Faut-il éteindre la tour Eiffel la nuit ? La question se pose à l'heure où le gouvernement veut inciter les Français à réduire leur consommation d'énergie pour éviter de manquer de gaz ou d'électricité l'hiver prochain dans l'hypothèse probable d'un arrêt des livraisons de gaz russes. Dans l'état-major d'EDF, le sujet est en tout cas régulièrement évoqué, en interne évidemment, mais aussi en externe. Éteindre l'éclairage de la dame de fer et de quelques autres grands monuments de la capitale la nuit « aurait avant tout une valeur symbolique et d'exemplarité », explique une source interne de l'entreprise.
Une telle mesure aurait à coup sûr un impact retentissant sur l'ensemble de la population. Une façon de faire ouvrir les yeux sur la nécessité de faire des économies d'énergie, même si le gain de la suppression de l'éclairage de la tour Eiffel et son scintillement de cinq minutes au début de chaque heure, ne serait pas significatif en termes d'économies d'énergie. La consommation électrique annuelle du monument payant le plus visité au monde est évaluée à 6,7 gigawattheures, soit celle d'une ville d'environ 3.000 habitants. Le seul scintillement consomme, lui, environ 8.800 kilowattheures par an, soit l'équivalent de la consommation électrique annuelle d'un studio de 30m2 occupé par deux personnes. Et « contrairement aux idées reçues, l'illumination nocturne de la Tour (robe dorée) ne représente que 4% environ de la facture énergétique annuelle du monument », précise la SETE, qui exploite l'édifice.
Une mesure symbolique
Contactée par La Tribune, la ville de Paris ne dit pas si cette option est aujourd'hui sur la table. Elle précise toutefois que des réflexions sont en cours pour mettre à jour le plan « Climat Air Energie » de la ville, au regard de la guerre en Ukraine et de ses conséquences sur la sécurité énergétique de la France. Ce plan vise notamment une division par deux de la consommation d'énergie à l'horizon 2050. Philippe Goujon, maire du 15ème arrondissement et membre du conseil d'administration de la SETE, indique, de son côté, que cette piste n'a pas encore été évoquée.
Une telle mesure permettrait néanmoins d'éveiller les consciences et constituerait un symbole fort aux yeux des Français, à qui le gouvernement demandera dès la rentrée de faire preuve de sobriété énergétique. L'exécutif prévoit, en effet, de lancer une campagne de communication auprès du grand public en septembre prochain pour appeler les consommateurs à faire attention. Selon le Monde.fr, la France aurait envisagé de lancer une campagne de communication dès cet été, mais a préféré attendre pour ne pas inquiéter en pleine vacances estivales.
En parallèle, Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, a lancé trois groupes de travail avec l'administration, les entreprises et les établissements recevant du public. L'idée est d'amener les filières et les acteurs économiques à construire des plans d'actions concrets et chiffrés d'économies d'énergie avec le volume de térawattheures économisés en face de chaque levier d'action. Les conclusions des réflexions menées seront également partagées à la rentrée. L'objectif est de réduire de 10% la consommation d'énergie d'ici deux ans par rapport à 2019.
Consommer moins d'électricité aujourd'hui pour avoir plus de gaz cet hiver
La France, comme ses voisins européens, se prépare à passer l'hiver sans gaz russe, alors que le géant russe Gazprom diminue progressivement ses livraisons vers les Vingt-Sept dans un contexte de fortes tensions entre les pays occidentaux et la Russie, depuis que le régime de Vladimir Poutine a envahi l'Ukraine le 24 février dernier.
Le défi pour les Européens consiste donc à stocker le plus de gaz possible dans des cavités souterraines cet été afin d'écarter au maximum les risques de pénuries l'hiver prochain. Dans cette course, chaque économie d'énergie compte car le gaz non consommé aujourd'hui pourra être stocké pour aider l'Europe à passer l'hiver prochain.
Ce raisonnement vaut aussi pour l'électricité car un des usages du gaz (outre le chauffage urbain, l'eau chaude et la consommation des sites industriels), est l'alimentation des centrales thermiques électriques. Éteindre les lumières lorsqu'elles ne sont pas nécessaires ou baisser le niveau de climatisation contribue donc, indirectement, à économiser du gaz.
Le grand retour de la « chasse au gaspi »
La perspective d'un hiver prochain particulièrement tendu a poussé les trois énergéticiens tricolores (Engie, EDF et TotalEnergies) à publier une tribune dans le JDD où ils appellent à la baisse de la consommation. Au sein d'EDF, on s'étonne qu'une campagne de communication auprès du grand public ne soit pas encore lancée, comme c'est le cas chez nos voisins allemands.
Outre-Rhin, tous les acteurs économiques, certes bien plus exposés au gaz russe que les acteurs français, se mettent en ordre de bataille. Au menu : suppression de l'eau chaude la nuit dans certains logements, limitation du chauffage à 20 degrés et suppression de l'eau chaude dans les bureaux, voire même extinction des feux tricolores la nuit. En France, l'extinction de la tour Eiffel la nuit permettrait de préparer les esprits à un retour de la « chasse au gaspi », déployée en 1973 après le choc pétrolier.
« Depuis des années nous vivons dans un pays où l'énergie est abondante sinon bon marché, il en résulte toujours dans ces cas là des gaspillages. Des gaspillages auxquels il faut maintenant mettre un terme », déclarait alors à la télévision Pierre Messmer, le Premier ministre de l'époque.
Pour chasser ce gaspillage, le gouvernement avait mis en place des mesures fortes : limitations de vitesse sur les routes, diminution du trafic aérien, interdiction d'éclairer les vitrines, ou encore arrêt des programmes télé après 23h.
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