Énergie : malgré des stocks de gaz remplis à 100%, le spectre des pénuries plane toujours sur la France

La France aura rempli ses stocks de gaz avant le 1er novembre, voire même « avant la fin de l'été », s'est félicitée la Première ministre Elisabeth Borne, lundi. Pour autant, l'heure est aux économies d'énergie tant la menace de pénurie, notamment de gaz, est palpable. Et pour cause, même avec des stocks totalement remplis, le pays doit continuer de s'approvisionner chaque jour pour faire face à la hausse de la demande l'hiver. Une opération rendue difficile par la baisse des livraisons en provenance de Russie. D'autant que la France pourrait être appelée à soutenir ses voisins plus en difficulté qu'elle.
Coline Vazquez
Avec des stocks de gaz remplis à 100%, la France peut tenir 14 semaines.
Avec des stocks de gaz remplis à 100%, la France peut tenir 14 semaines. (Crédits : Reuters)

Alors que le géant russe Gazprom va couper complètement ses livraisons de gaz à la France ce jeudi, le remplissage des stocks de gaz de l'Hexagone sera atteint. La France les aura remplis avant le 1er novembre, voire même « avant la fin de l'été », a assuré Elisabeth Borne, lundi, dans son discours devant le Medef. Le 25 août, ils étaient déjà à 90,06%, selon la plateforme européenne Agregated Gas Storage Inventory (AGSI). Dans le détail, les stocks de Teréga, l'un des deux gestionnaires du réseau de transport de gaz en France, étaient à 91,21% de leur capacité, quand ceux de Storengy, filiale d'Engie en étaient à 89,67%, selon le site de l'AGSI.

La présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) s'est, elle aussi, voulu rassurante : « En termes d'approvisionnement, de volumes, on est plutôt confiants sur la capacité à passer l'hiver en France sans gaz russe », a-t-elle déclaré, mercredi, sur LCI.

L'heure est pourtant aux économies comme l'a répété la Première ministre devant les chefs d'entreprises réunis, lundi. Les ménages vont, eux aussi, recevoir dans les prochains jours une série de conseils pour multiplier les « éco-gestes » et réduire leur consommation. Car, même si les stocks seront bientôt pleins, cette bonne nouvelle ne saurait masquer les craintes de pénuries d'énergie cet hiver, et notamment de gaz, qui pèsent sur le pays.

S'approvisionner tous les jours

Pour rappel, la France importe la totalité du gaz qu'elle consomme. Contrairement à l'électricité, cet hydrocarbure peut se conserver. Le pays dispose de 130 TWh de capacités de stockage souterrain de gaz naturel au sein d'onze sites gérés par trois opérateurs, Storengy, Teréga et Géométhane. C'est d'autant plus essentiel que, le gaz naturel étant majoritairement utilisé pour le chauffage, il y a de grandes variations de consommation entre la période estivale et celle hivernale.

Pour garantir la sécurité d'approvisionnement, la loi impose aux fournisseurs un remplissage minimal de 85% au 1er novembre des capacités qu'ils ont souscrites, indique la CRE sur son site. Un objectif qui a donc été relevé à 100% par l'exécutif en raison des tensions actuelles.

Mais même remplis à 100%, les stocks ne permettent d'assurer qu'un peu moins d'un tiers de la consommation annuelle de gaz du pays qui s'établit à environ 450 TWh, souligne la CRE. En d'autres termes, le pays peut tenir 14 semaines avec une telle quantité d'hydrocarbure, selon une note de John Plassard, économiste chez Mirabaud. En comparaison, c'est 12 semaines pour l'Italie si ses stocks sont pleins, cinq pour l'Espagne ou encore trois pour la Belgique.

« Tous les jours de l'année, la France importe la même quantité de gaz via des gazoducs, car ces tuyaux sont dimensionnés pour recevoir un certain volume. Or, en été, nous n'avons pas besoin de toute cette quantité. Nous stockons donc le surplus qui est déstocké l'hiver quand la quantité importée n'est pas suffisante », explique Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden).

Mais ces trois mois de stockage ne permettraient pas de tenir tout l'hiver. En particulier, si de basses températures sont observées dès le début de l'automne, nécessitant, pour les Français, de rallumer leur chauffage. « Le gouvernement rassure en disant que, comme les années précédentes, nos stocks seront pleins, mais il faudra continuer à acheter du gaz tous les jours », prévient-il.

D'autres sources d'approvisionnement que la Russie

Si jusqu'à l'éclatement de la guerre en Ukraine cela ne présentait aucune difficulté, s'approvisionner représente désormais un véritable enjeu avec la baisse des livraisons venues de Russie, pour la France, mais aussi pour l'Europe tout entière.

« Avec seulement 17% de gaz russe parmi la totalité de nos importations de gaz, nous ne sommes d'ailleurs pas les plus mal placés », tempère néanmoins Jacques Percebois. La CRE se veut, elle aussi, rassurante, indiquant que la France mise sur « l'accès aux approvisionnements en gaz norvégien et en gaz naturel liquéfié » (GNL) permettant au pays « d'aborder plus sereinement que nombre de ses voisins la campagne de remplissage des stockages qui commence ». Le pays scandinave est, en effet, le deuxième fournisseur de gaz naturel à l'Europe qui le presse d'augmenter ses capacités de production et de livraisons vers le Vieux continent et d'augmenter la cadence pour reconstituer ses stocks et compenser la perte annoncée du gaz russe. Mais, en juillet dernier, la Norvège indiquait être au maximum de ses capacités d'extraction et d'exportations vers l'Union européenne.

Conscient de la nécessité diversifier les sources d'approvisionnement, le gouvernement multiplie les échanges avec d'autres pays disposant d'hydrocarbures. Des négociations sont notamment en cours entre Engie et l'Algérie pour augmenter les livraisons en provenance de cette dernière. Selon Europe 1, dimanche dernier, cette augmentation pourrait aller jusqu'à 50% des volumes actuels. Une information que le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, n'a pas confirmée, mais il a indiqué que « des annonces seront faites prochainement ». Il a, en outre, souligné qu'il y avait eu « rapprochement dans le cadre du déplacement » d'Emmanuel Macron en Algérie, la semaine dernière.

Si la France semble donc en mesure de pallier la baisse de l'approvisionnement russe, un voisin européen est en bien mauvaise posture. L'Allemagne, dépendante avant le conflit à 55% des livraisons russe --désormais à 35% -- craint, en effet, d'en manquer une fois l'hiver venu. « La France n'est pas en trop mauvaise posture, car elle dispose de terminaux gaziers permettant de regazéifier et de stocker le gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par voie maritime. Or, les Allemands, n'en ont pas », pointe Jacques Percebois. Berlin a donc débloqué, en tout hâte, une enveloppe exceptionnelle de 1,5 milliard d'euros pour lancer cinq projets de terminaux GNL afin d'importer directement la ressource depuis la mer avec un premier opérationnel dès cet hiver, mais ces alternatives resteront insuffisantes à court terme.

Solidarité européenne

Pour l'instant, le pays est parvenu à remplir ses stocks de gaz à 83%. Une fois pleins, ils peuvent lui permettre de tenir dix semaines. Pour d'autres, l'opération est plus compliquée. La Bulgarie n'est qu'à 60%, la Hongrie à 62%, quand la Lettonie n'atteint même pas les 60%.

Ils comptent donc sur la solidarité européenne. Celle-ci s'est matérialisée, fin juillet, par un un plan adopté par les Vingt-Sept, prévoyant que chaque pays fasse « tout son possible » pour réduire, entre août 2022 et mars 2023, son utilisation de gaz d'au moins 15% par rapport à la moyenne des cinq dernières années sur la même période. Le but : économiser quelque 45 milliards de mètres cubes de gaz, une quantité équivalente à ce qu'il viendrait à manquer si la Russie coupait totalement les flux et dans le cas d'un hiver particulièrement froid. Et ainsi établir une solidarité entre les États si certains rencontraient des pénuries. Des exemptions ont d'ailleurs été prévues pour les pays dont le réseau de gaz n'est pas interconnecté avec un voisin européen, car ils ne pourraient pas en faire profiter l'Union européenne.

De son côté, la France a d'ores et déjà annoncé qu'elle devrait fournir une petite partie de son gaz à l'Allemagne, comme l'avait déclaré, en juillet, Elisabeth Borne. « On sent que l'Allemagne va demander de changer le sens du flux des livraisons de gaz. Il y a une question de solidarité. Si nous sommes dans une bonne situation, on peut se permettre d'envoyer du gaz pour soutenir nos voisins allemands. La question c'est quand et dans quelles quantités », avait confirmé le ministère de la Transition énergétique auprès de La Tribune. S'il y avait une pénurie sur le marché mondial du GNL, la France ne pourrait pas jouer à plein le jeu de la solidarité européenne, avait également prévenu l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher, quelque temps plus tôt.

« Si les Allemands veulent du gaz, il n'est pas certain que la quantité demandée soit disponible en France. Il faut déjà savoir ce dont nous aurons besoin cet hiver. Or, il est encore trop tôt pour le dire, car cela dépendra surtout des températures », confirme Jacques Percebois. Selon lui, « si on nous demande de faire preuve de solidarité avec l'Allemagne, il faudra probablement réduire la consommation en France ». « Ce sera de la solidarité pas parce qu'on en a trop, mais parce que l'Allemagne n'en a pas assez », conclut-il.

D'autant que renvoyer du gaz depuis la France vers l'Allemagne présente « un problème technique », souligne-t-il : celui de l'odorisation. En effet, ce gaz n'a pas d'odeur. Pour permettre d'identifier les fuites, il est donc odorisé. En France, ce processus se fait lors de son transport, c'est-à-dire avant d'entrer sur le territoire. A l'inverse, en Allemagne, il est odorisé lorsqu'il transite dans le réseau de ville. Si la France veut renvoyer du gaz à Berlin, il devra donc être désodorisé pour répondre aux normes allemandes. « Un procédé que l'on sait faire techniquement, mais qui représente un coût supplémentaire », indique le directeur du Créden.

Coline Vazquez

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Commentaires 5
à écrit le 31/08/2022 à 10:29
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Ca y est ,on est sauvé les gars : Gaz : Elisabeth Borne promet qu’il n’y aura pas de coupure pour les particuliers en cas de pénurie.

à écrit le 31/08/2022 à 9:57
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"le spectre des pénuries plane toujours sur la France" Sans oublier que d'après le ministère de la Transition énergétique, la France serait en mesure d'envoyer à l'Allemagne l'équivalent de 5% de sa consommation de gaz en hiver, ce qui correspondr...

à écrit le 31/08/2022 à 8:43
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C’est bien de remplir nos possibilités de stockage, mais malheureusement, on ne va pas aller loin.. ce ne sont que des stocks « tampon » .. Nos politiques, comme cela était très très prévisible se retournent lourdement contre les européens. Tout cela...

le 31/08/2022 à 17:33
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@BH Le conflit n'est pas régional. La nature de ce conflit c'est dictatures VS démocratie. Les Ukrainiens se battent pour nos valeurs, notre mode de vie. C"est tout.

le 31/08/2022 à 18:03
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@valbel89 "Les Ukrainiens se battent pour nos valeurs, notre mode de vie. C"est tout. " Eux oui, mais pas toi ,je me demande ce que tu fais encore ici d'ailleurs et non dans la brigade internationale , surement l'âge avancé.Un peace and love ve...

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