Pesticides : qui est le plus touché en France ?

"Toutes les zones en culture intensive sont concernées", dénonce l'association Générations Futures, qui publie ce jeudi une "carte des victimes" des pesticides. L'objectif: rompre leur isolement et promouvoir la reconnaissance de leur statut.
Giulietta Gamberini
Des actions en justice commencent à être intentées, au civil comme au pénal, notamment face aux cas de violations de l'interdiction d'épandage lorsque la vitesse du vent dépasse les 60 km/h.

L'Hexagone couvert à deux tiers de marqueurs rouges, verts et bleus, et parsemé de petits points noirs. L'aspect de la carte de France des expositions aux pesticides, publiée jeudi 21 avril par l'association Générations Futures, est dense. "Toutes les zones en culture intensive sont concernées", résume Nadine Lauverjat,  chargée de mission et coordinatrice de l'ONG.

Carte des victimes de pesticides

La carte est essentiellement constituée de 200 témoignages validés par les auteurs, provenant en grande majorité des riverains (puces rouges) mais aussi des professionnels (puces bleus) et des collectifs (puces vertes), et recueillis par l'association depuis 2000.

L'ONG y a aussi indiqué (sous la forme de points noirs) les autres 200 signalements déjà reçus mais encore en cours de validation, et affirme en avoir encore au moins 150 en attente de traitement.

"Certes la carte n'est pas exhaustive, mais elle a le mérite de montrer les hommes derrière les chiffres", estime Nadine Lauverjat, qui souligne: "Nous voulions surtout montrer aux victimes ce que nous ne cessons de leur dire: elles ne sont pas isolées".

Le nombre de signalements monte par ailleurs en puissance, souligne l'association, notamment de la part des professionnels, chez lesquels l'ancienne omerta perd du terrain. Générations Futures annonce même une extension de la carte au niveau européen puisque, souligne-t-elle, le problème des préjudices causés par les pesticides "n'est pas que franco-français".

Une preuve difficile à établir

Autre objectif poursuivi, celui de la reconnaissance du statut de "victimes" pour les personnes exposées . Si la notion est plutôt définie dans le cadre des maladies professionnelles, dès qu'il s'agit de riverains les choses se compliquent, bien qu'ils soient souvent très proches des lieux d'épandage et exposés de manière répétée et moins protégés physiquement que les professionnels.

"La preuve d'un lien de causalité entre le préjudice subi et l'épandage dans les environ est parfois difficile à établir", reconnaît Fabrice Micouraud, porte-parole d'Allassac ONGF, association du Limousin de défense des victimes des pesticides. La difficulté est aggravée du fait que, très souvent, "les médecins ne sont pas formés sur les effets possibles de ces produits sur la santé", regrette pour sa part Dominique Guinot, médecin administrateur de l'association Alerte Médecins Pesticides.

Un rapport "socle" de l'Inserm

Pourtant, quelques éléments objectifs sur lesquels s'appuyer existent. Dès 2009, l'Union européenne a adopté un règlement "concernant  la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques" qui considère explicitement comme "vulnérables", donc "nécessitant une attention particulière dans le contexte de l'évaluation des effets aigus et chroniques des produits phytopharmaceutiques sur la santé", les "habitants fortement exposées aux pesticides sur le long terme": à savoir les riverains, justement.

     Lire aussi: Toujours plus de pesticides dans les cultures françaises

En 2013, un rapport de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a d'ailleurs officiellement reconnu l'existence, dans la littérature scientifique, de "présomptions fortes ou moyennes" de lien entre l'exposition à des pesticides et de graves pathologies (lymphomes, cancers, Parkinson, Alzheimer, troubles de la fertilité etc.). "Sur 74 substances actives utilisées comme pesticides, une quarantaine sont des perturbateurs endocriniens ou cancérogènes", affirme de son côté le docteur Guinot.

Une "inquiétude partagée"

Des actions en justice commencent ainsi à être intentées, au civil comme au pénal, notamment face aux cas de violations de l'interdiction d'épandage lorsque la vitesse du vent dépasse les 60 km/h, rapporte maître Stéphane Cottineau, avocat spécialisé en la matière. Certains employeurs ont été condamné pour faute inexcusable face à leurs salariés, et des demandes de réparation ont été formulées tant vis-à-vis de l'exploitant qu'auprès de l'assureur du fabricant du produit.  Chez les professionnels, l'anxiété découlant de la crainte d'être exposés à des produits toxiques a par ailleurs été reconnue en tant que préjudice.

Les actions judiciaires ne constituent néanmoins qu'un dernier recours selon Fabrice Micouraud, qui souligne la nécessité d'associer tous les acteurs face à l'"inquiétude partagée" soulevée par les pesticides. Des formes de médiation entre agriculteurs, salariés et riverains se révèlent parfois bien plus efficaces, permettant d'aboutir à la rédaction de chartes de conduite voire de mesures concrètes, comme l'installation de manches à air pour mesurer l'intensité du vent, témoigne-t-il.

Le législateur a aussi son rôle à jouer: bien que pas insensible à la question,"la réglementation n'est pas assez simple ni codifiée", regrette Stéphane Cottineau. La question des pesticides est par ailleurs au menu de la loi sur la biodiversité: notamment l'interdiction générale des pesticides néonicotinoïdes, connus pour leurs effets toxiques sur les insectes pollinisateurs, qui devrait, selon la dernière mouture du projet de loi, approuvée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture le 17 mars, entrer en vigueur en septembre 2018. Il sera discuté en séance publique par le Sénat les 10,11 et 12 mai.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 5
à écrit le 22/04/2016 à 22:01
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Les parisiens développant leurs jardins potagers vont pouvoir se nourrir avec leurs propres produits et cesser de vouloir réglementer la vie des autres français...

à écrit le 22/04/2016 à 9:42
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Ce qui est regrettable , déplorable , scandaleux c'est le silence des instances agricoles sur ce sujet : syndicats agricoles, chambres d'agriculture, MSA , et même Groupama , Crédit agricole en tant qu'assureurs , coopératives etc... C'est un suj...

à écrit le 22/04/2016 à 9:08
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Condamner ceux (politiques) qui se sont laissés corrompre par les industries chimiques. C'est un génocide, il n'y a pas d'autres mots

à écrit le 22/04/2016 à 9:07
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Les vrais problèmes de santé publique sont le tabac (75000 morts et l'alcool (45000 morts). Les lobbies de ces deux activités remercient GF d'en détourner l'attention.

à écrit le 22/04/2016 à 7:31
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Pourquoi n'attaque t il ps les producteur de pesticide plutot que d'attaquer l'état ?

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