avait coutume d'appeler « la dernière classe du pays ». Le constat que dressent les spécialistes de l'agriculture au Moyen Âge a longtemps été douloureux. Dans son Histoire des paysans de France, l'historien Gérard Walter résume : « Lourdement imposés par la capitation romaine, réduits par l'envahisseur germain à l'état de servage, affranchis de force si le seigneur ou le roi avait besoin d'argent, rétablis dans leur servitude s'il plaisait à leur maître, leurs révoltes étaient toujours détournées de l'objectif précis de résistance à l'impôt par quelque aventurier qui les utilisait à son profit, puis laissait massacrer par les soldats ces gens armés seulement d'un bâton ». Surtout, l'auteur ne fait pas l'impasse sur les brimades et autres humiliations répétées, qui dégénérèrent plus tard en jacqueries en France mais aussi dans toute l'Europe : « Ils durent aussi entretenir de leurs deniers une armée qu'ils détestaient, subir les charges que multipliaient des fonctionnaires fiscaux zélés, enfin se laisser affamer, alors qu'ils récoltaient le grain, par des spéculateurs tolérés par le roi. Tant d'insécurité, de misère et de haine accumulées durant des générations les conduisirent à la fois à la rédaction judicieuse des cahiers de doléances et aux violences vengeresses contre les châteaux ». La situation est-elle si sombre ? Plutôt. L'accroissement de la population dans les campagnes coïncide avec un mouvement de diminution de la taille des parcelles entraînant une paupérisation générale. Mais c'est surtout le système humain qui se noue autour de l'agriculture à cette époque qui fait du Moyen Âge une époque noire pour la paysannerie. À côté des « vilains » qui sont libres et jouissent d'une relative liberté de déplacement, une classe corvéable à merci apparaît : ce sont les « serfs », esclaves de leurs seigneurs de pères en fils. Libres ou pas, les paysans doivent à leurs seigneurs, en plus du travail agricole, une série de corvées et des impôts parfois écrasants. Malgré tout, on progresse réellement après l'an mil. D'abord grâce aux outils, de leur fabrication à leur démocratisation : faux, chariots, tombereaux, herses, seaux, tonneaux et roues cerclés de fer voient leur utilisation se généraliser. On rationalise aussi les techniques agricoles et les méthodes d'élevage. On recourt au fumier que l'on épand ensuite comme engrais pour préparer les sols. L'écurie, l'étable, les bergeries sont de meilleures qualités. Le féodalisme règle également les conditions de l'assolement. On ordonne donc, on régit. Le plus souvent tout cela est injuste mais parfois les bénéfices sont notables. C'est ainsi que l'Inrap bat en brèche certaines idées reçues : « Les légendes, les romans et les films ont popularisé une image assez fantaisiste de la paysannerie médiévale, censée avoir occupé une place peu enviable dans la société, écrit l'Institut national de recherches archéologiques préventives sur son site Internet. En fait, la condition réelle des paysans évolue au cours du Moyen Âge en fonction des rapports qu'ils entretiennent avec leurs seigneurs. Selon les époques et les régions, ils peuvent avoir des statuts parfois très différents. Si certains (aux alentours de 10 %), sans être des esclaves tels qu'en a connu l'Antiquité, jouissent d'une liberté très restreinte, dans leur grande majorité, les paysans sont libres, mais avec des niveaux de richesse très variés. » De récentes fouilles archéologiques viennent d'ailleurs confirmer un enrichissement de certaines catégories de paysans à la fin du Moyen Âge : celles d'une motte castrale (tour fortifiée) à Chasné-sur-Illet (Ille-et-Vilaine) et d'une maison forte (grosse ferme entourée de fossés) à Roissy-en-France (Val-d'Oise). Avec, à chaque fois, la découverte d'entrepôts ou de grenier de stockage, d'un certain confort matériel et la présence d'objets en céramique décorée. Ou quand le labeur paie...

« Faire chausser aux paysans les sabots de la République ! »

Avec la Renaissance, et plus encore le siècle des Lumières, la paysannerie progressera encore en France et à travers tout le continent européen. Maître de conférences à l'Université de Lille, Gilles Denis reconnaît que « le genre pastoral en littérature et dans les beaux-arts, les portraits de femmes nobles en paysannes, le "hameau de la reine" à Versailles, sont les expressions d'un des grands sujets du XVIIIe siècle, l'agriculture ». « Premier des arts », la vie agricole correspond alors à un certain esprit du temps. Pour mieux s'attaquer à Louis XIV ou à Louis XVI, on redessine les contours d'un âge d'or antique ou d'une période faste sous le « bon Henri IV » ou encore Sully. Pour mieux critiquer les nobles, on chante dans une étonnante inflation d'écrits les louanges d'une agriculture saine et pleine de grandes valeurs. Celle-ci, remarque Denis, est « synonyme de moralité et de civisme en opposition au luxe corrupteur et à l'égoïsme. Ces représentations sont ressassées, des essais d'économie ou de philosophie jusqu'aux écrits littéraires. Elles parcourent l'Encyclopédie. L'éloge de l'agriculture renvoie en miroir à la critique du régime ». Notons ici que l'éloge fait également écho aux théories développées par Jean-Jacques Rousseau, adepte de l'immersion dans la nature, autoproclamé plus proche de ceux qui vivent parmi elle plutôt que d'une société, et d'une existence citadine, qui toutes deux corrompraient l'homme. L'intérêt est donc puissant mais largement théorique. Véritable nouveauté, les sociétés d'agriculture du xviiie siècle cherchent à recueillir les connaissances paysannes, les observations agricoles et encouragent les fermiers à faire des essais et expériences dans leurs champs. Mais au niveau technique, peu d'améliorations réellement déterminantes, si ce n'est le recours généralisé à la culture lourde attelée, et l'apport toujours plus crucial d'un bétail mieux nourri et donc plus efficace. Les techniques de conservation, elles, franchissent un cap déterminant. Les salaisons s'avèrent efficaces, on vinifie mieux, et la technique de fabrication du pain devient fiable et moins coûteuse. À la fois psychologique et intellectuel, ce mouvement de libération du paysan aboutit, à la Révolution, à l'éclatement du système féodal.

Après 1789, on permet l'achat des biens nationaux, la mise en culture des friches, on punit sévèrement la spéculation sur les subsistances et on améliore la condition paysanne. L'euphorie est cependant de courte durée. « À côté d'une classe d'agriculteurs éclairés qui accèdent à l'électorat après 1848, écrit l'historien Gérard Walter, un prolétariat ouvrier s'appauvrit progressivement et vit toujours dans des conditions misérables, comme en témoigne le rapport de l'économiste Blanqui sur l'état des populations rurales en 1849. En 1884 une loi permet la constitution de syndicats professionnels, puis ouvriers : les instruments de défense existent désormais pour la classe paysanne, des grèves disciplinées s'organisent — bûcherons du Cher, vignerons du Languedoc. »

Lorsque la IIIe République est proclamée, tous les espoirs sont permis. D'ailleurs, Gambetta ne projetait-il pas de « faire chausser aux paysans les sabots de la République » ?

La révolution du XXe siècle

Voilà le terrain favorable au grand coup d'accélérateur à venir. Au fil des décennies, l'agriculture voit sa réalité immuable basculer dans une modernité à double tranchant. Dans L'Archipel Paysan, le sociologue et spécialiste du monde agricole Jean Viard écrit : « La France rurale de l'Ancien Régime - où résidaient 80 % de la population française et qui était le siège d'activités aussi agricoles qu'artisanales et préindustrielles - s'est transformée, dans la seconde moitié du xixe siècle, en une France paysanne, vidée progressivement de toutes ses activités non agricoles, attirées, elles, par la ville souvent grâce au train, mais aussi par volonté politique ». Éric Alary, spécialiste d'histoire sociale, précise : « En plus de généraliser l'usage du français dans les 8 381 communes où l'on ne parlait qu'en patois, les maîtres républicains ont labouré le terrain culturel, habituant les paysans à partager le temps de leurs enfants entre l'école et le travail saisonnier ; avant 1914, des familles résistent encore, mais dans l'entre-deux-guerres, tous sont convaincus que leur avenir passe par l'école, dont ils apprécient les bénéfices. Le service militaire de deux puis trois ans a sorti aussi les jeunes hommes de leur village. Certains sont revenus en ayant atténué ou supprimé leur accent, ce qu'on a pu leur reprocher, parfois à coups de poing. À la ferme, le sol de la cuisine était en terre battue, l'électricité ne s'étendra que dans l'entre-deux-guerres, à l'inverse de l'eau courante, déjà développée. La presse qui arrive dans les campagnes parle aussi du progrès et suscite beaucoup d'intérêt. Mais dans les montagnes, les paysans en sont loin. De fait, la République s'est ancrée dans une France rurale. » On modernise donc, parfois à marche forcée. Et l'on efface du monde agricole sa spécificité pour l'uniformiser autant que possible. Tout cela ne se fait pas sans heurts et retours en arrière. C'est ainsi que partout en Europe les campagnes s'élèvent parfois contre une élite cosmopolite qui, disent-elles, la spolie et sont parfois encouragées par l'irruption de leaders fascistes désireux de voir des « chemises vertes » réactionnaires emboîter le pas des tristement célèbres « chemises noires » fascistes. En France, Pétain et Vichy, promoteurs d'une « terre qui ne ment pas », par opposition à des dirigeants prétendument à la solde d'une « juiverie » qui, elle, mentirait, entraînent les campagnes sur une pente glissante. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, on décide donc de repartir sur d'autres bases. Désormais, la terre est perçue non plus comme un héritage pluriséculaire mais bien comme un outil de travail. Un outil de travail dont les fruits sont promis, très bientôt, à s'accroître grâce à la mécanisation et aux progrès immenses de la science qui engendrent, conjugués, une nouvelle révolution dans les campagnes. Une révolution des pratiques qui sera accélérée par le pouvoir politique. Une fois parvenu au pouvoir, le gaullisme va participer à l'émergence d'un nouvel ordre agricole. Rapidement, il organise la césure entre la terre productrice et la terre patrimoniale. Tout cela s'accompagne, dans les campagnes, de l'arrivée de machines agricoles, de tracteurs, de moissonneuses, de nouvelles semences, nouvelles farines, nouvelles techniques destinées à faire bondir, comme jamais dans l'histoire de l'humanité, les taux de rendements à l'hectare. Et puisque toute révolution s'accompagne de bouleversements géographiques, la révolution agricole de la seconde moitié du xxe siècle promeut un vaste plan de remembrement des parcelles. On fait alors tout pour que les petites fermes disparaissent au profit des grosses. On abat les haies, on redessine les terrains sans haies ni relief ni bordure pour que les machines puissent y tracer des formes géométriques parfaites. Soudain, la France ne se contente plus d'être autosuffisante : elle est excédentaire ! Et la perspective d'une politique agricole commune (PAC) à l'échelle du continent européen encourage évidemment le mouvement de modernisation à grands coups de subventions...

Et maintenant ?

Reste que sur les hommes et leurs habitudes, ces bouleversements ont des conséquences lourdes. « J'ai vu mourir la vieille paysannerie, raconte Jean Viard dans Le Sacre de la Terre. Celle de mes ancêtres de Gruey-lès-Surance. Même les enfants du grand-oncle Paul n'ont pas repris ! Celle aussi des paysans de la Provence de mon enfance. À Château-Gombert, en bordure de Marseille, les champs de M. Gorlier qui élevait des vaches laitières sont devenus une école d'ingénieurs, le bâtiment sur caillebotis où M. Vigne engraissait des cochons a été remplacé par un petit lotissement. À Vaugines, mon village adoptif, là où j'ai appris à nager et à grandir, les paysans du village ont disparu. Parfois je vais les saluer au cimetière. Leurs maisons ont été reprises par des vacanciers ou des néos. Reste quelques fermes en campagne. En Provence, il y avait 72 235 exploitants en 1968, à peine 20 000 demeurent aujourd'hui. » Viard ne croit pas si bien dire : de 1984 à 1999, la population directement active en agriculture est passée de 1 300 000 à 869 000 - répartie sur 680 000 fermes dont seulement 405 000 d'entre elles sont qualifiées d'« exploitations professionnelles » -, soit près de 30 % de diminution. Un mouvement quasi identique, en pourcentage, à la quasi-disparition de la classe ouvrière... Et qui ne cesse de s'accentuer.

« La France, remarque Alary, est devenue très rapidement la première agriculture en Europe, et la deuxième du monde... Mais après avoir soutenu les paysans, Bruxelles les lâche. [...] L'agriculture française est intégrée à un système mondial qui exige par exemple d'un éleveur d'avoir 400 à 500 vaches plutôt qu'une centaine comme autrefois. »

Comment faire face ? Comment sortir la tête de l'eau ? La question est d'autant plus épineuse que la donne a fortement changé depuis les premières heures de la révolution technologique. Car après le mirage d'une agriculture faisant de la nature un outil que l'on utilise jusqu'à épuisement de la ressource, voilà le temps du grand retour à la terre. La prise de conscience écologique imposant de nouvelles normes, de nouvelles manières de faire et de la quête d'authenticité. Plus de qualité, plus de respect des écosystèmes et des paysages : c'est ce à quoi aspire désormais le consommateur après des décennies de focalisation sur le pouvoir d'achat et les produits bon marché... De là à parler de nouvelle révolution dans nos campagnes...

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Article issu de T La Revue n°8 - "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger ?" Actuellement en kiosque

Un numéro consacré à l'agriculture et l'alimentation, disponible chez les marchands de presse et sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

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Commentaires 2
à écrit le 20/02/2022 à 9:26
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La découverte du site archéologique de Göbekli Tepe en Turquie a remis en cause pas mal de discours sur les chasseurs-cueilleurs de cette époque IXe millénaires av. J.-C.

à écrit le 19/02/2022 à 9:47
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"avec pour seul mot d’ordre : nourrir l’humanité." Il n'y a aucune charité, ni compassion, ni bonté d'âme à ce que la classe dirigeante veuille faire manger tout le monde hein, d'une part un peuple qui a faim est un peuple qui n'a plus rien à perdre ...

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