Énergie : industriels et gouvernement français inquiets des projets de Bruxelles

Soutien aux énergies renouvelables, sécurité d’approvisionnement, tarifs réglementés… la France n’est pas en phase avec plusieurs dispositions prévues dans le prochain paquet énergie climat qui doit entrer en vigueur en 2019.
Dominique Pialot
Paris opposé à plusieurs points du prochain paquet énergie climat européen

Présenté le 30 novembre dernier, le paquet d'hiver énergie climat de la Commission européenne n'en finit pas de susciter la défiance auprès des Français. Critiqué à l'époque par les ONG pour son manque d'ambition, il n'est pas mieux accueilli par les industriels du secteur. Plusieurs d'entre eux ont profité du colloque annuel du syndicat des énergies renouvelables (SER) le 31 janvier dernier pour le faire publiquement savoir à Mechthild Wörsdörfer, directrice en charge de la politique énergétique à la direction générale (DG) de l'énergie de la Commission. Côté gouvernement, la direction de l'énergie et du climat (DGEC) a rappelé le 1er février ses divergences sur plusieurs points, largement partagées par les sénateurs présents lors de l'audition publique de son directeur général Laurent Michel et de sa directrice à l'énergie Virginie Schwartz.

Entrée en vigueur en 2019

Baptisé « Une énergie propre pour tous les Européens », ce paquet d'hiver s'inscrit dans le cadre du paquet énergie-climat 2030 adopté par le Conseil européen en octobre 2014. Concernant les énergies renouvelables, il s'articule autour de trois objectifs centraux : rendre à l'Europe sa place de leader mondial, s'attaquer en priorité à l'efficacité énergétique et mettre un consommateur actif, informé et protégé au centre du dispositif, en favorisant notamment l'autoconsommation.

Les objectifs chiffrés à l'horizon 2030 fixent à 27% le pourcentage d'énergies renouvelables dans le mix européen, à 30% l'amélioration de l'efficacité énergétique et à 40% la baisse des gaz à effet de serre en comparaison de 1990.

Mechthild Wörsdörfer a rappelé lors du colloque du SER que l'adoption de ce paquet, qui doit entrer en vigueur en 2019, figurait parmi les priorités européennes, et évoqué la date de fin 2017. Mais la DGEC juge cette échéance très optimiste et table plutôt sur fin 2018.

Il faut dire que les points de divergence ne manquent pas.

Évolution des règles appliquées aux renouvelables

Parmi les propositions les plus controversées figure la neutralité technologique pour les appels d'offres concernant les énergies renouvelables. Alors qu'ils sont aujourd'hui lancés technologie par technologie, cette disposition conduirait à opter au cas par cas pour la technologie la moins disante. Les industriels et le syndicat des énergies renouvelables  y sont opposés au motif que ce système ne permet pas de faire émerger de jeunes filières dans les technologies ayant encore besoin d'être soutenues financièrement. Ainsi, Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie, juge ce dispositif « prématuré ». Elle pointe également la difficulté d'établir un marché européen des énergies renouvelables avec des réglementations aussi disparates, et regrette que la Commission n'adopte pas une approche plus intégrée, raisonnant en termes de système.

Autres projets de la Commission que la France voit d'un mauvais œil : la fin envisagée de la priorité d'injection dont bénéficient les renouvelables sur les réseaux et qui pourrait disparaître, à l'exception des technologies les moins matures telles que la biomasse. Quant à la possibilité pour les États membres de faire bénéficier de leurs mécanismes de soutien des installations renouvelables implantées à l'étranger, si le gouvernement français semble plutôt d'accord sous réserve de réciprocité, des questions se posent néanmoins autour des co-bénéfices liés à ces installations en termes d'emploi ou de création de richesses d'un côté, problèmes d'acceptabilité de l'autre...

Quant à l'autoconsommation, à peine émergente en France et évoquée par Bruxelles au travers des « communautés énergétiques locales » qu'elle entend favoriser, la DGEC y voir une menace potentielle pour le réseau et, donc, la solidarité territoriale et la péréquation. Le réseau étant aujourd'hui financé par les volumes d'électrons transportés, il pourrait à terme souffrir d'un développement de l'autoconsommation.

Biocarburants de première génération

Dans les transports, le sujet des biocarburants de première génération (fabriqués à partir de denrées alimentaires) fait débat. Après avoir poussé à leur adoption massive depuis 2003, la Commission est revenue sur son enthousiasme face aux difficultés d'en évaluer les bénéfices par rapport aux énergies fossiles, en raison du changement indirect d'utilisation des sols qu'ils impliquent. La filière française s'indigne aujourd'hui de la disparition pure et simple de toute référence aux énergies renouvelables dans les transports, et du projet de diviser par deux du taux d'incorporation de biocarburants à l'essence et au diesel entre 2020 et 2030. La Commission espère que ce laps de temps permettra aux biocarburants de deuxième génération de parvenir à maturité. Mais les industriels mettent en avant leurs investissements, leurs outils de production et les 20.000 emplois menacés par cette proposition.

En revanche, le gouvernement français soutient le projet de prise en compte des secteurs maritime et aérien dans les objectifs européens.

Les mécanismes de capacité en question

De façon générale, Jean-Bernard Lévy, PDG de EDF, s'interroge : « Bravo pour les objectifs de ce paquet d'hiver, mais quels sont les moyens en face ? Comment s'assurer que l'Europe pourra développer les énergies renouvelables dans les délais et avec la vigueur nécessaires ? » Aujourd'hui en effet, ce sont les États-Unis et surtout la Chine qui donnent le ton. Le patron de EDF observe aussi que « des centrales à charbon toutes neuves voient le jour en Europe, alors même que certaines centrales au gaz, pourtant nettement moins émettrices de CO2, sont mises sous cocon. »

A ce sujet, la DGEC se dit opposée à la possibilité d'inclure ces centrales à charbon dans le dispositif allemand de réserves stratégiques, équivalent du mécanisme de capacité français. Bruxelles, pour sa part, voit d'un mauvais œil ces différents mécanismes consistant à rémunérer les opérateurs pour qu'ils conservent à disposition des moyens de production en état de fonctionnement afin de pouvoir faire face à des pics de consommation. La Commission estime que la multiplication de ces mécanismes nuit à l'intégration du marché européen. Il en existerait pas moins de 28 versions, dans les 11 pays qui ont prévu d'en utiliser. C'est notamment le cas de la France, dont le mécanisme de capacité a été approuvé le 21 novembre dernier à la condition de l'ouvrir à des opérateurs étrangers. Pour la DGEC, cette disposition ne devrait d'ailleurs rester qu'une option sans caractère obligatoire.

Interconnexions envisagées au cas par cas

Lors du colloque du SER, François Brottes, président du directoire de RTE qui le met en œuvre pour la France, a plaidé pour que le gestionnaire de réseau national conserve la main, et que les règles soient suffisamment stables pour susciter des investissements de long terme. Il s'est par ailleurs interrogé sur la faisabilité d'un tel mécanisme à l'échelle européenne, étant donné la diversité des mix énergétiques.  Aux yeux des Français, la recherche d'un équilibre offre/demande à l'échelle européenne ne doit pas se substituer à ce type de mécanisme national. La DGEC fait également observer que l'aversion à la coupure n'est pas la même dans tous les États membres. Christian de Perthuis, qui dirige la Chaire économie du climat de Paris Dauphine a pour sa part souligné l'obsolescence d'une tarification au coût marginal, comme cela s'est déjà produit dans la téléphonie mobile. « Ne plus payer les kWh mais la puissance, cela incite à la consommation », a-t-il observé.

Concernant les interconnexions, qui devraient en 2030 correspondre à 17% de la puissance installée française, Paris n'est pas non plus en phase avec Bruxelles. Aux objectifs croissants (10% puis 15%) que la Commission entend fixer aux États membres, la DGEC privilégie une analyse coût/bénéfice au cas par cas, arguant en outre que les pourcentages sont de moins en moins  pertinents à mesure que la puissance installée dans chaque pays augmente, du fait notamment des renouvelables.

Tarifs réglementés

Mais ce sont les tarifs réglementés de vente (TRV), un sujet « de divergence rémanente » selon la DGEC, qui suscitent le plus d'opposition côté français. Certes, la France est l'un des rares États membres qui les pratique encore, mais le gouvernement y voit un outil particulièrement efficace de lutte contre la précarité énergétique. Le chèque énergie, testé depuis quelques mois, pourrait faire figure de « mesure sociale de sécurité » plus acceptable auprès de Bruxelles, qui entend voir disparaître les TRV dans les cinq prochaines années.

Une méthode jugée peu démocratique

Plusieurs sénateurs ont d'ailleurs souligné l'inaccessibilité de ce document de 6.000 pages, incohérentes avec l'objectif d'appropriation par les citoyens des grands enjeux énergétiques européens.

Quant à François Brottes, qui n'a pas manqué de rappeler que « pas une des propositions faites à la Commission par l'ENTSOE (European network of transmission system operators for electricity) ne se retrouve dans les quelque 6000 pages du paquet", il estime que la politique énergie/climat de la Commission se résume à « un débat politique sur la place entre coordination et coercition vis-à-vis des États membres ».

Tarification du carbone

Christian de Perthuis s'est néanmoins réjoui lors du colloque du SER de la volonté affichée par Bruxelles, de placer le consommateur au centre, après avoir pendant trop longtemps raisonné exclusivement en termes d'offre.

Mais il déploré la neutralité observée par la Commission, qui laisse le choix des mix énergétiques à la discrétion des États membres, indépendamment de leur empreinte carbone. Quant à la réforme du marché européen du carbone (ETS pour European Trading Scheme) Christian de Perthuis rejoint le chœur de nombreux experts pour anticiper qu'elle échouera à faire remonter suffisamment le cours de la tonne de carbone, et conseille d'agir sur le plan national, « où il y a beaucoup à faire ».

Sur ce point Isabelle Kocher, doutant de la pertinence d'un prix mondial unique du carbone, a rappelé qu'Engie appliquait d'ores et déjà un prix en interne afin de calculer la rentabilité de tous ses projets.

Elle a aussi souligné le caractère inédit de la situation actuelle :

« Si les tendances de très long terme sont en grande partie partagées et convergent vers une énergie décarbonée, décentralisée et digitalisée, les incertitudes à moyen terme concernant le rythme, la technologie ou la réglementation de cette évolution n'ont jamais été aussi élevées.  D'habitude, c'est l'inverse. »

Dominique Pialot

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Commentaires 4
à écrit le 09/02/2017 à 8:53
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Suite. Si on appliquait ma proposition à AIRFRANCE, on sauverait AIRFRANCE; à la SNCF, on sauverait la SNCF; à ALSTOM, on sauverait ALSTOM. Il est encore temps pour le faire. Qu'est ce qu'on attend?

à écrit le 09/02/2017 à 8:34
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La France doit agir seule pour donner l'exemple et profiter des avantages d'une taxation de l'énergie destinée à participer au financement du chomage et des retraites. Mais les Français y sont opposés. Qui le comprendra? Tirole est favorable à une ta...

à écrit le 09/02/2017 à 8:11
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Il faut considérer l'énergie comme on considère le travail. On doit taxer l'énergie comme on taxe le travail. Il faut mettre une taxe sur l'énergie pour financer les charges sociales comme les cotisations sociales à la charges des entreprises. Lisez ...

à écrit le 08/02/2017 à 22:41
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Et on se reveille maintenant , on se demande ce que font les représentants de la France à Bruxelles et Strasbourg ,c'est une honte . On y envoie les mauvais ,les fainéants ,les recasés , ils doivent passer de bonnes vacances aux frais des contribuabl...

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