Pendant les grandes marées, seul le marin aguerri se risque à emprunter ce détroit de quelques kilomètres situé entre la pointe de la Hague et l'île anglo-normande d'Aurigny (alias Alderney outre-Manche). Traversé par le troisième courant de renverse le plus puissant du monde, le Raz Blanchard peut à l'occasion se muer en lessiveuse. De quoi terroriser le pêcheur inexpérimenté ... mais aiguiser l'appétit de la filière hydrolienne qui a les yeux de Chimène pour ce gisement marémoteur dans lequel la vitesse du courant peut avoisiner 12 nœuds (22 km/h).
Aurifère sur le papier, ledit gisement a pourtant bien failli demeurer inexploité. Lâchés par leurs turbiniers respectifs (Naval Energies et GE) et échaudés par le refus du gouvernement de soutenir commercialement l'hydrolien au bénéfice de l'éolien marin plus mature, EDF Renouvelables et Engie avaient renoncé à y établir des fermes pilotes en 2018. Remises en jeu, leurs concessions ne sont pas restées orphelines.
Hydroquest passe la surmultipliée
La société grenobloise Hydroquest vient d'annoncer avoir repris celle d'EDF pour un montant non communiqué. Détenu par le groupe CMN qui est également son partenaire industriel, ce pionnier français de l'hydrolien veut y immerger sept énormes machines d'une puissance de 2,5 mégawatts (MW) chacune. Celles-ci seront deux fois et demi plus capacitaires que son prototype de 1400 tonnes testé, avec succès, depuis le printemps 2019 sur le site d'essai de Paimpol Bréhat.
« Cette ferme pilote sera la plus puissante au monde (17,5 MW ndlr) et permettra de démontrer la pertinence de l'hydrolien marin dans le mix énergétique français et européen » veut croire son président, Thomas Jaquier. De conception originale, les turbines à double axe vertical seront fabriquées et assemblées à portée de vue du détroit, dans les ateliers cherbourgeois des CMN, dimensionnés pour ce type de construction XXL. Hydroquest assure qu'elles seront moins chères et plus légères en proportion que le premier démonstrateur.
Simec Atlantis persiste et signe
C'est à un écossais, également précurseur de l'hydrolien, qu'a échu la seconde concession du Raz Blanchard. A l'été 2020, Engie a cédé gratuitement ses droits à l'entreprise Simec Atlantis Energy (SAE) associée au métallurgiste cherbourgeois Efinor et au fonds d'investissement Normandie Participations créé par la Région. A horizon 2023, le consortium prévoit de placer sur les fonds marins quatre turbines d'une puissance totale de 12 MW sur le modèle de celles déjà immergées sur le site expérimental de Meygen en Ecosse. Montant de l'investissement : environ 70 millions d'euros.
Comme son concurrent, le groupement cherche à réduire les coûts dans l'espoir d'intéresser des investisseurs. « En utilisant la technologie du hub sous-marin comme celui installé à Meygen, nous serons en mesure de réduire le nombre de câbles d'exportation de quatre à un seul, abaissant considérablement à la fois les coûts d'installation offshore et l'impact environnemental » faisait récemment valoir Graham Reid, président de Simec Atlantis.
Soutenu par l'exécutif de la Région qui veut croire dans le développement de l'hydrolien, l'écossais ambitionne, à terme, d'exploiter jusqu'à 2 GW de puissance dans le Raz Blanchard ainsi qu'1 autre GW provenant de concessions adjacentes placés sous le contrôle des Etats d'Alderney. Lesquels se sont déjà engagés à racheter l'électricité qui pourrait y être produite.
Notons que SAE et Hydroquest devraient pouvoir émarger au programme franco-britannique TIGER (Tidal Stream Industry Energizer) doté par l'UE d'un peu plus de 45 millions d'euros. Objectif : accompagner le déploiement de 8 MW hydrolien et diviser par trois le coût du MW produit à horizon 2030.
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