La santé à l'heure du sursaut (5/5) : la France peut-elle redevenir une nation leader de la pharmacie ?

Épisode 5. Pôle ou centre, rattaché à un hôpital ou une école, concentrés ou dispersés dans une région, comment constituer les clusters en Innovation Santé qui manquent ? Pour faire face à la concurrence mondiale, la France va devoir choisir et arbitrer. Car de nombreux professionnels le reconnaissent : il vaut mieux un ou deux clusters internationalement reconnus que sept ou huit nouveaux centres.
(Crédits : Christian Hartmann)

Alors que le principe d'une troisième dose de vaccin contre le Covid-19 pour les plus fragiles a été adopté, Sanofi sera-t-il prêt à temps pour la campagne de rappel vaccinal ? En attendant une possible autorisation de mise sur le marché de son vaccin avec un an de retard, le Big pharma français tente de rattraper son retard technologique en créant un Centre d'excellence dédié aux vaccins à ARNm avec un investissement annuel de 400 millions d'euros. Un Centre qui se partagera entre Cambridge (Massachussetts, États-Unis) et Marcy-L'Étoile dans la métropole lyonnaise.

Cette troisième dose fait débat comme le précise Frédéric Altare, immunologue et directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

« Les variants actuels sont reconnus par les anticorps générés par les vaccins, ce qui suffit à éviter les formes graves de la maladie. Nous n'avons pas encore atteint les limites de l'immunité vaccinale et ce coronavirus ne pourra peut-être pas aller beaucoup plus loin dans ses capacités à muter. Mais les défenses immunitaires diminuent à partir d'un certain âge et un rappel peut être pertinent chez les personnes âgées ou fragiles pour anticiper une nouvelle vague. »

Cette troisième dose donne une forme de sursis aux retardataires de la course aux vaccins, au grand dam du patron de l'OMS Tedros Ghebreyesus. Et pour cause. Alors que certains pays ne sont même pas encore parvenus à vacciner leurs soignants faute de doses, le fait que les Etats occidentaux en réservent de nouvelles pour une éventuelle troisième injection parait aberrant. Avec ce coronavirus, l'immunité collective revient à ce que 80 à 90% de la population mondiale ait déjà été infectée ou vaccinée. On en est donc très loin.

Instituts, pôles ou clusters

Depuis que la santé est redevenue un secteur stratégique pour la France, les recettes du succès de Boston, de Cambridge ou de Bâle circulent dans le milieu. Et la formule est claire : des sites intégrant recherche académique, hôpitaux, industriels pharma et jeunes pousses biotech, le tout allié à des financeurs, venture ou capital risque pour la valorisation industrielle des découvertes. Sans oublier un cadre favorisant les rencontres informelles d'où naissent souvent les bonnes idées.

Le principe de regroupement de compétences dans un écosystème organisé aura porté différents acronymes depuis quinze ans. Mais la France n'a pas encore réussi à transformer l'essai. Malgré plusieurs tentatives de mise en réseau et d'animation territoriale avec les "Pôles de compétitivité" lancés en 2004 puis les "Instituts hospitalo-universitaires" (IHU) en 2010 dans le cadre du programme d'investissements d'avenir, notre pays n'a pas encore fait naître ces vergers d'innovation santé dans lesquels les Big pharmas ont très envie de s'installer. Cette année, le plan Innovation santé 2030 soutient les IHU et mise sur la formule clusters avec une enveloppe de 600 millions d'euros. Cette fois sera-t-elle la bonne ?

Sept pôles de compétitivité Santé et sept IHU

Dans l'exercice de regroupement, la France a peut-être souffert de clientélisme et de saupoudrage. Concentrer les moyens sur un seul territoire fâche toujours de nombreux élus et chaque département réclame son expertise subventionnée. Mais diviser conduit à réduire les moyens des élus.

Les sept Pôles de compétitivité "santé" se sont regroupés en réseau en 2018 pour gagner en visibilité et valoriser leur poids économique, mais ils sont encore très mal identifiés à l'international. Pour les grands labos et les fonds d'investissement, leur fonctionnement par projet ne permet pas une visibilité à long terme. Aujourd'hui, ces Pôles comme les IHU ont parfois réussi à créer des écosystèmes plus favorables à l'innovation, ils ont aussi posé les bases d'un décloisonnement académie/pharma et public/privé, de précieux outils dans le développement de vrais clusters.

Des priorités et des procédures harmonisées

Reste que le regroupement ne suffit pas. Il doit aussi prévoir des transports pour se rejoindre en moins de 30 minutes et des procédures simples pour faire avancer les projets rapidement, sans se laisser dépasser par les concurrents. Avec ses multiples statuts académiques et hospitaliers et faute d'avoir su harmoniser les démarches administratives, le terreau français n'est pas toujours le plus attirant pour des pharmas, comme le souligne Thomas Borel, directeur scientifique du Leem, l'organisation professionnelle des entreprises du médicament.

« On a souvent l'impression que des tas de brevet dorment sur des étagères de la recherche publique sans que personne n'ait évalué leur potentiel d'innovation santé. Nous manquons de modalités de coopération contractuelle homogènes entre les différents acteurs et d'une culture du partenariat public/privé par rapport aux autres clusters santé à l'international. »

Dans le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le sujet, seuls deux bioclusters ont été vraiment identifiés : le Génopôle et l'Oncopole de Toulouse qui ne pourraient cependant pas être comparés aux clusters de Boston ou de Cambridge. Selon Audrey Dufeu, co-rapporteure et députée LREM de Loire-Atlantique. « Il existe en France autant de CHU qu'aux États‑Unis. Cela doit nous réinterroger sur la façon de créer plus de collaborations entre les acteurs pour être réellement efficaces et audibles sur la scène internationale ».

Corbeil, Saclay et Lyon

Aujourd'hui, certains territoires sont considérés comme des pôles d'excellence santé : immunothérapie à Nantes, cancérologie à Toulouse ou génétique à Corbeil-Essonne avec le Génopôle. À côté de ce cluster génétique, un nouveau est en train de se constituer à Saclay autour de l'oncologie personnalisée, le traitement du cancer sur-mesure adapté au profil génétique des tumeurs et aux patients. Paris-Saclay réunit de grands noms de l'innovation santé, l'institut hospitalier privé Gustave Roussy spécialisé en oncologie, l'Inserm, l'école Polytechnique et Sanofi. Il accueillera bientôt aussi le pôle recherche et développement du groupe Servier.

À Nantes, un pôle d'excellence en immunothérapie s'est beaucoup développé autour du CHU avec l'Inserm. À Paris 15ème, l'Institut Imagine de l'hôpital Necker est expert en maladies rares et Lyon tient aussi la corde avec de bonnes compétences autour des maladies infectieuses avec un laboratoire sécurisé d'étude des virus (P4), BioMérieux pour les diagnostics et alors que Sanofi va y déployer un centre ARNm pour les vaccins nouvelle génération. Pour faire face à la concurrence, la France va devoir choisir et arbitrer. Car de nombreux professionnels le reconnaissent : il vaut mieux un ou deux clusters internationalement reconnus que sept ou huit nouveaux centres.

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La santé à l'heure du sursaut

(1/5) : la recherche médicale française aux urgences

(2/5) : le parcours du combattant de l'innovation médicale

(3/5) : pourquoi nos biotechs misent sur l'étranger pour se développer

(4/5) : comment garder en France les champions de demain

 (5/5) : la France peut-elle redevenir une nation leader de la pharmacie ?

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Commentaires 4
à écrit le 29/07/2021 à 16:44
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surfer sur la crise ! la pandémie - la peur sont des outils politique amplifiés par certains médias !le profit hélas

à écrit le 29/07/2021 à 15:17
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Oui, mais il faut changer nos politiques. Là aussi un cancel politique est à faire.

à écrit le 29/07/2021 à 11:31
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En pratique une épidémie de covid dans les élevages de porc (sans doute l'animal le plus proche de nous en dehors des singes ça dure 2 ansn reste 6/8 mois) Puisqu'on fait partie du peloton de tête mondial en médecine vétérinaire pourquoi ne pas me...

à écrit le 29/07/2021 à 8:28
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Pourquoi faudrait il devenir leader d'une économie décadente svp ? Justement c'est peut-être le moment de passer à autre chose.

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