« Le solaire n’a pas dit son dernier mot » (André Joffre)

Fervent militant du développement de l’énergie solaire depuis plus de 40 ans et précurseur opiniâtre de l’autoconsommation, André Joffre est bien identifié sur la planète énergie française… S’il dirige le bureau d’études techniques en énergie solaire Tecsol, à Perpignan, cet ingénieur des Arts et Métiers est aussi président du pôle de compétitivité DERBI (dédié aux énergies renouvelables) et vice-président d’Enerplan (syndicat des professionnels de l’énergie solaire). Fin connaisseur des rouages complexes du marché de l’électricité, André Joffre voit, dans la crise énergétique qui secoue l’Europe et dans la volonté affichée d’accélérer sur les énergies renouvelables, un aboutissement du solaire. (Cet article est issu de T La Revue n°13 - "Energies, la France qui innove" actuellement en kiosque).
(Crédits : Tescol)

De quoi la crise énergétique qui secoue l'Europe aujourd'hui est-elle annonciatrice ?

André Joffre Le contexte énergétique accélère les mutations et les transitions. On peut même parler de révolution : en un an, on a fait un bond de quinze ans ! Les choses vont encore beaucoup bouger, notamment les prix qui vont rester hauts, ce qui justifie d'autant plus l'autoconsommation. Cela va secouer du côté des énergies renouvelables (EnR) ! Les objectifs de production ont été revus à la hausse en Europe, et sur le marché français, il faudrait passer de 1 GW solaire par an à 10 GW en une décennie. D'où cette volonté d'accélérer sur les EnR, avec ce qui est, peut-être, l'aboutissement du solaire.

Quelles sont les conséquences pour l'autoconsommation, qui n'est pas encore très développée en France ?

A.J. On peut dire que l'on rentre réellement dans le domaine de l'autoconsommation. Aujourd'hui[1], les entreprises achètent l'électricité à 350 euros/MWh alors qu'elle était à 70 ou 80 euros début 2021 et que l'on ne sait pas ce que ce sera demain. Or, avec une installation photovoltaïque en autoconsommation sur un toit, on est à 100 euros/MWh. Un écart tel que la rentabilité de ces installations est élevée... Ces dernières années, de nombreux dossiers restaient lettre morte. Aujourd'hui, tout le monde veut du solaire. Dans le Sud, on a beaucoup de demandes pour des bâtiments logistiques avec frigos, des entreprises de l'agroalimentaire ou du tourisme, qui sont particulièrement bien adaptées au solaire puisqu'il y a une coïncidence entre les besoins de froid et l'ensoleillement. Les collectivités accélèrent aussi et elles comprennent que celles qui ont déjà investi en tirent profit plus tôt que prévu.

Quels ont été l'histoire et le parcours législatif de l'autoconsommation en France ?

A.J. Jusqu'à une époque récente, les moyens de production d'électricité renouvelable étaient décentralisés, mais l'organisation du marché était hypercentralisée avec un opérateur unique, EDF. Aujourd'hui, le consommateur peut choisir de produire une partie de son électricité chez lui, ce qui révolutionne les choses... On a commencé à discuter de ces questions en 2013 et on ne disait pas « autoconsommation » mais « autoproduction ». Mais cela peinait à s'installer : dans la loi 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte, on a réussi à faire apparaître le mot « autoconsommation » mais pour dire « une ordonnance fixera la définition dans l'année ». Le Président François Hollande a signé l'ordonnance en 2016 (ordonnance n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité, ratifiée par la loi n° 2017-227 du 24 février 2017, NDLR), malgré énormément de lobbying. Car on ne vend pas que de l'électron mais aussi du transport, des taxes, et cela rapporte aux opérateurs, aux collectivités et à l'État... Sur l'autoconsommation individuelle, il a fallu faire le siège de Bercy pour obtenir de supprimer une taxe du Code des douanes lorsque le financement de l'opération solaire faisait appel à un tiers investisseur, ce qui a été fait dans la loi de finances 2019.

Quelle est la réalité de l'autoconsommation aujourd'hui, en France ?

A.J. L'an dernier, on comptait une soixantaine de projets collectifs. Pour l'ensemble du marché photovoltaïque, la France devrait atteindre cette année une puissance cumulée de 15 GW de photovoltaïque, cinq fois moins qu'en Allemagne. Quant à l'autoconsommation, elle vient de dépasser 1 GW. On est encore loin du compte mais cela s'accélère vite. Aujourd'hui, la répartition de l'électricité entre les membres d'une communauté énergétique est technologiquement au point. Le mix entre le digital et le solaire ouvrira de nombreuses possibilités, tant sur l'autoconsommation collective qu'individuelle. Par exemple, aux États-Unis, Tesla a obtenu une autorisation de vente d'électricité au Texas et utilise le parc de voitures électriques pour stocker l'électricité. Demain, on va assister à des rapprochements entre grandes compagnies d'électricité et des fabricants de voitures : un accord a déjà été signé entre Voltalia et Renault pour alimenter des usines, ce qui est le plus gros PPA (contrats d'énergie renouvelable de long terme, NDLR) signé en France. On réinvente des modèles !

Pour l'exemple, quelques projets en région Occitanie ?

A.J. Le premier projet que Tecsol a accompagné était, en 2017-2018, dans le village Prémian, près de Béziers, labellisé « Territoire à énergie positive pour la croissance verte ». À Théza, dans les Pyrénées-Orientales, la production photovoltaïque de la toiture de la salle polyvalente alimente l'école, la mairie et les bâtiments municipaux. Sur la zone économique Tecnosud de Perpignan, un projet est en cours de construction, porté par 150 entreprises qui se partageront l'électricité produite par des ombrières de parkings. Quant au projet Thémis, la centrale solaire thermodynamique près de Font-Romeu dans les Pyrénées-Orientales, la future installation solaire alimentera les bâtiments municipaux de la Communauté de communes de la Cerdagne.

Dans l'habitat, les promoteurs immobiliers se sont-ils réellement emparés du sujet de l'autoconsommation ?

A.J. Le solaire va devenir aussi indispensable dans le bâtiment que la chaudière ou la pompe à chaleur... Les promoteurs commercialiseront des logements intégrant une part de vente d'énergie, et l'intérêt, c'est que cela sera pris en compte pour atteindre les objectifs de performances énergiques des logements. Donc oui, les promoteurs s'interrogent mais il y a de toute évidence un manque de culture et le monde du bâtiment est un monde à forte inertie !

Qu'est-ce qui pénalise encore aujourd'hui l'autoconsommation collective ?

A.J. Tant qu'on n'est pas au clair du point de vue réglementaire, cela n'avance pas. Par exemple, on va imposer de mettre des panneaux solaires sur tous les bâtiments neufs, mais la directive européenne n'est pas totalement transposée dans le droit français... Dans l'autoconsommation collective, pour les installations solaires sur un seul bâtiment avec plusieurs propriétaires qui se répartissent l'électricité, c'est clair. Mais quand on veut faire de l'autoconsommation collective à l'échelle d'un quartier, il faut payer des taxes mais aussi le transport de l'électricité. Et il faut payer le même prix pour traverser la France que pour traverser la rue, en raison de la péréquation tarifaire, ce qui pénalise la rentabilité du projet. Or, les parlementaires sont très attachés à l'égalité des Français devant l'électricité.

Le projet de loi portant sur l'accélération des énergies renouvelables, dont l'examen s'est terminé le 15 décembre à l'Assemblée nationale, semble hésiter entre accélération et freinage...

A.J. Tout en étant une loi d'accélération, il y a en effet encore le pied sur le frein. C'était compréhensible quand l'État devait subventionner le solaire, mais aujourd'hui, le solaire rapporte de l'argent à l'État, alors pourquoi ne pas aller plus vite ? Le « en même temps » nucléaire et EnR n'est pas très opérant ! Bien sûr, il faut entretenir les centrales nucléaires pour les prolonger au maximum, mais il faut aussi accélérer sur les EnR... La France est encore la voiture-balai de l'Europe. Ces questions restent embourbées dans les chicayas réglementaires, cela me paraît complètement fou !

Quel avenir prédisez-vous au solaire, votre cheval de bataille ?

A.J. Le solaire n'a pas dit son dernier mot, le prix du kWh va continuer à baisser grâce à l'augmentation de la performance des panneaux solaires et à la stabilité, voire la baisse, des prix. Reste ce vœu, probablement pieux, d'intensifier l'industrialisation en France. On n'a pas cru à la fabrication de panneaux solaires en France ! En 2010, les responsables que j'avais rencontrés à Bercy m'ont dit que le solaire resterait un gadget... Il y a pourtant des projets sérieux en France, même si aucun n'a encore abouti. On manque parfois de capitaines d'industrie et de volonté politique. Et le fait d'afficher un objectif très (trop) important sur le nucléaire dissuade les bonnes volontés. Mais on n'est qu'au début de l'affaire : dans dix ans, les panneaux photovoltaïques ne coûteront presque plus rien et toutes les toitures seront couvertes de solaire car ce sera moins cher que des tuiles ! Et la question sera « Qu'est-ce que je fais de mes kWh ? ». D'où la nécessité de pouvoir les échanger avec ses voisins, recharger sa voiture électrique loin de son domicile, les donner à des logements sociaux en précarité énergétique, etc. Tout cela va prendre corps et changer la physionomie des choses. On est à la veille de grands changements de paradigmes.

[1] Entretien réalisé le 16 décembre 2022.


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T 13

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Commentaires 5
à écrit le 26/03/2023 à 16:56
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Faire du solaire comme on fait du nucléaire est une gageure ! Tout devrait être individualisé et non pas nous tirer les fils électriques de partout ! ;-)

à écrit le 26/03/2023 à 13:06
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"Qu'est-ce que je fais de mes kWh ?" Oui j'imagine bien la situation: l'Europe sera totalement saturée de panneaux solaires, qui causera un prix de l'électricité négatif le jour, et au contraire un prix très élevé la nuit quand les panneaux ne pro...

le 26/03/2023 à 13:32
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"qui causera un prix de l'électricité négatif le jour," c'était le cas avant quand la consommation UE était inférieure à la production. C'est un rêve vu les prix actuels (qu'on ne voit pas grâce au bouclier qui est payé par de la dette), le kWh négat...

le 27/03/2023 à 0:34
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@Photo73 - C'est la création d'un marché de l'électricité "libre et non faussé" mais avec une injection massive d'énergies intermittentes subventionnées détruisant la rentabilité des moyens de production pilotables qui a amené l'Europe là où elle en ...

le 29/03/2023 à 0:46
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Si, des prix négatifs sont encore arrivés la semaine dernière avec le coup de vent. Plus on aura d'enr plus ces périodes se multiplieront. l'hydrogène c'est un énorme pari technologique et financier. Laissons l'Allemagne tenter le coup, si ça march...

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