Sécurité ! Voué aux gémonies pour ses mensonges scélérats, Volkswagen ne pouvait pas se permettre une communication trop bavarde, alors qu'il était accusé d'avoir menti sur les performances environnementales de ses moteurs diesels. La communication du groupe voulait toutefois sortir intact le mot sécurité des débris d'un scandale aux retombées planétaires. Volkswagen était donc prêt à reconnaître qu'il avait été malhonnête sur ses émissions de polluants, mais qu'à aucun moment, il n'avait porté atteinte à la sécurité. Avec cette stratégie, le groupe automobile allemand avait sauvé l'essentiel de sa réputation, ce qui lui a permis de rebondir seulement quelques mois plus tard avec des ventes en hausse. Dans l'industrie automobile, la sécurité passe avant tout le reste. Un constructeur peut être mauvais sur le confort, la fiabilité des matériaux, mais s'il transige sur la sécurité, il le paie cash et cher.
En 2015, General Motors s'est acquitté d'une importante amende (900 millions de dollars) aux États-Unis pour avoir dissimulé un défaut mécanique qui a provoqué la mort de 124 personnes. Toyota a également perdu des fortunes pour un problème sur une pédale de frein défectueuse. Takata a vu les trois quarts de son carnet de commandes disparaître après les très graves défauts de ses airbags, et n'a dû son salut qu'à un sauvetage orchestré à bout de bras par ses compatriotes. Et le plus cher est de retrouver plus tard la confiance du consommateur. Pour les constructeurs automobiles, cet enjeu va encore être décuplé demain avec l'avènement de la voiture autonome. C'est d'ailleurs le principal frein à son déploiement à grande échelle. Une automobile qui présente un déficit de confiance dans sa sécurité n'a aucune chance d'être vendue.
Blocage psychologique
Elle risque au mieux de ne pas être homologuée, au pire d'handicaper gravement son constructeur avec de multiples procès. Sans oublier l'inquiétude que peut susciter l'idée de rouler, c'est le rêve ultime, dans une voiture sans volant, dos à la route, une automobile devenue un nouvel outil de consommation de contenus. Les constructeurs automobiles ne veulent donc prendre aucun risque sur la voiture autonome. Ils le veulent d'autant moins que le moindre accident peut potentiellement engager leur responsabilité pénale (les règles assurantielles ne sont pas encore figées). Pire ! La voiture autonome doit être beaucoup plus sûre qu'une voiture normale, conduite par un humain, alors que celle-ci présente pourtant une probabilité de défaut beaucoup plus importante. En août 2016 par exemple, une voiture Tesla s'encastrait dans un poids lourd, tuant son chauffeur qui s'était mis en mode « Autopilot ».
L'ordinateur de bord n'a jamais détecté le camion dont la couleur se confondait apparemment avec celle du ciel. Cet accident spectaculaire avait contraint Tesla à brider son système Autopilot, jusqu'à se poser la question de le renommer. On ne parlait alors plus que d'assistants de conduite et non plus d'autonomie. Sauf que le groupe californien faisait remarquer que cet accident s'était produit au bout de 209 millions de kilomètres parcourus par l'ensemble de ses voitures mises à la route, contre une moyenne d'un accident tous les 150 kilomètres pour une voiture classique. Idem, lors de l'accident du 19 mars 2018 en Arizona entre une Volvo XC90 autonome d'Uber et une piétonne. Des mesures ont immédiatement été prises, et la technologie de l'autonomie avait immédiatement été saisie par le doute. À chaque accident, la voiture autonome est proche de la rupture de confiance avec le public.
Sans parler du fameux et terrifiant dilemme du tramway qui veut qu'un ordinateur n'est pas capable d'arbitrer entre deux risques de pertes humaines en cas d'urgence. Un quasi-fantasme puisqu'un être humain n'est pas davantage capable d'accomplir un tel arbitrage ni de disposer des réflexes d'un ordinateur. Début 2018, une étude de l'institut Rand Corporation, une émanation de l'armée américaine, avait posé un postulat en faveur de la voiture autonome. Selon ce rapport, le fait de reporter la voiture autonome en attente de perfectionner son système sera plus coûteux en vie humaine que d'utiliser la voiture autonome telle qu'elle existe aujourd'hui. Paradoxalement, la société préfère ainsi faire reposer sa confiance sur l'intelligence humaine et ses multiples défauts (réflexes, somnolence...) que sur un ordinateur bardé de capteurs et d'une puissance de calcul infiniment plus élevée. Comme le résumait le rapport de la Rand Corporation, « le mieux est l'ennemi du bien».
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