Environnement : le paysage judiciaire français et européen en pleine évolution

Après le maire de Grande-Synthe (Nord) le 20 novembre, des ONG attaquent l’État français pour inaction climatique. Faute de réponse satisfaisante dans les deux mois, elles saisiront le tribunal administratif de Paris. Il y a quelques jours, la Cour de justice européenne donnait raison à plusieurs villes, dont Paris, qui avaient attaqué la Commission européenne en 2016 pour avoir décidé de relever les plafonds d'émissions des automobiles. Dans les deux cas, les citoyens se mobilisent également.
Dominique Pialot
Les actions en justice climatique et environnementale se multiplient, notamment contre la Commission européenne et l'Etat français.
Les actions en justice climatique et environnementale se multiplient, notamment contre la Commission européenne et l'Etat français. (Crédits : Eric Gaillard)

La France rejoint le petit groupe d'États (une quinzaine dans le monde) qui se sont vus récemment attaqués pour inaction climatique. À l'origine de la plainte française, l'ONG « Notre affaire à tous » (NAAT), qui a fédéré autour d'elle des acteurs historiques de la protection de l'environnement tels que Greenpeace, Oxfam ou la Fédération pour la Nature et l'Homme (FNE). Accompagnées par une vingtaine d'avocats issus de quatre cabinets, les ONG fondent leur action en justice sur la base de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantissent la protection des citoyens. Elles dénoncent également « une violation de plusieurs engagements de la France en matière de lutte contre le changement climatique au titre du droit international».

Elles déplorent avoir « essayé toutes les méthodes habituelles des ONG auprès des gouvernants » avant de passer à l'étape supérieure en mettant l'État sur le banc des accusés.

Première étape de ce qu'elles ont décidé de baptiser « l'Affaire du siècle », elles ont adressé le 17 décembre une demande préalable de 40 pages au Premier ministre et à douze membres du gouvernement, dont les ministres de la Transition écologique et solidaire, des Transports, de l'Agriculture ou encore de la Cohésion des territoires.

Entre autres « carences fautives » de l'État, elles y évoquent le dépassement du budget carbone en 2016 et 2017 (respectivement +4 et +6,7%), ainsi que le non-respect des directives européennes sur les énergies renouvelables - la France s'est engagée à 23% de son mix énergétique en 2020 mais n'en est aujourd'hui qu'à 16%  - ou de l'efficacité énergétique.

Selon la procédure, le gouvernement a deux mois pour répondre. Les ONG prévoient dans un second temps, en mars probablement, d'introduire un recours juridique devant le tribunal administratif de Paris, une première à l'échelle française.

Pouvoir d'achat et logiciel de l'Ancien monde

Bien que cette action soit en cours de préparation depuis plusieurs mois, l'actualité récente lui donne plus d'écho encore. Aussi bien les faibles avancées obtenues lors de la COP24 - dont la France a été particulièrement absente - que la gestion française de la crise des « gilets jaunes » nourrissent les griefs des ONG. Audrey Pulvar, présidente de FNH, a ainsi déploré l'absente totale de référence à la transition énergétique, et le recours à un « logiciel de l'Ancien monde» qui fait passer le pouvoir d'achat devant les considérations climatiques.

« Ce qui coûte cher, ce n'est pas la transition énergétique, c'est de ne pas investir dans la rénovation, dans les énergies renouvelables, dans le changement de nos modes de vie... »

Tous les représentants des ONG concernées ont insisté sur le volet social de la justice climatique, rappelant que les plus vulnérables, qu'il s'agisse de pays ou de citoyens, sont aussi ceux qui subissent de plein fouet les effets du changement climatique, alors même qu'ils en sont les moins responsables.

Les ONG françaises sont également confortées par les récentes décisions de justice rendues dans plusieurs pays. Aux Pays-Bas, le jugement rendu en 2015 par le tribunal saisi par l'ONG Urgenda au nom de 900 citoyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 25% d'ici à 2020, a été confirmé en octobre dernier.

Forte mobilisation citoyenne

Déniant tout caractère symbolique à leur action, les ONG et leurs avocats ont affirmé que leur objectif était de gagner. Comme le rappelle dit Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France, il s'agit de faire reconnaître par la justice « l'obligation de l'État d'agir pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C, et de protéger les citoyens dont les droits fondamentaux sont menacés ». Cette jurisprudence permettrait ensuite de pouvoir attaquer certains textes ou actions précis.

Mais les ONG reconnaissent aussi que leur action a vocation à mobiliser fortement les citoyens. C'est pourquoi une pétition a été mise en ligne sur le site Notre affaire à tous. Elle avait été signée par plus de 200.000 personnes à 17h ce 18 décembre.

Les youtubers des collectifs « On est prêts » et « Il est encore temps » se sont également mobilisés en publiant une vidéo dédiée.

Les maires, des relais désormais légitimes des citoyens face à Bruxelles

Hasard du calendrier, la maire de Paris Anne Hidalgo organisait de même jour un débriefing sur l'issue de l'action en justice qu'elle avait intentée en 2016 aux côtés des maires de Bruxelles et Madrid contre la Commission européenne, avec le soutien de près de 140.000 citoyens et de dizaines d'autres maires de l'Union européenne. Ces trois villes estimaient en effet que la Commission n'était pas légitime pour modifier et créer une nouvelle norme d'émission d'oxydes d'azotes des véhicules comme elle venait de le faire.

En dehors du fond, sur lequel elles ont obtenu gain de cause le 13 décembre dernier, les villes ont surtout acquis à cette occasion la légitimité de plaider face à la Commission, un droit que la Cour de Justice de l'Union européenne ne leur reconnaissait pas jusque-là.

« La CJUE reconnaître désormais la possibilité pour les collectivités d'aller devant les tribunaux », s'est réjouie Anne Hidalgo lors d'un point presse ce 18 décembre.

Maître Jérémie Assous, l'avocat qui accompagnait les villes, a également insisté sur le caractère historique de la décision du 13 décembre.

« C'est une décision capitale qui va modifier le droit, a-t-il affirmé. Tout le monde pourra contester une décision par l'intermédiaire de son maire ou de sa collectivité. »

Et de conclure : « Peu importe les arrangements entre Etats-membres, vous ne pourrez jamais neutraliser des millions de personnes. Cette même juridiction va protéger les citoyens européens. »

Si les actions en justice intentées par des entreprises à des États pour des actions qu'elles estiment entraver, la bonne conduite de leurs affaires reste aujourd'hui les plus nombreuses sur le millier de cas recensés, celles menées par des citoyens ou leurs représentants aussi bien contre des entreprises particulièrement polluantes qu'à l'encontre des États tendent aujourd'hui à se multiplier.

Dominique Pialot

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Commentaires 2
à écrit le 20/12/2018 à 0:44
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Voilà à quoi on reconnait un Etat faible (ici la France macroniste) : il se fait attaquer en justice par des ONG minables !

à écrit le 19/12/2018 à 9:14
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"qui avaient attaqué la Commission européenne en 2016 pour avoir décidé de relever les plafonds d'émissions des automobiles." Merci pour cet article, je ne savais pas que cette procédure, plus que légitime, était en cours, ça redonne un peu d’esp...

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