Quand le Sénat et l'Assemblée s'écharpent sur la politique « zéro artificialisation nette » des sols (ZAN)

Les élus locaux ne cessent d'alerter le gouvernement sur la difficulté à se plier aux objectifs nationaux de « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols en 2050. Pour assouplir les règles en la matière, une proposition de loi sénatoriale et un texte du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale risquent de se télescoper. Explications.
César Armand
(Crédits : Montage La Tribune Assemblée nationale Sénat)

C'est l'archétype de la politique publique, vertueuse sur le plan théorique, mais redoutablement complexe sur le plan pratique : la ZAN pour « zéro artificialisation nette » des sols. Toutes les opérations qui consistent à « transformer un sol naturel, agricole ou forestier par des opérations d'aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport » font en effet l'objet d'une réglementation stricte depuis la promulgation de la loi « Climat et Résilience » d'août 2021.

Depuis un an et demi, les responsables politiques locaux et nationaux reconnaissent que l'artificialisation des sols constitue l'une des « causes premières du changement climatique et de l'érosion de la biodiversité » et acceptent que d'ici à 2030, la consommation totale des espaces à l'échelle nationale ait diminué de moitié avant d'atteindre zéro artificialisation nette des sols (ZAN) en 2050. Mais sur le chemin pour y parvenir, élus, gouvernement et parlementaires se divisent.

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Acte I : les maires de France saisissent le Conseil d'Etat

Dès le lendemain des élections législatives de 2022, l'Association des maires de France (AMF) a saisi le Conseil d'Etat, le 22 juin, sur deux décrets d'application de la loi « Climat et Résilience » publiés le 29 avril. L'AMF reproche au gouvernement de donner « un coup de frein aux dynamiques locales », jugeant que ces deux décrets ont été publiés « dans la précipitation » et « dans une approche de recentralisation rigide ».

A peine une semaine plus tard, le 29 juin, le Sénat donne raison aux maires. Au nom de la commission des Finances, Jean-Baptiste Blanc publie un rapport de contrôle budgétaire sur les outils financiers en vue d'atteindre l'objet de « zéro artificialisation nette des sols ». Sur le terrain, le modèle économique reste en effet à définir, écrit le sénateur (LR) du Vaucluse. Il n'y a actuellement pas de financement, la pression foncière joue en défaveur des terres naturelles et agricoles, et il est généralement moins coûteux de construire des logements neufs que de « reconstruire la ville sur la ville », pointe-t-il alors.

Acte II : le Sénat interpelle le gouvernement

Des éléments de langage repris par sa collègue Françoise Gatel lors de la séance de questions au gouvernement du 13 juillet. La présidente (UDI) de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation revient sur des décrets d'application « quasi kafkaïens », « qui déforment l'esprit de la loi » et [qui] « nous conduisent collectivement dans une impasse ». Avant de demander au ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires s'il acceptait « la proposition du Sénat de réviser les conditions de mise en œuvre du "zéro artificialisation nette" (ZAN) ». En réponse, Christophe Béchu, ancien sénateur LR du Maine-et-Loire, admet « un manque d'information et d'outils pour être capables d'atteindre l'objectif ».

Tant et si bien que le sujet se trouve, encore, sur la table le 19 juillet lors d'une réunion au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires entre les ministres et les onze associations d'élus locaux. A l'ordre du jour, « l'agenda territorial » promis par la Première ministre Elisabeth Borne lors de son discours de politique générale du 6 juillet. Sans surprise, les représentants de l'Association des maires de France (AMF) sautent sur l'occasion pour évoquer la ZAN des sols ainsi que la « nécessité » de réécrire les décrets et d'obtenir des études d'impact.

Acte III : le gouvernement prêt à travailler avec le Sénat

Entre-temps, le Sénat lance une consultation des élus locaux en ligne ainsi qu'une mission de contrôle conjointe à la commission des affaires économiques, à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, à la commission des finances et à la commission des lois. Résultat : en conclusion de leurs travaux, la présidente de ladite mission Valérie Létard (UDI, Nord) et son rapporteur Jean-Baptiste Blanc (LR, Vaucluse) communiquent, début décembre, sur le dépôt d'une proposition de loi « visant à faciliter le déploiement des objectifs de zéro artificialisation nette au sein des territoires ».

« Ce pourra être sur la base du véhicule législatif proposé par le Sénat que la discussion autour de l'évolution du cadre du ZAN s'établira », affirment le 6 décembre aux parlementaires, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu.

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Acte IV : l'Assemblée défie le Sénat sur le terrain de la proposition de loi

Sauf que le 14 février 2023, jour où le représentant du gouvernement Borne est auditionné par le Sénat sur le sujet, le groupe Renaissance (ex-en Marche) de l'Assemblée nationale annonce le dépôt, à son tour, d'une proposition de loi « visant à renforcer l'accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l'artificialisation des sols ». Lors de la présentation de leur texte le 15 février, les députés Lionel Causse et Bastien Marchive expliquent vouloir « enlever les grains de sable » et en finir avec « les approximations aux échelle régionale, intercommunale et communale » du projet de loi « Climat et Résilience ».

Deux textes donc des deux chambres qui risquent de se cannibaliser. Actuellement en commission, la proposition de loi sénatoriale arrivera en séance publique le semaine du 13 mars, tandis que celle de l'Assemblée sera examinée en commission fin avril avant d'arriver en séance début mai. « Ce texte a vocation à être enrichi. La prochaine étape consiste à engager une discussion avec le Sénat pour aboutir à des propositions communes », déclare le député Renaissance Bastien Marchive.

Acte IV, scène 2 : les députés tendent la main aux sénateurs

Autrement dit, plutôt que de se retrouver en commission mixte parlementaire Assemblée-Sénat sur l'une ou l'autre proposition de loi, les macronistes du Palais-Bourbon tendent la main à leurs confrères du palais du Luxembourg pour trouver des accords dans un seul et même véhicule législatif. « La balle est dans le camp du Sénat », insiste Bastien Marchive.

Sauf que les députés Renaissance ont déjà défini ce qu'ils considèrent être des « lignes rouges » qui ne sont pas sans rappeler celles du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu. Par exemple, le Sénat veut instaurer un « plancher de droits à artificialiser », en l'occurrence laisser à chaque commune une enveloppe d'au moins un hectare. Soit près de 34.945 hectares au regard du nombre de communes au 1er janvier 2022. L'Assemblée, elle, préfère une « garantie rurale » totale de 22.000 hectares - et donc 12.945 hectares de moins - pour « loger les habitants et accueillir les entreprises ».

Quelle différence à part la quantité disponible ? « Nous proposons un pourcentage de la surface déjà artificialisée [1% des 220.000 hectares ces dix dernières années, Ndlr] et partons d'un principe de mutualisation à l'échelle intercommunale pour éviter qu'un territoire se voit amputé de tous ses droits à construire », affirme Lionel Causse. En réalité, le député ne fait que reprendre que les promesses de la Première ministre en clôture du congrès des maires. En novembre, Elisabeth Borne a « garanti » que toutes les communes rurales puissent bénéficier d'une possibilité de construction, en particulier, lorsqu'elles ont peu construit par le passé.

Acte V: épilogue chez le ministre Christophe Béchu ?

Deuxième idée forte avancée par les macronistes de l'Assemblée : une mutualisation de l'artificialisation liée aux grands projets nationaux d'intérêt général « définis par décret et limitativement énumérés », afin de ne pas impacter les droits à construire des communes les accueillant. Les sénateurs conseillent, eux, de placer les grands projets d'envergure dans un « compte foncier national » spécifique. Là encore, la locataire de Matignon s'est déjà exprimée sur le sujet, toujours porte de Versailles : « La liste de ces grands projets sera arrêtée au premier trimestre 2023 ».

Reste maintenant à mettre les députés et les sénateurs autour de la table. Celle du ministre Christophe Béchu ? D'autant que le groupe Renaissance de l'Assemblée commence déjà à décocher ses flèches : « Le Sénat pose la non-atteinte des objectifs [de non-artificialisation en 2030 et de ZAN en 2050] », estime Lionel Causse. « On ne peut plus être au doigt mouillé : c'est notre cadre de vie, de la terre qui nous nourrit dont on parle », appuie Bastien Marchive. « Restons zen du calme à la vie comme à la scène » chantait Zazie. Un refrain dont devraient s'inspirer les acteurs de la scène... politique.

« La logistique, c'est moins de 1% de l'artificialisation des terres en France »

Présentant ses résultats annuels 2022 ce 16 février, la directrice général de Prologis France, leader mondial de l'immobilier logistique, est revenue d'elle-même sur la ZAN : « La logistique, c'est visuellement significatif [les gros entrepôts, Ndlr] mais c'est moins de 1% de l'artificialisation des terres en France.», ­a déclaré Cécile Tricault.

« Nous y sommes tout fait à favorables mais sur la manière de calculer l'artificialisation, tous les usages se retrouvent en compétition : le bureau, le commerce, l'équipement public, l'industrie, la logistique... Pour des questions d'acceptabilité, la logistique n'est pas la première, mais [nous plaidons pour] qu'il y ait des espaces réservés et qu'on identifie les besoins futurs. C'est indispensable pour l'activité économique » a-t-elle poursuivi.

César Armand

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Commentaires 2
à écrit le 17/02/2023 à 10:58
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A quand l'interdiction de toute fondation sur les nouvelles constructions... par exemple? ;-)

à écrit le 17/02/2023 à 0:27
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C'est sans doute plus intelligent de densifier, d'empiler les gens et créer des ghettos😵‍💫

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