Face au déclin prochain de la demande de pétrole, TotalEnergies bifurque... vers le gaz

Anticipant une baisse de la demande d’or noir, notamment en Europe avec l’explosion des véhicules électriques, TotalEnergies a renforcé mardi sa cible de réduction des émissions de CO2 liées à ses produits pétroliers. Mais la major ne compte pas pour autant se détourner de ce combustible fossile, et compte surtout investir massivement dans le gaz, vendu comme une « énergie de transition ». Si bien qu’au global, les objectifs climat pour 2030 liés à la consommation de tous les produits de l'entreprise restent inchangés. Décryptage.
Marine Godelier
Patrick Pouyanné ne le cache pas : les « moteur de croissance » après 2027 seront principalement liés au champs gaziers.
Patrick Pouyanné ne le cache pas : les « moteur de croissance » après 2027 seront principalement liés au champs gaziers. (Crédits : BENOIT TESSIER)

Alors que le climat continue de se réchauffer, le marché va-t-il pousser le géant français des hydrocarbures TotalEnergies à se décarboner plus vite que ce qu'il avait planifié ? De fait, la stratégie du groupe n'est pas dictée par l'offre, mais « par la demande » des clients dans le monde, a répété hier son patron, Patrick Pouyanné, lors d'une réunion avec les investisseurs. Or, n'en déplaisent aux rois du pétrole, force est de constater que celle-ci évolue : la consommation d'or noir risque de décliner rapidement, en raison d'une pénétration plus forte que prévu des véhicules électriques au détriment des voitures thermiques, notamment en Europe.

« La demande de pétrole est toujours en croissance, mais elle pourrait atteindre un plateau, voire décroître. Nous devons gérer notre portefeuille d'activités pour en tenir compte », a ainsi souligné Patrick Pouyanné.

Résultat : la major tricolore, qui n'entend pas revenir sur son « objectif ultime » de croissance, prévoit de se détourner en partie de ce combustible fossile très polluant. De quoi lui permettre de renforcer, à court terme, certain de ses objectifs climat : les émissions de gaz à effet de serre liées à l'utilisation de ses produits pétroliers (kérosène, carburant...) devront diminuer de 30% d'ici à 2025 par rapport à 2015, au lieu de 2030 jusqu'alors, a annoncé hier son PDG. D'ici à la fin de la décennie, la réduction devra même atteindre 40%. Quant à la cible englobant toutes les émissions indirectes de l'entreprise (rejeter « moins de 400 millions de tonnes » de CO2 contre 410 millions en 2015, soit environ l'impact de la France), celle-ci est également avancée en 2025, même si l'objectif pour 2030 reste le même.

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Vente de 1.600 stations-services à Couche-Tard

Concrètement, la société, qui a engrangé des profits records ces derniers mois grâce à la flambée du prix des hydrocarbures, entend « adapter » son réseau européen de stations-services à cette « baisse de la demande ». Aujourd'hui, elle compte environ 15.000 de ces établissements à la pompe sur le Vieux continent, dont 3.600 en France, mais ce nombre pourrait donc rapidement baisser.

« Ces réseaux ne nous seront pas vraiment utiles avec l'accélération des véhicules électriques. [...] Le meilleur moyen, c'est qu'ils se transforment en magasins, plutôt qu'en station essence. Mais nous sommes bons en énergie, pas en vente de pain ou de hot-dogs. L'idée, c'est donc de voir avec des gens qui connaissent ça », a justifié Patrick Pouyanné mardi.

Le mouvement semble d'ailleurs déjà enclenché, puisque l'entreprise vient d'annoncer la vente au canadien Couche-Tard de la totalité de son réseau de stations-services en Allemagne et au Pays-Bas, soit environ 1.600 infrastructures. Spécialisé dans les « dépanneurs » (des petites épiceries ouvertes quasiment en continu), le groupe avait notamment fait parler de lui en France il y a environ deux ans pour le rachat de Carrefour.

Par ailleurs, TotalEnergies compte réduire la vente de pétrole « pour les applications où des alternatives compétitives à faible émission de carbone sont disponibles », là encore surtout en Europe, a fait valoir la société. Face aux investisseurs, Patrick Pouyanné a ainsi défendu la transformation de certaines raffineries en bioraffineries, sans « attendre la dernière minute ». Et de citer Grandpuits (Seine-et-Marne), cette installation de raffinage du pétrole reconvertie en usine de production de biocarburants et bioplastiques « compte tenu des orientations en termes de transition énergétique retenues par la France à horizon 2040 ».

 « Il y a des impacts négatifs, mais pas que, puisque nous sommes maintenant leaders pour le carburant d'aviation durable », a insisté le PDG du groupe.

Le pétrole, « moteur à cash » de l'entreprise

Cependant, cela ne signifie pas que TotalEnergies compte se retirer du pétrole. De fait, en-dehors de l'Europe, la société continue d'investir massivement dans de nouveaux projets, du Brésil à l'Angola, en passant par Abu Dhabi, la Namibie ou le Suriname. Et ne compte d'ailleurs pas renoncer à son mégaprojet Eacop d'oléoduc en Tanzanie et en Ouganda, destiné à évacuer le pétrole extrait sur les rives du lac Albert, malgré l'opposition acharnée de nombreuses ONG.

Et pour cause, il s'agit de « protéger le portefeuille » et « maintenir le moteur à cash de l'entreprise », a justifié Patrick Pouyanné, au lendemain de la publication du rapport de synthèse du Giec sur l'impact des combustibles fossiles sur le climat. Il faut dire que l'or noir rapporte toujours très gros, notamment en ces temps de flambée des cours.

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Boom du gaz naturel liquéfié

Surtout, TotalEnergies compte bien rester une major des hydrocarbures, en pivotant largement vers le gaz et le GNL, dont la production doit augmenter de 40% entre 2021 à 2030, indique le groupe. Et déploie ainsi une rhétorique bien huilée sur la « contribution fondamentale à la transition écologique » de ce combustible fossile moins polluant que le pétrole.

« Nous voulons nous développer dans le gaz, et à cause de cela, les émissions des produits gaziers augmenteront [contrairement à celles du pétrole donc, ndlr]. Mais remplacer le charbon par du gaz, n'est-ce pas positif pour la planète ? », a lancé mardi aux investisseurs Helle Kristoffersen, directrice générale Strategy & Sustainability de TotalEnergies.

C'est néanmoins pour cette raison que l'objectif de maintien des émissions de CO2 liées à la consommation des produits de l'entreprise reste fixé « en-dessous de 400 millions de tonnes » en 2030, alors même que ce chiffre s'élevait déjà à 389 millions de tonnes en 2022. Et pour cause, les rejets de gaz à effet de serre qui seront évités avec la baisse des ventes de produits pétroliers promettent d'être compensées par celles liées au gaz.

D'autant que la société prévoit d'augmenter sa production totale d'énergie de 4% par an, notamment grâce au boom du gaz naturel liquéfié. Patrick Pouyanné ne le cache d'ailleurs pas : les « moteur de croissance » après 2027 seront principalement liés au champs gaziers où la major se déploie, notamment au Qatar (North Field East et South), aux Etats-Unis (Cameron), en Nouvelle-Guinée (Papua) ou au Mozambique.

Les associations à la chasse au « greenwashing »

En tout, le groupe compte donc flécher 30% des investissements vers les nouveaux projets fossiles, notamment dans le gaz, 37% vers le maintien du portefeuille hydrocarbures, et 33% vers les énergies bas carbone, mais qui comprennent l'électricité produite à partir de gaz (laquelle représentait les ⅔ en 2022). Au global, d'ici à la fin de la décennie, le groupe prévoit ainsi 40% de production de gaz naturel liquéfié, 40% de pétrole et 20% d'électricité. De quoi exaspérer les ONG de défense de l'environnement, qui dénoncent des pratiques de « greenwashing ».

« En résumé, plus de 90% de la production de TotalEnergies reposera encore sur les énergies fossiles en 2030 », note-t-on chez Greenpeace.

Aux côtés des Amis de la Terre et de Notre Affaire à Tous, l'association a d'ailleurs assigné début mars en justice l'entreprise dirigée par Patrick Pouyanné pour pratiques commerciales trompeuses, visant notamment ses « allégations fallacieuses » sur l'impact climatique du gaz fossile. Ce à quoi le PDG répond que le plan de décarbonation de TotalEnergies s'avère « en ligne avec la trajectoire de neutralité carbone de l'Agence internationale de l'énergie ». La même qui, en 2021, avait appelé le monde à renoncer à tout nouveau projet d'extraction d'énergie fossile, sous peine de s'éloigner définitivement de l'objectif de maintien des températures en-deçà de +1,5°C. 

Lire aussiTotalEnergies : le PDG, Patrick Pouyanné, va être augmenté de 10%

Marine Godelier

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Commentaires 6
à écrit le 23/03/2023 à 19:09
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La grande descente énergétique et matérielle Nous devons regarder la réalité en face : l'effondrement de la biodiversité et le réchauffement climatique, à cause des activités humaines, sont en train de détruire l'habitabilité même de la terre. L'O...

à écrit le 22/03/2023 à 20:59
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Pourquoi est-ce que tous les journalistes font semblant de croire en la lutte contre le réchauffement climatique, alors que tout le monde s'en moque éperdument ? C'est un mystère pour moi

le 22/03/2023 à 22:13
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"le réchauffement climatique, tout le monde s'en moque éperdument" ... ça, ça peut changer "du jour au lendemain" ... bonne journée.

à écrit le 22/03/2023 à 20:59
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Les tuyaux de gaz peuvent transporter plusieurs types de gaz. Un gros avantage sur le pétrole. Pour l'hydrogène...je ne sais pas...

le 23/03/2023 à 8:38
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Une centrale électrique fonctionnant au gaz naturel étant généralement construite (puis rénovée) pour plusieurs dizaines d'années, elle peut fonctionner au méthane fossile sur ses premières années puis au bio-méthane éventuellement additivé d'hydrogè...

à écrit le 22/03/2023 à 20:41
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C'est un virage inévitable, les forages en mer du nord sont épuisés et ne délivrent plus le précieux liquide mais du gaz. Les seuls forages délivrant encore du liquide sont préemptés par les producteurs locaux (e.g. sable bitumeux par Suncor Ene...

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