A l'heure de l'urgence climatique, c'est un choix qui interpelle. Tandis que de fortes chaleurs ont frappé la France, plusieurs sites de production d'électricité peu émetteurs de gaz à effet de serre ont été bridés la semaine dernière malgré l'explosion de la demande, tandis que des centrales à l'intensité carbone près de 100 fois plus élevée ont été appelées pour y répondre. De quoi faire grimper l'empreinte écologique de la production d'électrons dans l'Hexagone à plus de 110 grammes de CO2 par kilowattheure (KWh) le 20 juillet, alors même que le pays enregistre très rarement des niveaux au-delà des 100g CO2eq/KWh.
En effet, ce jour-là, le réseau électrique a été alimenté par des turbines à combustion au fioul, à raison de 1,3 gigawatt (GW), selon les données du gestionnaire national du réseau de transport d'électricité, RTE. Soit la puissance du réacteur n°2 de la centrale nucléaire de Golfech, dont les capacités se trouvaient dans le même temps réduites à 0,3 GW à cause de limitations réglementaires de rejets d'eau chaude dans la Garonne (dont la température dépassait les 28°C).
« Les moyens de production, notamment nucléaires, étaient à un niveau plus faible que d'habitude. Pour assurer l'approvisionnement de tous les Français en électricité, il fallait donc solliciter de nouveaux moyens. Mais RTE ne fait pas de discrimination sur l'origine de l'électron, c'est le marché et les fournisseurs qui font cet arbitrage », explique-t-on chez RTE, qui se charge d'équilibrer à tout moment l'offre et la demande sur le territoire.
Et pourtant, face aux canicules, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et le Ministère de la transition énergétique avaient autorisé quelques jours plus tôt une dérogation environnementale pour les centrales nucléaires de Saint-Alban, Golfech, le Blayais et le Bugey. Le but : que ces sites puissent temporairement dépasser les niveaux réglementaires de température d'eau rejetée dans les fleuves et rivières, en cas de demande de RTE. Comment se fait-il alors que le gestionnaire du réseau n'ait pas enjoint EDF à y augmenter sa production, afin d'éviter de recourir au fioul ?
L'équilibre offre demande n'est pas suffisant
En fait, ce régime d'exception environnementale s'avère extrêmement encadré, et ne peut pas être activé en cas de « simple » décalage entre production et consommation. « Quand on demande une dérogation, c'est uniquement pour une question de sécurité technique du réseau, et en aucun cas pour assurer l'équilibre entre l'offre et la demande. Autrement dit, on n'appelle pas un réacteur à produire plus en ne respectant pas les seuils habituels juste parce qu'on manque d'électricité », précise-t-on chez RTE.
Ainsi, le dispositif n'est prévu qu'en cas de danger imminent pour le réseau, dont l'intensité doit être constamment surveillée. « C'est comme une corde de guitare qui doit être tendue des deux côtés. Si une centrale s'arrête d'un coup pour des raisons environnementales, la corde se détend, la tension baisse, ce qui peut abîmer les infrastructures », explique un connaisseur du secteur.
C'est d'ailleurs ce qu'il s'est passé le jour suivant : le 21 juillet, RTE a demandé à EDF de garantir une puissance du réacteur 2 de Golfech à hauteur de 300 MW. Celle-ci sera finalement « augmentée pour atteindre 1.300 MW », peut-on lire dans une note d'information publiée par l'énergéticien (Golfech 1 étant fermé à cause d'un défaut de corrosion). Toutefois, la demande de RTE n'a pas pour but d' « assurer l'équilibre entre l'offre et la demande en électricité », comme l'explique pourtant la note d'EDF. Mais elle servira bel et bien à maintenir la centrale à un niveau d'activité permettant de garantir le fonctionnement du réseau en sécurité.
Des seuils d'échauffement remis en cause
Un tel système interroge sur l'arbitrage opéré entre, d'un côté, le niveau d'émissions de CO2 (qui sont bien réelles, mesurables et dont l'impact sur le climat n'est plus à démontrer) et de l'autre, l'étendue du principe de précaution en matière d'échauffement des cours d'eau par les centrales nucléaires. D'autant que les seuils en vigueur restent sujets à controverse :
« A l'origine, ils sont issus de la littérature scientifique des années 1970, avec la fameuse typologie de Verneaux qui définit des objectifs et critères de qualité des eaux courantes. Mais il faudra probablement que l'on affine la réglementation en fonction du retour d'expérience et des données recueillies, avec une analyse plus précise rivière par rivière, milieu par milieu. [...] Cette canicule devrait nous pousser à repenser les seuils de température des cours d'eau en vigueur », affirmait même la semaine dernière à La Tribune l'inspecteur en chef de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Christophe Quintin.
L'annonce d'une dérogation avait pourtant entraîné une vive polémique : « L'eau trop chaude rejetée dans le fleuve, induira des pertes de biodiversité accroissant le cycle infernal de l'effondrement », avait même réagi sur Twitter la députée EELV Sandrine Rousseau. Mais si l'on en croit le gendarme du nucléaire, aucune donnée ne permet pour l'heure de démontrer l'existence d'un réel impact sur les écosystèmes environnants, que ce soit via l'étude des poissons, des planctons ou des cyanobactéries.
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