Hydrogène et mobilité : quel modèle économique pour la pile à combustible

La promesse d'une mobilité 100% décarbonée a propulsé la pile à combustible comme l'une des solutions idéales pour l'automobile électrique du futur. L'équation environnementale et économique est en réalité beaucoup plus complexe et encore incertaine.
Nabil Bourassi
Lancé en 2015, la Toyota Mirai est l'un des premiers véhicules équipé d'une pile à combustible.
Lancé en 2015, la Toyota Mirai est l'un des premiers véhicules équipé d'une pile à combustible. (Crédits : Reuters)

L'hydrogène, le Graal de la mobilité ? C'est vrai que sur le papier, cette technologie fait rêver: une autonomie deux à trois fois plus élevée que celle des batteries électriques, un temps de recharge de quelques minutes, et zéro émission de polluants à la sortie du pot d'échappements. On dit même que l'eau qui en ressort est potable... Qu'est ce qu'on attend alors pour imposer la pile à combustible, qui transforme l'hydrogène en électricité, à toutes les voitures neuves ?

La réalité est évidemment beaucoup plus complexe. D'abord, d'un point de vue environnemental, la promesse d'un bilan carbone neutre est loin d'être remplie. Comme nous le rappelle Patrick Pélata, ancien numéro deux de Renault et aujourd'hui consultant, "l'empreinte carbone de la production d'hydrogène aujourd'hui équivaut à celle du transport aérien". "Pour casser une molécule d'hydrogène, il faut l'équivalent de 34 kwh d'énergie, pour obtenir un kilo d'hydrogène, il faut consommer 100 kwh", nous explique cet ingénieur de formation. Autrement dit, il faut consommer autant d'électricité pour obtenir une même quantité d'hydrogène, ce qui renvoie au débat sur l'hydrogène vert.

Trois modèles dans le monde

Mais une fois le casse-tête environnemental résolu (ou pas), il reste celui du modèle économique. Très peu de constructeurs automobiles ont fait le pari de l'hydrogène. Chez Hyundai, la pile à combustible équipe déjà deux modèles: l'ix35 et le Nexo. Mais pour le Sud-Coréen, le "fuel cell" en anglais est une solution parmi d'autres dont la voiture à batteries. Il n'y avait que Toyota pour faire de l'hydrogène le seul horizon possible de la voiture du futur. Au point que le Japonais a totalement déserté la case voiture à batteries, jugeant que celle-ci ne serait qu'une étape avant la pile à combustible. Mais même le grand Toyota, numéro un mondial de l'automobile ex-aequo avec Volkswagen, commence à infléchir sa position et travaille désormais à une gamme autour de la batterie électrique. Et pour ne pas perdre plus de temps, il s'est allié à (beaucoup) plus petit que lui, à savoir le groupe Suzuki.

Lire aussi : Hydrogène vert : une révolution aussi prometteuse que complexe

Car la pile à combustible coûte très cher dans une voiture électrique... 68.000 euros pour une Toyota Mirai, 80.000 euros pour un Hyundai Nexo... Pour Eric Kirstetter, associé senior chez Roland Berger et spécialiste de l'industrie automobile, le compte n'y est pas: "avec l'autonomie accrue des batteries, l'hypothèse d'un essor des voitures particulières à hydrogène nous paraît peu probable. Il faudrait en outre recréer toute une infrastructure réseau. Soit beaucoup de capitaux, pour peu de bénéfices au profit du consommateur final". Avec la hausse de l'autonomie moyenne des voitures électriques passées en quelques années de 150 à 300 voire 400 km, la technologie de la batterie répond à la plupart des usages. A 39.000 euros, une Hyundai Kona se montre ainsi largement plus compétitive que le Nexo, et ce, malgré ses 300 km d'autonomie.

Les poids lourds, le candidat idéal

Pour autant, la pile à combustible n'est pas condamnée... Au contraire! Les industriels jugent qu'il existe un modèle économique pour les poids lourds. "On estime qu'en 2030, 17% des camions de plus de 6 tonnes vendus en Europe seront propulsés par une pile à combustible, soit un marché de 59.000 camions par an en Europe. Notamment 28% des véhicules de 40 tonnes qui parcourent des très longues distances", explique Eric Kirstetter. Selon lui, l'équation repose sur cette notion de distance: "plus les distances sont longues, plus le TCO est favorable à l'hydrogène". Le TCO ou le coût total de possession (achat, entretien, usage...) sera déterminant pour l'essor de l'hydrogène. Sur certains segments, il sera en concurrence avec le diesel. Mais d'autres facteurs pourraient jouer en la faveur de l'hydrogène comme la réglementation ou encore les subventions publiques.

Pour Eric Kirstetter, il y a un enjeu sur la taille du marché: "la filière hydrogène aura toutefois besoin de franchir des seuils de volumes pour faire baisser les coûts de revient". Mais plus encore, "il sera nécessaire de standardiser des composants que ce soit dans les réservoirs, le stockage ou les spécifications pour les systèmes de remplissage", rappelle le consultant. Ce processus d'harmonisation est classique dans un marché en pleine émergence. "L'accélération devrait survenir entre 2027 et 2030, ce qui permettra alors de franchir les effets de taille nécessaires pour atteindre une maturité de marché", conclut Eric Kirstetter.

Nabil Bourassi

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Commentaires 8
à écrit le 18/04/2021 à 10:12
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À mon avis il ne faut utiliser l’hydrogène pour les véhicules, plutôt que les batteries électriques, que lorsque le rechargement des batteries n’est pas possible. D’une part parce qu’il y a une grande déperdition d’énergie puisqu’il faut de l’électri...

à écrit le 15/04/2021 à 15:25
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La simplicité? OUI Mais elle n'est pas demandée par le consommateur! Le "complot des cartels", je veux bien! Mais si le consommateur est "c..", est-ce encore un complot?

à écrit le 14/04/2021 à 9:39
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Et si les constructeurs réinventaient la simplicité.. Je considère mais c'est personnel que la roue est la seule grande invention de la bagnole le reste ne sont qu'évolutions et adaptations. Lorsque je découvre dans la presse une bagnole hybrid de mo...

le 14/04/2021 à 10:32
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C'est évident ! Mais le Cartel de l'auto mobile (la voiture telephone voire frigidaire, navigateur, entertainer, cinema sur roue, interface de shopping etc...) sait s'entendre pour assurer de meilleurs profits. Ils ont d'ailleurs pour assurer le Cart...

le 14/04/2021 à 20:54
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D'accord avec vous. A quoi sert tous ces "bidules" numeriques? Distractions et non fiables. Et deshumanisants. Il faut garder l'etre humain dans la boucle - in teh loop - comme nous disons en anglais - sinon quand les automatismes cessent de fonction...

à écrit le 14/04/2021 à 8:52
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Rappelons quelques évidences: Hors questionnement à propos de la source d'hydrogène, l'équipement réservoir sous haute pression/pile à combustible/batterie/moteur électrique, et tel qu'il est présenté aujourd'hui, est loin d'être mature. -Le stocka...

le 14/04/2021 à 10:35
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il me semble que précisément si on stock sous pression et par conséquent sous forme liquide l'H2 c'est aussi pour éviter les fuites... en plus d'augmenter la densité. Un liquide est beaucoup plus visqueux qu'un gaz.

le 14/04/2021 à 14:34
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20 000 "bagnoles" électriques, c'est combien d'éoliennes en plus ? Vous voulez des éoliennes, faites les construire en ville.

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