Inciter économiquement les Français à diminuer leur consommation d'électricité durant les heures ou jours de pic de consommation en augmentant les tarifs à ces moments précis, afin de passer les périodes de tensions sans encombre. Tel était le sens du fameux abonnement « Effacement jour de pointe » (EJP) introduit par EDF en 1982, et que le gouvernement souhaite remettre au goût du jour, selon nos informations.
L'exécutif cherche en effet à inciter les fournisseurs d'électricité à relancer commercialement ce type d'offre, appelé à « pointe mobile » et dont le nombre de clients n'a fait que chuter ces dernières années. Dans une lettre envoyée la semaine dernière aux fournisseurs d'électricité et que La Tribune s'est procurée, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, leur demande de se mobiliser pour « développer ce modèle » et « en faire la promotion ».
Et pour cause, cette option permet d'adapter mécaniquement la demande à l'offre via un signal-prix clair envoyé au consommateur, en échange de contreparties financières comme des tarifs plus avantageux hors période de pointe.
« C'est un sujet qu'on regarde de très près. Les tensions sur le réseau électrique sont très concentrées sur quelques heures ou jours par an. Ce type d'offre sera donc fondamental pour passer l'hiver prochain », glisse-t-on au cabinet d'Agnès Pannier-Runacher.
De fait, sans action claire sur la consommation des Français, l'hiver promet d'être rude : alors que le pays a déjà largement réduit ses marges en fermant de nombreuses centrales électriques pilotables, le défaut de corrosion qui touche actuellement le parc nucléaire promet de contracter un peu plus l'offre disponible durant la saison de chauffage. D'autant que les capacités d'importation pour combler les manques en période de pointe seront limitées; les pays voisins risquant eux-mêmes de ne pas disposer d'assez de gaz pour produire leurs électrons du fait de la guerre en Ukraine. Dans ces conditions, chaque grand fournisseur sera donc incité à « faire de la publicité pour dire : ne vous demandez ce que votre pays peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour votre pays », explique une source ministérielle.
Elargissement du tarif « Tempo » d'EDF
Jusqu'ici pourtant, le paradigme semblait tout autre. L'an dernier, le gouvernement a en effet mis en place un bouclier tarifaire, qu'il compte maintenir jusqu'à fin 2022, et a limité la hausse du tarif réglementé de vente d'électricité (TRV) à +4% (contre près de +40% s'il n'avait pas agi). Or, si ces protections permettent de contenir largement les factures des Français, elles ne les incitent pas à adapter leur consommation à l'offre réelle, et donc à décaler leur consommation en cas de surtension.
« Par conséquent, il y a une déconnexion entre le prix réellement payé et l'approvisionnement sur le réseau. Or, le prix du kilowattheure (kWh) augmente, et surtout varie énormément dans la journée selon la demande », explique Aurian de Maupeou, courtier en énergie et cofondateur de Selectra.
De fait, le kWh consommé à 15 heures un jour de creux en été n'a pas la même valeur sur le marché que celui d'un pic un soir d'hiver en pleine crise énergétique. Pour en tenir compte, il existe certes les fameux tarifs heures pleines/heures creuses, auxquels près de la moitié des clients au TRV ont souscrit. Mais cette option ne se soucie pas des creux et les pics réels sur le réseau à chaque instant. « Les horaires ont été fixés dans les années 1980 et n'ont pas bougé depuis », précise Aurian de Maupeou.
A l'inverse, une offre à « pointe mobile » prend en considération les variations réelles. Concrètement, avec le tarif « EJP » (qui n'est plus proposé à la vente mais dont certains bénéficient toujours), le consommateur apprend la veille pour le lendemain si des pointes sont prévues, auquel cas il paiera deux fois plus cher qu'en période « normale »...et décalera donc sa consommation.
« Dans ce cas, une lumière rouge envoyée par une impulsion s'allume sur une sorte d'appareil avec deux lampes installées sur un boîtier », précise Aurian de Maupeou.
Par ailleurs, EDF propose toujours le tarif « Tempo », qui est la combinaison d'un tarif « heure pleine/heure », creuse (6h00-22h00 et 22h00-6h00) et d'un tarif « pointe mobile », distinguant trois types de jours : 22 jours rouges, 43 jours blancs et 300 jours bleus. Selon nos informations, c'est ce type d'option hybride que les pouvoirs publics comptent encourager.
« Pendant 22 jours non définis à l'avance, le tarif est dissuasif et, en contrepartie, il y a une réduction de 20% en moyenne du prix au kWh pour ceux qui y consentiront », souligne Aurian de Maupeou.
Pour ce tarif « Tempo », EDF ne vise néanmoins que les gros consommateurs (puissance minimum de 9kVA) disposant d'un « d'un mode de chauffage alternatif ». Ainsi, en tout, près de 600.000 clients particuliers seulement ont souscrit aux options « Tempo » ou « Effacement Jour de Pointe » du TRV, selon l'énergéticien. « Le modèle historique de l'EJP, c'est un client avec une cheminée qu'il peut allumer quand les prix montent en heure de pointe. Mais ce modèle a changé : on pense que beaucoup de Français doivent avoir la possibilité de moduler beaucoup leur consommation sur quelques jours par an », affirme-t-on dans l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher. Autrement dit, le public visé sera bien plus large.
Informer chacun sur sa consommation
Reste que tous les consommateurs ne seront pas concernés, puisqu'il ne s'agit que d'une option parmi les différentes offres. « Ce sera uniquement volontaire », insiste-t-on au ministère de la Transition énergétique.
« La tarification dynamique ne s'applique pas à tous les clients d'un fournisseur donné. A la fin, l'offre de base sera la moins chère pour celui qui fait jamais attention, l'offre heure pleine/heure creuse la plus adaptée pour celui qui aligne sa consommation aux heures creuses, et l'offre à pointe mobile la meilleure pour celui qui la pilote via un système intelligent et flèche ses consommations au moment où c'est le moins cher », précise Aurian de Maupeou.
Surtout, une telle offre nécessite de mettre en place des moyens adaptés afin d'informer rapidement et facilement les consommateurs. A cet égard, le compteur communicant Linky a rendu possible la mesure précise des consommations heure par heure. Mais le projet d'installation d'un affichage déporté, autrement dit d'un cadran placé dans les foyers afin de montrer chaque jour sa consommation aux clients, a lui pris énormément de retard. Dans ces conditions, « il faut demander aux fournisseurs de communiquer auprès des clients sur tout ce qui existe pour connaître sa consommation et apprendre à la maîtriser », affirme-t-on au cabinet d'Agnès Pannier-Runacher. Une information qui passera sans doute également par des applications en ligne, à l'instar de la plateforme EcoWatt développée en 2020 par le gestionnaire national du réseau d'électricité, RTE.
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