Déchets d'emballages : l'échec de Léko est-il celui du principe pollueur-payeur à la française ?

La société Léko, premier concurrent potentiel d'Eco-emballages, agréée pour la gestion entre 2008 et 2012 des déchets d'emballages ménagers, n'a pas pu trouver les fonds pour financer ses futures missions. Ses difficultés interrogent sur les conditions de l'agrément de l'Etat.
Giulietta Gamberini
Aucune règle n'existe quant au comportement que devra désormais adopter l'Etat, qui pourrait donc se remettre à la capacité de Citeo de couvrir l'ensemble du marché. "La concurrence n'étant pas formellement requise, et l'appel d'offres ayant été fructueux, il n'existe aucune obligation d'obtenir qu'un autre candidat se manifeste", explique Carl Enkell.

La situation, inédite, a pris tout le monde de court. La société Léko, agréée par l'Etat avec Eco-emballages et sa filiale Adelphe pour la gestion entre 2018 et 2022 des déchets d'emballage ménagers, a annoncé le 20 octobre jeter l'éponge. "Aucune nouvelle source de financement suffisante n'a pu être trouvée, que ce soit en actionnariat ou auprès de nouveaux partenaires", a-t-elle expliqué dans un communiqué: "En conséquence, le conseil d'administration n'a pu qu'acter l'incapacité de Léko à déployer ses projets et services".

Pour financer ses activités jusqu'en avril-mai 2018, date à laquelle elle aurait pu collecter les premières éco-contributions (à savoir la taxe reversée chaque année par les metteurs sur le marché à leur éco-organisme d'affiliation, pour financer sa mission d'intérêt général du traitement des déchets concernés), la société avait besoin d'environ un million d'euros, détaille Aymeric Schultze, directeur de Léko. Elle avait déclaré rechercher "de toute urgence" ces financements déjà au début du mois d'août.

"Une efficacité retrouvée"

Créée en octobre 2016 sous l'impulsion de Valorie, filiale du recycleur allemand Reclay, laquelle l'avait financée à hauteur de 2,8 millions d'euros, Léko s'était fixé l'objectif explicite de constituer le premier concurrent de l'éco-organisme qui depuis 1992 détient en France le monopole de l'organisation du tri et du recyclage des emballages ménagers, Eco-emballages. Ce monopole de fait, issu de la procédure d'agrément française, ne trouvait en effet pas de fondement législatif explicite: la directive européenne "Déchets" de 2008 encadrant le système de "responsabilité élargie du producteur" (REP), qui transfère des collectivités vers les metteurs sur le marché la responsabilité en matière de traitement des déchets, se limite en effet à ne pas mentionner l'enjeu de concurrence. Et l'intérêt de la protection de l'environnement peut autoriser les Etats membres à adapter les règles du libre marché pour ce secteur extrêmement régulé, explique Carl Enckell, avocat spécialiste du droit de l'environnement.

Au cours des années, des critiques s'étaient d'ailleurs levées contre l'efficacité de l'opérateur unique, le taux de recyclage des emballages plafonnant depuis plusieurs années en dessous de 70%, alors que selon le Grenelle de l'environnement il aurait dû atteindre 75% en 2012. Interrogé en juillet 2015 par La Tribune, Pascal Gislais, président de Valorie, insistait notamment sur la lourdeur des procédures imposées aux metteurs sur le marché par Eco-emballages, sur le manque de transparence dans sa gestion, ainsi que sur la perte de tout dialogue avec ses 50.000 entreprises adhérentes. A l'AFP, Léko promettait ainsi "une efficacité retrouvée" pour la filière du recyclage des emballages ménagers en plastique, affirmant, avant d'obtenir l'agrément, être soutenue par 20% du marché: 650 entreprises représentant 135 millions d'euros d'éco-contributions.

25 ans d'avance

Le monopole d'Eco-emballages, qui dans le cadre d'un mouvement général de consolidation des éco-organismes a fusionné en 2017 avec Ecofolio et pris le nom de Citeo, s'est révélé toutefois bien plus dur à briser que prévu. Première raison, l'inertie: "Ses 25 ans d'avance lui ont conféré une force de frappe considérable", note maître Enckell. D'autant plus face à des cahiers de charges "extrêmement contraignant, laissant très peu de place à toute volonté de se différencier", souligne Pascal Gislais.

Le calendrier de l'agrément a d'ailleurs joué un rôle particulièrement pénalisant pour un nouveau joueur comme Léko. Après avoir accordé en 2017 une année de transition à Eco-emballage, qui pour Léko s'est traduite en un accroissement des coûts sans recettes, l'Etat a en effet publié son décret d'agrément en avril alors qu'il était attendu en début d'année: un retard qui a obligé la société à chercher financements et adhérents pendant la période plus morose de l'été, afin de tenir le délai de la souscription de ses contrats d'affiliation avant le 30 septembre 2017 et d'être opérationnelle au 1er janvier 2018, explique son président Steve Lawson.

Les metteurs sur le marché veulent être clients, pas propriétaires

Mais les difficultés rencontrées par Léko semblent aussi directement dépendre de la conception même des éco-organismes adoptée par la France (avec quelques autres pays européens). En interprétant de manière stricte le principe pollueur-payeur et la philosophie de la REP, le code de l'environnement français impose en effet que l'éco-organisme chargé par des metteurs sur le marché d'emballages de la gestion de leurs déchets -lorsqu'ils choisissent de ne pas s'en occuper directement- soit créé collectivement et donc détenu par ceux-ci. Or, c'est justement l'une des contraintes qui a fait obstacle, selon Pascal Gislais. Léko,  qui compte parmi ses actionnaires fondateurs recycleurs, organisations professionnelles et metteurs sur le marché d'emballages (Valorie, France Emballage, l'Adepale; Group'Hygiène,  Ficime, Cérélia et La Toque angevine, pour une capitalisation de 80.000 euros), a justement peiné à séduire parmi ces derniers.

"L'argument du renforcement de la concurrence ne suffit pas à convaincre les entreprises dont le recyclage n'est pas le cœur du business de l'intérêt d'être propriétaires d'un éco-organisme", explique Pascal Gislais. "Elle veulent bien en être clientes, mais c'est tout", résume-t-il.

Ainsi, malgré le soutien de "pas mal d'entreprises" et un vrai désir d'une alternative à Eco-emballages, "elles n'ont pas sorti leur carnet de chèques", déplore Steve Lawson. Alors que les banques ont elles aussi arrimé leurs prêts éventuels à d'importantes garanties des metteurs sur le marché, lesquels toutefois ne se sont pas mobilisés, ajoute Pascal Gislais. "On espérait les convaincre et convaincre l'Etat de lever cette obligation d'être propriétaire d'un éco-organisme", note le président de Valorie. Mais cette oeuvre de pédagogie "prend plus de temps qu'on le croyait", selon le président de Leko.

Un système inadapté

La pertinence de cette limitation interroge donc, car non seulement son caractère indispensable afin de garantir la responsabilisation des metteurs sur le marché est à démontrer, note Pascal Gislais, mais on peut aussi se demander si une structure contrôlée par les producteurs d'emballages eux-mêmes est véritablement la mieux apte pour porter l'intérêt général au recyclage voire à l'éco-conception. "L'avantage d'un prestataire indépendant est la transparence", estime le président de Valorie, qui prône une révolution copernicienne: un modèle fondé sur de simples obligations de résultat assorties de contrôles strictes du respect des objectifs fixés.

Ce qui est sûr selon ce dernier c'est que l'échec de Léko est la preuve du caractère inadapté du système en place. "Il est important qu'il y ait une pluralité d'acteurs", estime aussi Steve Lawson, pour qui "le peu que Léko a fait a déjà fait bouger l'offre de l'opérateur historique".

La concurrence en suspens

Que sera-t-il donc de cette concurrence que Léko aurait dû assurer? Pour l'instant, tout est en suspens. L'Assemblée générale et le Conseil d'administration de la société doivent encore se réunir pour en déterminer le sort. Et aucune règle n'existe quant au comportement que devra adopter l'Etat, qui pourrait donc se remettre à la capacité de Citeo de couvrir l'ensemble du marché. "La concurrence n'étant pas formellement requise, et l'appel d'offres ayant été fructueux, il n'existe aucune obligation d'obtenir qu'un autre candidat se manifeste", explique Carl Enckell.

Mais la question de la nécessité d'assurer une meilleure concurrence sera probablement posée lors de la révision de la directive "déchets" de 2008 prévue en 2018, note l'avocat. Et en France, l'opportunité de réfléchir aux raisons de l'échec de l'ouverture de la première REP française s'offre dans le cadre de l'élaboration de la feuille de route gouvernementale sur l'économie circulaire, que le gouvernement Philippe veut présenter en début 2018. Elles rentrerait dans le cadre d'une refonte complète de la gestion des déchets non dangereux que plusieurs acteurs invoquent, et qui imposerait également de s'interroger sur les compétences purement financières et non pas opérationnelles des éco-organismes en France, sur l'opportunité de continuer de différencier les déchets ménagers de ceux des entreprises, de favoriser l'industrialisation des centres de tri, d'uniformiser les consignes, et aussi de taxer certains des déchets aujourd'hui non soumis au principe du pollueur-payeur.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 07/11/2017 à 9:34
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Merci beaucoup pour cet article, je me suis toujours posé des questions déjà sur l'utilité de cette société qu'est éco-emballage, le fait que l'état lui empêche toute concurrence me fait douter encore plus. A mon avis en grattant un peu...

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