La stratégie française pour devenir un leader mondial de l'hydrogène bas carbone à l'horizon 2030 prend forme. La France s'est lancée dans cette course en 2020 avec un plan à 7 milliards d'euros dans le cadre de France Relance. Une année plus tard, cette enveloppe est gonflée par 2 milliards d'euros supplémentaires dans le cadre de France 2030. Au total, l'Hexagone prévoit donc de consacrer, sur dix ans, 9 milliards d'euros à cette minuscule molécule, considérée comme stratégique pour décarboner l'industrie et la mobilité.
Deux ans après ce coup d'envoi, les premiers investissements massifs sur le territoire se matérialisent. En visite sur le site de l'équipementier automobile Plastic Omnium à Venette, près de Compiègne (Oise), la cheffe du gouvernement Elisabeth Borne a annoncé, ce mercredi, que 2,1 milliards d'euros de crédits publics seraient investis dans 10 projets industriels. Ces derniers devraient générer 3,2 milliards d'euros d'investissements privés additionnels. "Au total, 5,3 milliards d'euros vont être investis sur le territoire français", souligne ainsi Matignon.
2,1 milliards d'euros de crédits publics en France
Ces 10 projets industriels ont été sélectionnés dans le cadre d'un PIIEC, un Projet important d'intérêt européen commun. Ce dispositif, né il y a quelques années, permet de demander à la Commission européenne l'autorisation de distribuer des aides d'État massives à des projets industriels. Dans le cadre de ce processus, la Commission a retenu, en juillet dernier, 41 projets portés par 15 États membres de l'Union européenne et pour lesquels un montant maximal de 5,4 milliards d'euros d'aides pourra être accordé par les États concernés. Autrement dit, la Commission ne verse pas elle-même ces 5,4 milliards d'euros, mais autorise les États à verser ces aides.
Sur ces 41 projets, un quart sont français, se félicite-t-on à Matignon. "Notre pays représente un projet sur quatre. C'est la reconnaissance de notre stratégie et du travail réalisé. C'est un pas de géant pour l'hydrogène en France", a même estimé Elisabeth Borne, lors de son discours.
Bientôt, dix nouvelles gigafactories tricolores
Ces 10 projets, répartis dans 7 régions, sont portés par des poids lourds, comme Alstom, Arkema ou encore Plastic Omnium, mais aussi par de plus petits acteurs comme McPhy, Genvia et Elogen. Ces entreprises prévoient de construire des usines géantes dédiées à la fabrication d'électrolyseurs (outil industriel, encore très coûteux, qui permet de casser une molécule d'eau (H2O), en séparant l'atome O des deux atomes H grâce à un courant électrique), et d'équipements pour la mobilité, comme les piles à combustible et les réservoirs qui permettent de stocker l'hydrogène.
C'est justement le projet de Plastic Omnium, qui entend construire une gigafactory dédiée à ces réservoirs nouvelle génération, à 4 km seulement de son site actuel de Venette. Cette usine géante fera l'objet d'un investissement de 160 millions d'euros d'ici 2028, avec à la clef la création de 150 nouveaux emplois.
Au total, ces dix projets, considérés encore comme risqués étant donné la faible maturité de ces nouvelles technologies, devraient générer 5.200 emplois directs sur le sol français. "En prenant le tournant de l'hydrogène décarboné, la France fait le choix de l'emploi, de la souveraineté et de la neutralité carbone", a défendu la Première ministre.
Construire une filière souveraine de bout en bout
L'Hexagone entend ainsi soutenir la production de toutes les briques technologiques essentielles à la construction d'une filière. "Notre ambition est de créer une filière souveraine de bout en bout, insiste Matignon, en évoquant la R&D, l'industrialisation et les usages de l'hydrogène.
En parallèle, le gouvernement entend soutenir le développement de la demande avec la décarbonation de sites industriels pilotes, comme celui d'Arcelor Mittal à Dunkerque. L'objectif est de faire en sorte que "la demande qui émerge puisse se nourrir d'une offre française ou européenne sur ces sujets. C'est tout l'équilibre qu'on cherche à respecter pour, évidemment, éviter d'acheter des matériaux ou des technologies qui sont développées ailleurs", étaye l'entourage d'Élisabeth Borne.
La semaine dernière, la Commission européenne a annoncé avoir retenu 35 autres projets dans le cadre de la deuxième vague du PIIEC dédié à l'hydrogène. Portés par 13 États, ils pourront bénéficier de 5,2 milliards d'euros d'aides. Le gouvernement français communiquera d'ici la fin du mois d'octobre sur les projets tricolores sélectionnés.
Une troisième et une quatrième vague d'appels à projets seront également étudiées par Bruxelles dans les mois à venir. "Une dizaine de projets français restent en lice", a assuré la Première ministre.
Si la stratégie française pour l'hydrogène bas carbone fait ses premiers pas, le chemin est encore long. Alors que, à l'horizon 2030, l'Hexagone vise 6.500 mégawatts (soit 6,5 gigawatts) de production d'hydrogène par électrolyse de l'eau, aujourd'hui cette production reste inférieure à 10 mégawatts. Matignon, qui précise que 407 mégawatts sont en cours de déploiement, reconnaît qu'un effort massif reste à faire.
Désaccord avec Bruxelles sur la réglementation
Le gouvernement vise une montée en puissance de la production d'hydrogène et de ses usages à l'horizon 2027. Pour appuyer cette ascension, la crise que traverse actuellement le parc nucléaire tricolore, et qui devrait durer jusqu'à 2024 au moins, devra absolument être résolue. La France mise, en effet, sur son mix électrique largement décarboné grâce à l'atome civil pour produire de l'hydrogène propre, les capacités d'énergies renouvelables, seules, étant insuffisantes.
Toutefois, sur ce sujet, des divergences majeures persistent à Bruxelles. En effet, pour l'heure, seul l'hydrogène issu d'électricité renouvelable (éolien, photovoltaïque) est considéré comme "vert" par l'exécutif européen.
De son côté, le gouvernement français milite pour que la molécule puisse obtenir le label "vert" en provenant du nucléaire, étant donné la faible empreinte carbone de cette technologie. Cette bataille est d'autant plus stratégique que, la France, contrairement à d'autres pays comme l'Allemagne et la Belgique, ne mise pas sur l'importation d'hydrogène.
"L'émergence d'une filière passe par un cadre réglementaire adapté", a ainsi souligné Élisabeth Borne. "Nous continuerons à nous battre pour faire reconnaître l'hydrogène bas carbone dans l'atteinte des objectifs de baisse de nos émissions. Nous resterons très attentifs aux régulations européennes sur l'hydrogène", a-t-elle ajouté en faisant référence à ces négociations.
Sujets les + commentés