Béton vert : comment Peduzzi utilise l'impression 3D pour aller cinq fois plus vite

Peduzzi, acteur local du BTP dans les Vosges, se dote d'une chaîne numérique et intègre un procédé de fabrication additive. Les coffrages des éléments complexes en béton seront désormais produits en atelier et non plus sur les chantiers. Ce process inédit résulte d'une collaboration avec le Cirtes, un centre régional de transfert de technologie. Explications.
Peduzzi a investi 800.000 euros dans l'acquisition de son équipement d'impression 3D.
Peduzzi a investi 800.000 euros dans l'acquisition de son équipement d'impression 3D. (Crédits : Groupe Livio)

« On peut maintenant fabriquer à l'atelier, de façon industrielle, tout ce qui nous embête sur le chantier. » À la tête de l'entreprise de bâtiment et travaux publics que son grand-père a créée en 1938, Frédéric Peduzzi applique au béton une technologie inédite dans son métier. La fabrication additive par stratoconception, dont le développement était jusqu'à présent concentré dans l'automobile, l'aéronautique, la plasturgie ou la fonderie, trouve grâce à cette PME familiale sa première application industrielle dans le BTP.

Pour mettre au point son application spécifique pour le béton, l'entreprise Peduzzi s'est faite accompagner par le Centre d'ingénierie, de recherche et de transfert européen (Cirtes), une société de recherche sous contrat (SRC) spécialisée dans le transfert de technologie.

"Il existe sept procédés de fabrication additive qui ont tous été mis au point à la fin des années 1980, issus de ce que l'on appelait le prototypage rapide", rappelle Claude Barlier, président du Cirtes, installé à Saint-Dié-des-Vosges. "La stratoconception est l'un de ces procédés normalisés, qui consiste à décomposer numériquement une pièce pour la recomposer sous forme de strates 3D. On utilise pour cela des matériaux disponibles en plaques", explique Claude Barlier.

La machine de stratoconception installée dans l'atelier de Peduzzi, à Fresse-sur-Moselle, dans les Vosges, a mobilisé 800.000 euros d'investissement.

"On n'installe pas juste une machine, mais toute une filière", précise Frédéric Peduzzi.

La fabrication additive a nécessité, en amont, la maîtrise d'une chaîne numérique et mobilisé des compétences qui n'étaient pas présentes dans cette entreprise de BTP qui compte 150 salariés. Deux postes ont été créés, dont un reclassement interne. L'atelier de stratoconception pourra créer "une douzaine d'emplois d'ici 2024".

Des rebuts divisés par trois, une réalisation en 1 jour au lieu de 5

L'application de la stratoconception chez Peduzzi correspond à une forme de fabrication indirecte issue de l'impression 3D. Elle concerne la réalisation de coffrages qui peuvent être imprimés en polystyrène, en mousses à haute densité ou en résines. "On choisit la matière en fonction de son application et de la complexité de la forme", conseille Claude Barlier. Chaque moule est fabriqué sur mesure. Il est ensuite transporté sur le chantier, où le béton est coulé pour réaliser des pièces uniques.

Les premiers essais de stratoconception menés au cours de l'année 2021 ont été concluants. La technologie a produit des têtes de poteaux ajourées et aux formes complexes. Elle a aussi été mise en œuvre dans une station d'épuration construite en Moselle.

S'inscrivant dans la démarche "béton vert", la méthode s'est avérée particulièrement économe en matière : les rebuts ont été divisés par deux ou par trois par rapport à un coffrage manuel. Peduzzi a également réalisé en impression 3D des coffrages béton destinés à une passe à poissons sur un barrage fluvial.

Un travail beaucoup moins pénible

"Dans une méthode traditionnelle, nos compagnons auraient dû travailler pendant une semaine sur un échafaudage à quatre mètres de haut, dans des postures compliquées. Le coffrage réalisé en stratoconception a permis la mise en place en une seule journée", se félicite Frédéric Peduzzi.

Le dirigeant poursuit en soulignant l'impact positif de la nouvelle technologie sur les conditions de travail de ses salariés :

"Nous avons vingt postes à pourvoir et nous ne trouvons pas de candidats. J'espère que la stratoconception aura un impact favorable sur notre attractivité".

L'entreprise compte une dizaine de sociétés sœurs dans le groupe familial Livio (350 salariés, 65 millions d'euros de chiffre d'affaires) qui déploie ses activités entre la Lorraine, l'Alsace et le nord de la Franche-Comté.

Peduzzi entend mettre la stratoconception à disposition des architectes et profiter de la conjoncture réglementaire favorable. "On accède à des voutes, des ogives, des pièces circulaires. Les pièces produites offrent une longueur maximale de trois mètres et peuvent être assemblées entre elles. En théorie, on n'a pas de limite de taille. La nouvelle réglementation environnementale pour les constructions neuves RE 2020 révolutionne les modes de construction, les choix des matériaux et leur mise en œuvre sur les chantiers", estime Frédéric Peduzzi.

La stratoconception, un outil de plus dans la palette numérique du BTP

Pour Claude Barlier, l'exemple de cette entreprise familiale vosgienne ouvre la voie à un développement rapide de la technologie dont le Cirtes détient le brevet. "La stratoconception vient s'interfacer et enrichir les outils numériques déjà utilisés dans le domaine du bâtiment, tels que le BIM (Building Information Modeling, outil de modélisation numérique) ou les maquettes numériques", rappelle-t-il.

Le développement en cours d'un nouveau logiciel propriétaire, Topsolid Strato, permettra de concevoir des pièces sans besoin de transférer un modèle numérique existant. Le pôle Cirtes, qui se revendique comme "la plus grande plate-forme de fabrication additive en France, sur 8.000 mètres carrés", comprend une école d'ingénieurs (InSIC, 120 étudiants) et une société (Inori) chargée de la commercialisation de ses imprimantes 3D industrielles. "Les Vosges sont devenues une place forte de la fabrication additive", se félicite Claude Barlier.

Dans son rapport sur la fabrication additive en France, réalisé en 2017, le Pôle interministériel de prospective et d'anticipation des mutations économiques (Pipame) a estimé que "l'essor de l'impression 3D dans le secteur du BTP ne (faisait) que commencer, mais présentait un potentiel disruptif sur les outils et les méthodes de construction actuelles, ainsi que sur les durées de réalisation des chantiers". Ce rapport soulignait que le segment du bâtiment et de l'architecture, "réputé très conservateur", se positionnait de façon secondaire avec 3,2 % du marché mondial de la fabrication additive. Mais il voyait déjà plus loin que le Cirtes : selon le Pipame, la construction d'habitat directement sur site en impression 3D serait envisageable "dès 2029".

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