De la COP21 à la COP24 : quel chemin parcouru ?

Alors que le réchauffement climatique s’emballe, la COP24 s’est ouverte à Katowice (Pologne) dimanche dernier dans un contexte politique qui s’est durci avec le retrait américain de l’accord de Paris. Le concept de « neutralité carbone », qui s’est largement diffusé en trois ans, dessine les contours d’un monde encore difficile à cerner.
Dominique Pialot
Le président polonais Andrzej Duda ouvre la COP24 à Katowice, le 3 décembre.
Le président polonais Andrzej Duda ouvre la COP24 à Katowice, le 3 décembre. (Crédits : Reuters)

Pessimisme de l'intelligence ou optimisme de la volonté ? Cette référence à Gramsci résume l'ambiguïté du sentiment dominant à l'examen des trois années écoulées depuis l'accord arraché aux 195 États (plus l'Union européenne) réunis à Paris en décembre  2015. Trois ans, presque jour pour jour, depuis que Laurent Fabius, président de cette 21e conférence des parties (COP), a abattu son petit marteau vert dans l'amphithéâtre surchauffé du Bourget, à l'issue de 13 jours (et nuits) de négociation. Même si une certaine euphorie l'emportait alors, on savait déjà que le cumul des engagements pris par les États en amont de la COP21 ne suffirait pas à atteindre l'objectif gravé dans l'accord de Paris : contenir la hausse des températures à + 2 °C, et si possible + 1,5 °C, par rapport à l'ère préindustrielle.

Les 200 pays rassemblés en ce début décembre pour la COP24 à Katowice (Pologne) doivent d'abord s'accorder sur les règles du jeu précises de cet accord (le Paris rulebook), qui doit entrer en vigueur en 2020. La transparence et le suivi sur les émissions, et sur le financement sont indispensables pour établir la confiance et créer les conditions d'une révision de leurs ambitions à la hausse. D'autant plus que le rapport spécial justement commandé au Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) à l'issue de la COP21, et rendu public le 8 octobre dernier, a montré qu'il serait nettement préférable de viser + 1,5 °C.

En effet, si même une telle hausse de la température moyenne à la surface de la terre aurait un impact important sur nos conditions de vie, dont les récentes catastrophes météorologiques ne sont que les prémices, la situation serait sans commune mesure si cette hausse atteignait +2 °C.

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Les changements climatiques en 2100

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Complot marxiste ou volonté divine

Mais le contexte international a bien changé en trois ans, et on ne peut pas dire que la COP24 s'ouvre sous les meilleurs auspices. Qui pouvait prévoir en décembre 2015 que Donald Trump accéderait à la Maison Blanche un an plus tard et confirmerait en juin 2017 sa volonté de sortir de l'accord de Paris les États-Unis (14% des émissions mondiales de gaz à effet de serre) ? Ou encore que le Brésil se choisirait également un président climatosceptique, lequel vient d'ailleurs de refuser d'accueillir comme prévu la COP25 en 2019 ? Comme le relevait récemment le président de l'Ademe, Arnaud Leroy, entre complot marxiste et volonté divine, le changement climatique n'est pas toujours pris au sérieux.

Mais il y a pire  : la plupart des signataires ne respectent pas les engagements - insuffisants pour rester dans les limites arrêtées par l'accord de Paris - qu'ils s'étaient eux-mêmes fixés en amont de la COP21. D'après le Grantham Research Institute et le Centre for Climate Change Economics and Policy (CCCEP), ils ne seraient ainsi que 17 (sur 195) à être dans les clous, dont trois en Europe  : la Macédoine, le Monténégro et la Norvège. Et seuls 58 ont adopté des plans destinés à les mettre sur la bonne voie. À ce rythme, on se dirige tout droit vers une flambée des températures d'au moins 3 °C.

Pour la première fois depuis trois ans, les émissions de gaz à effet de serre sont reparties à la hausse : + 0,7% entre  2016 et 2017 au niveau mondial, + 1,8% en Europe et + 3,2% en France. La tendance devrait se poursuivre en 2018.

Selon un récent rapport du PNUE (Programme des Nations unies pour l'environnement), les États doivent tripler leurs efforts pour rester sous la barre des 2 °C, et les quintupler pour espérer respecter le plafond de +1,5 °C.

Comme le souligne le coordonnateur du rapport, « l'écart (entre le niveau actuel des émissions et le niveau d'ambition de la COP21) est plus grand que jamais ». Il faudrait également atteindre un pic des émissions en 2020, ce que seulement 53 pays, comptant pour 40% des émissions mondiales, seraient en mesure de respecter. En outre, le volume des émissions mondiales devra être divisé par deux d'ici à 2030.

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Evolution des émissions de gaz à effet de serre

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Forte mobilisation des acteurs non étatiques

Mais tout n'a pas été aussi noir au cours de ces trois dernières années. Les énergies renouvelables ont atteint un record de 178 gigawatts installés en 2017, et la finance climat n'a cessé de gagner du terrain, bien qu'à un rythme trop lent. Qui aurait pu prédire que la mobilisation des acteurs non étatiques, impulsée lors de la COP21, se poursuivrait avec une telle vigueur ?

Aux États-Unis, face à un président climatosceptique, des villes et des États ont réaffirmé des objectifs ambitieux. Quelques jours seulement après l'annonce du retrait, 125 villes, neuf États, 902 entreprises et 183 universités lançaient l'initiative "We Are Still In", confirmant, chacun à son niveau, ses plans pour que les États-Unis respectent leurs engagements. En septembre dernier, un rapport publié lors du Global Climate Action Summit (regroupant 4.000 représentants du monde économique, réunis à San Francisco à l'invitation du gouverneur de Californie, Jerry Brown, et de Michael Bloomberg), démontrait que même en l'absence d'action au niveau fédéral, le cumul de leurs actions suffirait à respecter cet "American pledge".

Autre avancée de ces dernières années : bien qu'un prix du carbone universel semble toujours hors de portée, 46 pays et 26 provinces, représentant 15% des émissions mondiales, ont désormais instauré une tarification carbone, dont les revenus se sont élevés à 32 milliards de dollars en 2017.

Les entreprises ne sont pas en reste : 830 sociétés représentant 16.900 milliards de dollars de capitalisation se sont ainsi regroupées au sein du réseau de réseaux We Mean Business pour y partager leurs bonnes pratiques et mutualiser leurs forces en matière climatique. Selon le dernier rapport de la Global Commission on the Economy and Climate, les bénéfices économiques de la transition écologique pourraient atteindre 26 000 milliards de dollars d'ici à 2030, et permettre la création de 65 millions d'emplois.

Les ambiguïtés de la neutralité carbone

En plus du passage à 100% d'énergies renouvelables (visé notamment par les entreprises du réseau RE100), la neutralité carbone devient le nouveau mantra. L'objectif, qui figure dans l'accord de Paris à l'horizon 2060-70, a depuis été adopté par de nombreux États, régions et villes, dont la Ville de Paris, l'État français ou encore l'Union européenne.

Mais cette neutralité à l'échelle mondiale, obtenue en absorbant la totalité des gaz à effet de serre émis, pose de nombreuses questions, recensées par l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) : chaque État doit-il devenir neutre en carbone ? Jusqu'à quel point les technologies à émissions négatives (TEN), qui absorbent plus de gaz à effet de serre qu'elles n'en produisent, peuvent-elles y contribuer ? Quels efforts supplémentaires consentir pour réduire au minimum les émissions, et jusqu'où, avant de les compenser ?

La popularité de la neutralité carbone, qui figure désormais aussi bien dans les slogans d'ONG que dans ceux des entreprises, et peut dessiner un cadre commun pour une action climatique ambitieuse, inquiète pourtant. Certains craignent en effet que ce concept n'incite à en rabattre sur les objectifs de réduction pour se concentrer sur la préservation de puits de carbone naturels (forêts, sols, écosystèmes côtiers) et le développement de technologies d'absorption. Faute de compétitivité économique en l'absence de prix du carbone suffisant, le captage et stockage de CO2 restent peu développés.

La bioénergie avec capture et stockage du carbone (BECCS) apparaît comme l'une des mesures les plus efficaces. Il s'agit de produire de l'énergie en brûlant de la ligno-cellulose (provenant de plantes, d'arbres ou de cultures agricoles) tout en piégeant les fumées afin d'en capter le CO2, pour le ­comprimer et le stocker dans des sites de stockage géologique. Mais, outre la quantité de terres, d'eau et de nutriments nécessaires et le potentiel conflit avec la production alimentaire, la BECCS pourrait avoir un impact irréversible sur la biodiversité et, comme la fertilisation des océans également envisagée, des effets imprévisibles sur le changement climatique. À ce stade, la capture directe d'air avec séquestration de carbone (DACCS) semble la TEN la moins risquée, mais elle n'en est encore qu'au stade des balbutiements.

Transformations rapides et de grande ampleur

Dans le rapport du Giec du 8 octobre, on peut lire qu'à condition de "transformations rapides et de grande ampleur de nos sociétés", les 1,5 °C sont à notre portée. C'est également la conviction de Bertrand Piccard, qui, avec sa fondation Solar Impulse, a entrepris de recenser puis labelliser un millier de solutions technologiquement faisables, aux impacts sociaux et environnementaux positifs, et économiquement rentables. Des solutions qu'il ira ensuite présenter aux gouvernements du monde entier.

Citant l'électrification, l'hydrogène, l'agriculture biologique, le captage et stockage (ou réutilisation) de CO2, les experts du Giec mettent néanmoins en garde  :

« L'efficacité de ces options est techniquement prouvée à différents niveaux mais leur déploiement à grande échelle devrait être limité par les capacités financières et d'acceptation sociale ainsi que par des contraintes institutionnelles et des caractéristiques inhérentes aux grands sites industriels. »

C'est pourquoi, pour reprendre les mots du climatologue Hervé Le Treut, « il faut laisser une place à l'hypothèse d'un réchauffement ». Autrement dit, combiner mesures d'atténuation destinées à limiter le réchauffement, et mesures d'adaptation permettant de résister aux effets inévitables d'un changement déjà à l'œuvre partout sur la planète. Pour le chercheur Patrick Criqui, spécialiste en économie du climat, la neutralité carbone implique d'adopter une approche rétroactive et non plus de travailler, comme on l'a fait jusqu'à présent, sur des déviations par rapport à une trajectoire. « Les poissons ont sauté du bocal », conclut-il.

Dominique Pialot

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Commentaires 20
à écrit le 09/12/2018 à 23:17
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Chers amis de La Tribune et des médias "main stream", avez-vous conscience qu'en continuant à relayer ces fake news sur le réchauffement climatique, vous vous rendez complices d'une arnaque scientifique fondée sur des données fausses ou interprétées ...

à écrit le 09/12/2018 à 18:32
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Comme vous l’avez sans doute constaté, de nombreux français sont aujourd’hui préoccupés par le réchauffement climatique et veulent agir pour le contenir. Or il faut avoir à l’esprit que, par exemple pour le CO2, les émissions de la France sont de 1,2...

le 09/12/2018 à 21:34
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Qu’on contient le co2 ou pas ça ne changera rien du tout C’est «  juste un syndrome de la peur de la mort » c’est tout Ces problèmes existent depuis la nuit des temps. C’est ce manque d’honnêteté qui bloquent tout, les gens ne sont pas dupes.

le 10/12/2018 à 6:32
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Rapport direct entre le taux de CO2 et la température ?

à écrit le 09/12/2018 à 17:42
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"leur déploiement à grande échelle devrait être limité par les capacités financières" empruntons ? :-) Les calculs de l'ADEME 'montrant' qu'à une certaine date on pouvait en France n'avoir que des énergies renouvelables, à condition également de réd...

à écrit le 09/12/2018 à 11:01
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C'est un fond de commerce pour bobos , vôtez pour moi et je vous sauverai de la fin du monde . C'est un nouveau type de carrières très recherchées .

à écrit le 09/12/2018 à 10:53
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L’Allemagne ferme ses centrales, pour les remplacer par du charbon. J'ai du mal à comprendre.

à écrit le 09/12/2018 à 10:37
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Ici je me suis encore fait censurer un commentaire ni insultant ni hors sujet.

à écrit le 08/12/2018 à 18:45
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Bravo pour cette analyse objective des COP successives. Le système semble bloqué ,mais si on laissait la place à l'optimisme de l'intelligence! Le raisonnement des experts du GIEC est basé sur des analyses justes sur le réchauffement mais pas tout à ...

à écrit le 08/12/2018 à 18:44
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Bravo pour cette analyse objective des COP successives. Le système semble bloqué ,mais si on laissait la place à l'optimisme de l'intelligence! Le raisonnement des experts du GIEC est basé sur des analyses justes sur le réchauffement mais pas tout à ...

à écrit le 08/12/2018 à 15:20
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Bilan des COP 21 à 24. Plusieurs milliers de petits fours ont été mangés et pas mal de bouteilles de champagnes vidée. Je suis fier d'assister à un tel spectacle montrant la vacuité de vouloir laisser des politique essayer de changer le monde. Pe...

à écrit le 08/12/2018 à 11:59
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Tout cela pour mettre en route la financiarisation du carbone et la taxation carbone! Mais surtout pas les solutions qui risque d'échapper a la finance!

à écrit le 08/12/2018 à 9:06
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Tout pendant que la COP ne prendra pas en compte l'augmentation à venir de la population de la consommation mondiale de pétrole, du transport maritime et aérien donc s'interroge sur la quête sans fin de croissance du système libéral tout cela ne rest...

le 08/12/2018 à 14:48
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C'est profond...

à écrit le 08/12/2018 à 8:51
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Entre la COP21 et celle qui arrive, que d'argent dépensé inutilement. En premier les subsides des "experts" du GIEC pour qui c'est la poule aux œufs d'or. Imaginez qu'ils disent qu'en fait, il n'y pas plus de réchauffement que de cheveux sur le crâne...

à écrit le 07/12/2018 à 21:16
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La COP 21 à Paris a été un grand enfumage .Aucun controle possible ,aucune contrainte imposé aux états !Ceux çi se sont engagés verbalement sans aucun objectif contrôlable ,des mots ,du pipeau ,du vent !Je vous invite à aller voir la synthese de la C...

à écrit le 07/12/2018 à 20:04
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A quoi voyez-vous s'emballer le réchauffement climatique Sur un graphique de relevés de températures de la basse atmosphère effectué par satellite, on constate que la température de septembre 2018 est pratiquement la même (à 0,14 °C pres) que celle ...

à écrit le 07/12/2018 à 18:23
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Il n'y a pas de climato-sceptiques, juste des gens qui pensent que les phénomènes naturels jouent un rôle plus important que l''activité humaine, la preuve en étant donnée par l'histoire : le monde a connu de nombreux bouleversements climatiques sans...

le 08/12/2018 à 11:12
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@ jeansanspeur Entierement d'accord avec vous.Tout ceci sent la manipulation à plein nez

à écrit le 07/12/2018 à 17:15
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J'ai participé à la COP22 et la COP23. C'est du flan, des réunions, conférences, cocktails durant lesquels les politiciens et fonctionnaires s'auto congratulent alors que rien ne se fait. Cette caste est juste contente de voyager ainsi tout frais pay...

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