Comment corriger les faiblesses mises en lumière par la crise sanitaire et éviter de nouveaux camouflets ? Emmanuel Macron a encore rappelé lors de son allocution du 12 juillet sa volonté de « faire émerger dans notre pays et en Europe les champions de demain », notamment dans les biotechnologies. Pour ce faire, la France pourra s'appuyer sur un vivier de 750 biotechs, mais aussi 1.100 medtechs et 200 entreprises d'e-santé, comptabilisées par France Biotech. Et, bonne nouvelle, l'Hexagone est en pointe sur différents terrains, notamment la cancérologie, le microbiote, les machines cellulaires exosomes (très prometteuses pour soigner les maladies auto-immunes ou le cancer), ou encore la thérapie génique.
Associé du cabinet KPMG dont le baromètre annuel « Top Tech Tomorrow » a recensé les futurs champions français, Jean-Pierre Valensi analyse :
« Pour les biotechs, la tendance qui se dégage concerne principalement l'ADN et l'ARN messager, à la fois pour le diagnostic et la thérapie. Il y a un enjeu réel de santé publique autour de ces sujets et une prise de conscience liée à la crise sanitaire ».
Parmi les sélectionnées : Amolyt, pour ses traitements des maladies endocriniennes et métaboliques rares ; DNA Script et son imprimante à ADN ; Dynacure qui développe des thérapies contre les maladies orphelines graves ; TreeFrog Therapeutics, ayant mis au point un procédé de culture de cellules souches pluripotentes ; Vivet Therapeutics avec ses thérapies géniques pour les maladies hépatiques héréditaires et Stilla technologies, tournée vers l'analyse génétique de haute précision. KPMG identifie également des pépites parmi les medtechs : Cardiologs et sa solution simplifiée d'interprétation des électrocardiogrammes ; Diabeloop qui permet un traitement personnalisé du diabète de type 1 ; Owkin, utilisant l'intelligence artificielle appliquée à la recherche médicale ; ou encore eCential, dans le secteur de la robotique chirurgicale.
Financement
Pour éviter que ces fleurons reconnus et prometteurs ne cèdent aux sirènes de l'étranger, il faudrait donc tout d'abord les financer correctement.
« L'orientation de l'épargne et la création d'un cercle vertueux du financement sont de vrais sujets. Cela doit passer par la mise en place d'instruments de partage de risque ouverts à un public large et permettant de le limiter pour les particuliers via des mécanismes de garantie. Dans le privé, on oscille entre 750 millions et 1 milliard d'euros par an, il faudrait doubler ou tripler la mise, surtout pour les biotechs dont les besoins sont plus importants » souligne Jean-Pierre Valensi.
Frédéric Thomas, également associé chez KPMG, identifie d'autres freins à la capitalisation biotech : « Il n'existe pas à ce jour de réel marché européen de la santé. Une fois passé le marquage CE, l'accès au marché se fait pays par pays, voire région par région. De plus, les ruptures de continuité persistent selon les étapes de développement, même si de nombreux progrès ont été réalisés grâce à l'intervention de la BPI ou d'acteurs historiques comme Sofinnova ou Seventure».
Pour se financer, Innoskel s'est en partie tournée vers les États-Unis. Cette société développe des traitements pour les dysplasies du squelette, les collagénopathies de type 2. La plus grave est la deuxième des causes de nanisme. Installée à Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes), la biotech a effectué une levée de fonds de 20 millions d'euros avec Jeito Capital et l'américain Vida Ventures en 2020 pour financer la phase pré-clinique. Elvire Gouze, sa fondatrice, raconte :
« Nous allons d'abord lancer des études observationnelles pour bien comprendre cette maladie rare, pour ensuite avancer au stade clinique. Nous voulons ensuite développer une plateforme pour nous intéresser aux autres dysplasies du squelette et devenir leader mondial pour ces pathologies ».
Attirer les talents
La chercheuse n'en est pas à son coup d'essai. Sa première société Therachon, intervenant dans le même champ thérapeutique, a été vendue à Pfizer en 2019.
« Nous sommes dans une stratégie globale, certaines activités se prêtent plus à la France et d'autres plus aux États-Unis, mais il n'y a pas de raison pour nous de partir complètement. La création de valeur n'est pas forcément dans les mentalités françaises, et pour que cela change, passer par l'enseignement universitaire est indispensable. Une fois la startup créée, il faut aussi pouvoir attirer des talents et des investisseurs. Jeito a été un formidable accélérateur », insiste-t-elle. Après une croissance très rapide, 19 personnes travaillent chez Innoskel.
Une problématique que connaît bien la parisienne Aqemia, dont l'équipe d'une vingtaine de personnes est à la recherche de nouveaux talents. Née en 2019, sous l'impulsion de Maximilien Levesque, chercheur CNRS au sein de l'ENS (Normale Sup), et d'Emmanuelle Martiano, ingénieure de formation passée par le Boston Consulting Group, elle est à la croisée de plusieurs disciplines. Après une levée de 2 millions d'euros, la startup accompagnée par Elaia Partners, a signé un contrat avec Sanofi fin 2020 pour trouver des traitements contre le Covid.
« Nous développons en interne une plateforme logicielle basée sur de l'intelligence artificielle couplée à une physique unique, inspirée de la mécanique quantique, qui viennent de 10 ans de recherche à l'ENS Ulm. Nous collaborons avec des entreprises pharmaceutiques et biotechs du monde entier. Elles nous apportent une cible thérapeutique, à nous de trouver par logiciel le futur candidat médicament », indique Maximilien Levesque.
La jeune pousse vient de finaliser une deuxième « très belle » levée de fonds. Elle ambitionne désormais de trouver les médicaments de demain en choisissant elle-même ses cibles thérapeutiques et défend le terreau biotech français. « La qualité des formations, BPI France, le Plan pour la recherche et l'innovation présenté il y a quelques semaines ou encore le Crédit impôt recherche, sont des incitations énormes pour la création et le développement de startups », observe son cofondateur.
Aversion au risque
Reste l'incontournable aversion au risque de trop de financeurs français. Incubée à Polytechnique, Epilab conçoit des tests portables, simples et rapides de diagnostic de la tuberculose, répondant au cahier des charges de l'OMS. Chaque année 3 millions de cas de cette maladie ne sont pas détectés par manque de moyens dans les pays en voie de développement. La startup a été créée en mars 2020 par deux ingénieurs, Maurice Lubetzki et Clément Dubois.
« Epilab est issue de la recherche française, nous avons une licence de brevet dont les inventeurs sont deux chercheuses de l'université de Bourgogne et de l'INRAE. Nous commençons par la tuberculose, mais l'objectif est de compléter les carences existant dans le dépistage des maladies infectieuses. Notre idée est de développer notre outil de production en France et en Europe », précise Maurice Lubetzki.
Alors que la medtech boucle ce mois-ci une levée de fonds de 1 million d'euros, il pointe, lui aussi, des points d'amélioration à entreprendre dans notre système. « Les financeurs préfèrent souvent miser sur une société qui a fait ses preuves, plutôt que dans la Deep tech. Il y a une grande peur du risque, contrairement aux États-Unis où l'on fait plus facilement confiance à des projets naissants ».
À l'évidence des trous persistent dans la raquette qu'il faudra bien raccommoder pour permettre aux jeunes pousses françaises d'éclore et se développer... sans passer par la case expatriation. Un défi d'autant plus pressant que, chaque année, environ 60 startups santé voient le jour dans l'Hexagone.
______________
La santé à l'heure du sursaut
(1/5) : la recherche médicale française aux urgences
(2/5) : le parcours du combattant de l'innovation médicale
(3/5) : pourquoi nos biotechs misent sur l'étranger pour se développer
(4/5) : comment garder en France les champions de demain
(5/5) : la France peut-elle redevenir une nation leader de la pharmacie ?
Sujets les + commentés