Stellantis : pour Tavares, le passage au tout électrique aura "des conséquences sociales majeures"

Le patron de Stellantis exprime ouvertement ses doutes sur la politique de l'Union européenne depuis qu'elle a voté l'interdiction de la vente des véhicules à moteur thermique d'ici à 2035. Hier, dans une interview publiée par quatre quotidiens européens, il a adressé à la Commission européenne une nouvelle mise en garde sur les graves conséquences, notamment sociales, de sa politique de décarbonation de l'industrie automobile qui mise sur le tout électrique, fustigeant une stratégie qui va renchérir de 50% le coût d'achat d'un véhicule.
Jérôme Cristiani
Photo d'illustration: Carlos Tavares, lors de l'événement Tomorrow in Motion, la keynote précédant l'ouverture du Mondial Paris Motor Show (le Salon de l'auto de Paris), le 1er octobre 2018, quand il était directeur général et président du directoire du groupe PSA.
Photo d'illustration: Carlos Tavares, lors de l'événement Tomorrow in Motion, la keynote précédant l'ouverture du Mondial Paris Motor Show (le Salon de l'auto de Paris), le 1er octobre 2018, quand il était directeur général et président du directoire du groupe PSA. (Crédits : Regis Duvignau)

Carlos Tavares n'a pas changé d'avis: depuis le vote en juillet dernier de l'interdiction de la vente des voitures à moteurs thermiques d'ici à 2035, il tire à boulets rouges sur cette décision de la Commission européenne.

Hier, le directeur général du groupe Stellantis issu de la fusion de PSA et de FCA, poursuit son pilonnage, fustigeant dans une nouvelle mise en garde la stratégie de l'Union européenne qui veut décarboner l'industrie automobile à marche forcée, en misant tout sur le véhicule 100% électrique.

L'attaque est à têtes multiples: dans une interview réalisée à Paris et publiée mardi soir vers 18 heures simultanément par quatre quotidiens européens, il argumente tous azimuts sur la politique européenne, déployant à la fois les aspects économique, industriel, politique, environnemental et social avec l'aggravation de la fracture sociale.

Ce n'est pas la première fois que Carlos Tavares sort du bois sur cette question. Le 1er décembre 2021, il déroulait ses critiques lors du nouveau sommet Reuters Next organisé le 1er décembre 2021, lors d'une visio-conférence de dimension mondiale:

"Ce qui a été décidé, c'est d'imposer à l'industrie automobile une électrification qui ajoute 50% de coûts additionnels à un véhicule conventionnel. Il est impossible que nous répercutions 50% de coûts additionnels au consommateur final, parce que la majeure partie de la classe moyenne ne sera pas capable de payer", avait alors lancé le patron de Stellantis.

|Lire: Fin de la voiture thermique en 2035 : la guerre des blocs s'intensifie en Europe, la France prend la tête du "non"

Un risque environnemental

"Ne pas regarder l'ensemble du cycle de vie des voitures électriques est évidemment très restrictif", a déclaré le dirigeant aux journalistes des quatre quotidiens Les Échos (France), Handelsblatt (Allemagne), Corriere della Sera (Italie) et El Mundo (Espagne).

"Avec le mix énergétique européen, un véhicule électrique doit rouler 70.000 km pour compenser la mauvaise empreinte carbone de fabrication de la batterie et commencer à creuser l'écart avec un véhicule hybride léger", assure-t-il.

Surcoût et risque social

"On sait aussi qu'un véhicule hybride léger coûte moitié moins qu'un véhicule électrique", observe M. Tavares.

"Il ne faut pas perdre de vue non plus que nous risquons (...) de perdre les classes moyennes qui ne pourront plus acheter de voiture et qu'il y aura des conséquences sociales."

Entre subventions et creusement des déficits, un choix politique risqué

Pour Carlos Tavares, qui plaide pour le maintien des véhicules hybrides, le choix de désavantager ce type de véhicules est un choix politique de l'Union européenne qui pourrait avoir de graves conséquences : "Ce qui est clair est que l'électrification est la technologie choisie par les politiques, pas par l'industrie", affirme-t-il.

"Au total, vaut-il mieux accepter de faire rouler des voitures hybrides thermiques très performantes pour qu'elles restent abordables et apportent un bénéfice carbone immédiat, ou faut-il des véhicules 100% électriques que les classes moyennes ne pourront pas se payer, tout en demandant aux États de continuer à creuser le déficit budgétaire pour les subventionner?

Il ajoute:

C'est un débat de société que je rêverais d'avoir, mais pour l'instant je ne le vois pas." (...) "Il est donc trop tôt pour dire si l'approche européenne est raisonnable", conclut-il avec une teinte d'ironie.

Défi industriel et risque de casse sociale

Pour les constructeurs, il s'agit "de limiter au maximum les 50% de surcoût de l'électrique, en cinq ans", avec des gains de productivité importants.

"Nous verrons dans quelques années les constructeurs qui auront survécu et les autres", prédit le patron de Stellantis.

Il complète le tableau social en évoquant le sort des autres parties prenantes, celles des fournisseurs et sous-traitants, essentielles:

"Nous ne sommes pas les seuls (à être impliqués), nous avons tout un écosystème de sous-traitants autour de nous. Il va falloir qu'ils bougent aussi rapidement que nous."

De fait, ce que Carlos Tavares fustige en premier lieu, c'est le timing, "brutal", trop court pour permettre une transition en douceur:

"C'est la brutalité du changement qui crée le risque social", souligne Carlos Tavares.

Car "sans transition progressive, les conséquences sociales seront majeures", craint-il.

Compétitivité VS décarbonation VS chômage... le cas d'Opel

De fait, Carlos Tavares a aussi répondu aux journalistes sur des problématiques a priori plus nationales, mais qui éclairent la politique industrielle globale du groupe dans le contexte actuel.

Ainsi du problème d'Opel en Allemagne, soulevé par le journaliste du quotidien allemand Handelsblatt. Il interrogeait Carlos Tavares sur la politique du groupe vis-à-vis de sa filiale, après les violentes protestations politiques et syndicales qui ont obligé Stellantis à sursoir à son projet de cession des usines de Rüsselsheim et d'Eisenach à Opel. Malgré ce recul, Tavares, note le Handelsblatt, reste inflexible sur sa ligne:

"Notre objectif est de rendre nos sites allemands plus autonomes", a-t-il répondu d'entrée de jeu, car son inquiétude est que "les responsables sur place puissent trouver des solutions pour améliorer la compétitivité et sécuriser les emplois".

Il dit ne pas comprendre la résistance en Allemagne car Tavares se considère, ainsi que Stellantis, comme les sauveurs de la marque historique allemande qui, lorsqu'elle était gérée par General Motors, avait accumulé des milliards de pertes :

« Beaucoup de ce que nous avons fait chez Opel depuis 2017 a été critiqué. Mais ce qui ne dérange personne, c'est qu'Opel gagne maintenant de l'argent. »

Après avoir laisser percer ce sentiment d'ingratitude, il accuse :

"Notre approche a été déformée à des fins politiques."

|Lire: Carlos Tavares : « Opel doit libérer sa créativité et apporter de la diversité au sein du groupe PSA »

Des gains énormes de productivité pour éviter de tailler dans les effectifs

Plus globalement, Carlos Tavares expliquait déjà début décembre pourquoi la question de la productivité est centrale pour le constructeur.

Le patron de  Stellantis expliquait lors de Reuters Next, le 1er décembre 2021, que pour pouvoir maintenir ses effectifs, le constructeur travaillait à améliorer sa productivité à un rythme bien plus rapide que la norme du secteur.

« Au cours de cinq prochaines années, nous devons digérer 10% de productivité par an [...] dans une industrie habituer à délivrer [des gains de] 2 à 3% de productivité », avait chiffré Carlos Tavares, cité par L'Usine nouvelle.

Dans l'interview donnée hier, il confirmait son état d'esprit:

"Fermer veut dire mettre un cadenas sur la porte et renvoyer tout le monde à la maison. Nous n'avons pas fait cela. Et si je peux l'éviter, je l'éviterai", a déclaré Carlos Tavares

Il ajoutait:

"Je tiens généralement mes promesses, mais nous devons aussi rester compétitifs. L'avenir de nos sites dépendra également des contraintes politiques sur la décarbonation en Europe et de ses conséquences sur le marché automobile."

Licenciements: les négociations reprennent sur fond de ventes en berne

À voir, à suivre. Car, si les négociations avec les syndicats sur les effectifs vont reprendre le 1er février, elles s'annoncent mal. Et les syndicats, pas seulement à Sochaux, mais dans toute l'industrie automobile se disent inquiets.

En effet, personne n'est passé à côté: les ventes de voitures neuves n'ont pas rebondi en 2021, elles ont fait pire qu'en 2020, et même leur plus bas score depuis 1990, date de la création de l'indice des immatriculations.

Car l'industrie automobile est plombée d'un côté par des blocages répétés de ses chaînes d'approvisionnement perturbées durablement par la crise des semi-conducteurs, mais encore, elle doit affronter la très lourde transformation de son modèle fondé sur les moteurs thermiques et les énergies fossiles vers celui dit de la neutralité carbone, fondé sur la voiture électrique.

Or la fabrication d'un moteur électrique demande "3,5 fois moins de temps" que pour un moteur thermique et "six à sept fois moins de pièces", selon des professionnels interrogé par le magazine Capital en octobre dernier.

|Lire : Les ventes de voitures neuves en 2021 dans l'UE, pires qu'en 2020, le plus bas chiffre jamais enregistré

Jérôme Cristiani

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 25
à écrit le 21/01/2022 à 10:28
Signaler
Bravo à monsieur Tavares pour cette belle analyse mais hélas on se retrouve une fois de plus avec l'intelligence contre le dogme néolibéral financier faisant qu'on ne sait pas où ils veulent aller faisant que la logique n'est pas leur principe. Et c'...

le 21/01/2022 à 12:57
Signaler
ceci prouve que le patronat n'est pas responsable de la désindustrialisation en france. mais bien la plus importante responsabilité est celle des politique et qui a ce jour n'on toujours pas prononcer leur excuses avec consequences des sans emplo...

le 23/01/2022 à 10:11
Signaler
Les politiciens dépendent des l'argent des financiers si Mitterrand n'est pas allé jusqu'au bout de son programme de gauche c'est parce que les riches français sont partis s'enfuir aux états unis fermant tous les robinets de financement du pays. Tu f...

à écrit le 20/01/2022 à 22:07
Signaler
On s'en fiche que la voiture électrique enrichisse les fabricants de batteries chinois et détruisent les emplois (et les employeurs) en Europe : tout ce qui compte, c'est la bonne conscience planétaire. Et la bonne conscience, ça n'a pas de prix.

à écrit le 20/01/2022 à 10:57
Signaler
L intervention de Tavares est une préparation à ce qui est ineluctable dans le groupe stellantis , à savoir une casse assez massive par manque d'anticipation et par cette union FCA / PSA qui est une alliance de dupe.

à écrit le 20/01/2022 à 2:26
Signaler
Que Stellantis fabrique des vehicules de qualite, fiable avec une gamme de tarifs evolutifs en fonction du choix de modeles. Les coreens offrent une quirielle de modeles electriques, hybrides , essence, diesels. C'est pourtant simple a comprendre. C...

à écrit le 19/01/2022 à 18:48
Signaler
<p> Ce qui plus est, il n'y a pas de loin assez du lithium pour produire des vehicules electrqies en masse. <p> La pénurie de batteries lithium sera pire cette année que pour les puces. Reliant Industries en Inde fait la choix intelligente en ...

à écrit le 19/01/2022 à 18:44
Signaler
Bref! Rien n'est fait pour éviter que chacun est besoin d'un véhicule! Mais, au contraire, on nous y contraint par des obstacles...! Les "services publics" ne sont pas des usines a gaz comme on voudrait nous le faire croire!

à écrit le 19/01/2022 à 18:38
Signaler
Une véhicule électrique avec une batterie de 80 kWh à 24.000 kms par an égale 2.000 litres de carburant non brulés. 50 hybrides type Prius avec une batterie de 1,5 kWh à 24.000 kms par an égalent plus de 40.000 litres du carburant non brulés par an.

à écrit le 19/01/2022 à 17:47
Signaler
Encore une fois le vieux monde du passé beugle parce que demain ne sera pas comme hier, faisant fi des enjeux climatiques, nous sommes dans une urgence absolue déjà hors limite. Les marchands de carbone et amateurs de vroom vroom doivent comprendre q...

le 19/01/2022 à 22:28
Signaler
Tout le monde n'a pas les moyens d'avoir 2 voitures, 1 électrique, et 1 thermique, sans doute assez grosse, pour les longs trajets. Quant aux recharges dans les copro, c'est soit inexistant, soit balbutiant, sans parler des systèmes propres aux marqu...

à écrit le 19/01/2022 à 16:42
Signaler
Completement daccord avec cette analyse le politique ne prend pas le sujet de façon global encore une fois . combien de centrales au charbon en allemagne pour produire l'electricité des voitures rien que sur ce territoire combien de centrale...

à écrit le 19/01/2022 à 16:38
Signaler
Enfin un chef d’entreprise qui écrit ce qu’il pense. Les voitures électriques avec batteries sont un non sens écologique. Chaque voiture électrique construite, avant sa mise en service représente 100000 kms de co2. Elles produisent aussi des particu...

à écrit le 19/01/2022 à 16:04
Signaler
Ce règlement de Bruxelles d'interdire les moteurs thermiques aux coiture, n'a aucun sens économique, vu que tous les marérieux nécessaires, cuivre par exemple manquent. donc les prix vont augmenter, alors que les prix du pétrole se stabilisent. Ela d...

à écrit le 19/01/2022 à 16:04
Signaler
Et le jour du grand "blackout" ce sera, toute énergie pédestre...

à écrit le 19/01/2022 à 15:21
Signaler
Comment expliquer qu'une voiture. Conçue avec bien moins de pièces soit plus chère ? Avant 5 ans, on sera passés des accus chimiques chers, durée de vie limitée, polluants, perte à la charge. Perte au freinage, aux condensateurs au graphene, moins l...

à écrit le 19/01/2022 à 14:01
Signaler
Un francais détruit chaque année bien plus qu'il ne crée de valeur avec son PIB/personne ! Par amenuisement définitif de ressources non renouvelables = impasse sanitaire (un homme sain dans un corps sain au milieu d'une nature saine...) au niveau de...

à écrit le 19/01/2022 à 12:46
Signaler
Remplacer tous les tacots anciens par des véhicules récents améliorerait déjà le contexte lié aux automobiles (émissions, consommation, etc), mais comme les voitures électriques, les prix sont musclés (l'UE demande un certain nombre d'accessoires sur...

le 19/01/2022 à 13:43
Signaler
vous trouvez que la france n'a pas assez payer avec les delocalisations et les offrandes de technologie a la chine et le nombre de sans emploi. avec la vision macroniste c'est la fin de la france

à écrit le 19/01/2022 à 11:39
Signaler
les autos c'est super mais ça pollue, certes moins que jadis mais il suffit de respirer le bon air aux heures de pointe pour s'en rendre compte. Il aurait depuis longtemps fallu légiférer sur la puissance des véhicules et leur vitesse, ça n'a jamais ...

à écrit le 19/01/2022 à 11:12
Signaler
Mr Tavarès a tout à fait raison, mais les hommes politiques qui prennent ces décisions pour l'avenir de la France ne seront plus au pouvoir pour gérer la crise sociale à venir en 2035. C'est la gouvernance française qui pose problème, si on avait con...

le 19/01/2022 à 11:33
Signaler
Slovaquie, Turquie, Maroc, ... Les constructeurs automobiles français ont bien fermé et délocalisé depuis les années 2000, tout en poussant les sous-traitants à les suivre. Et ce malgré les aides de l'état en 2012, les primes à la casse, les prêts...

le 20/01/2022 à 19:16
Signaler
Si c'est si vrai que ça. Alors le passage à l'électrique sera socialement indolore en france. Mais dans les faits, on voit quand même souvent des annonces de fermetures de fonderie liées à l'automobile. Et il rste encore des grosses usines de constru...

à écrit le 19/01/2022 à 10:32
Signaler
Opel certes gagne de l argent mais ils sont supprimé toute la R&D (de memoire ca ete cedé a Altran pour qu ils fassent le sale boulot en licenciant/ecoeurant le personnel). donc forcememnt moins de personnle pour quasiment autant de vente, ca aide a ...

le 19/01/2022 à 15:15
Signaler
Non la R&D opel n'a pas été supprimée. Certes une partie a été revendue à Segula, mais les effectifs étaient vraiment pléthorique. Aujourd'hui les Opel restent conçues et assemblées en Allemagne pour la plupart, en maximisant évidemment les synerges ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.