Nucléaire : 3 questions pour comprendre le rachat des turbines de GE par EDF

C’est désormais officiel : l’entreprise tricolore EDF a signé un accord d'exclusivité pour le rachat d'une partie de l’activité nucléaire de GE Steam Power acquise en 2014 par General Electric, ont annoncé jeudi les deux groupes dans un communiqué commun. Un deal de grande ampleur, qui permettra de ramener dans le giron de la France les fameuses turbines à vapeur Arabelle, celles-ci équipant entre autres les EPR. De quoi appuyer la stratégie du gouvernement en matière énergétique, puisqu’Emmanuel Macron devrait annoncer aujourd’hui à Belfort, où sont fabriquées les turbines, sa stratégie de relance du nucléaire sur le territoire. Explications.
Marine Godelier
Sept ans après l'acquisition de la branche énergie d'Alstom par General Electric (GE), à l'époque portée par le ministre de l'Economie Emmanuel Macron, les précieuses activités nucléaires du groupe américain vont regagner le giron d'EDF.
Sept ans après l'acquisition de la branche énergie d'Alstom par General Electric (GE), à l'époque portée par le ministre de l'Economie Emmanuel Macron, les précieuses activités nucléaires du groupe américain vont regagner le giron d'EDF. (Crédits : Reuters)

Actée en 2018, la décision de fermer la centrale de Fessenhein, pourtant opérationnelle, semble désormais très lointaine. Et pour cause, l'atome opère un retour en force dans l'Hexagone, malgré les déboires qui s'accumulent depuis 2012 sur le chantier de l'EPR de Flamanville. En témoigne ce nouveau revirement : sept ans après le rachat de la branche énergie d'Alstom par General Electric (GE), à l'époque porté par le ministre de l'Economie Emmanuel Macron, les précieuses activités nucléaires du groupe américain devraient regagner le giron d'EDF. Ce dernier a en effet signé un accord d'exclusivité, ont annoncé jeudi les deux entreprises dans un communiqué commun.

De quoi ramener à la France une pièce stratégique de cette filière historique, à l'heure où le président de la République ne cache plus sa volonté de construire de nouveaux réacteurs nucléaires. Car la fission de l'atome représente, selon lui, une voie royale pour allier « souveraineté énergétique » et mix décarboné, dans un esprit de reconquête industrielle. Après de nombreux atermoiements, le chef de l'Etat devrait d'ailleurs faire des annonces en ce sens dès ce jeudi, lors de son déplacement à Belfort, où sont fabriquées les célèbres turbines Arabelle de GE. Et préciser, à moins de deux mois de la présidentielle, le nombre de réacteurs de troisième génération qu'il entend désormais mettre sur pied sur le territoire français. Explications.

  • À quoi ces turbines servent-elles ?

Si le deal est aussi important, c'est parce que les turbines Arabelle produites à Belfort par GE restent les plus puissantes au monde. Elles atteignent ainsi des tailles colossales : les pièces qui doivent équiper l'EPR de Hinkley Point C, en Angleterre, seront par exemple plus longues qu'un Airbus A380. Pour cause, plus les ailettes dans le rotor de la turbine sont grandes, plus la centrale en question délivre de la puissance et présente un meilleur rendement. D'autant qu'il s'agit d'une pièce essentielle à ces installations. Concrètement, la vapeur dégagée par l'eau portée à ébullition (par la fission des atomes) fait tourner la fameuse turbine, entraînant l'alternateur... qui produit ainsi la précieuse électricité.

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Actuellement, GE revendique la moitié du marché mondial face à des concurrents comme Mitsubishi ou Siemens. En plus des EPR d'EDF, on trouve ces turbines dans des porte-avions à propulsion nucléaire, notamment le Charles de Gaulle, ou encore dans des unités de production du russe Rosatom, grand concurrent d'EDF, pour les réacteurs qu'il construit en Turquie ou qu'il a en projet, comme en Egypte. Elles pourront également équiper les petits réacteurs modulaires (SMR), pour lesquels Emmanuel Macron a annoncé consacrer une enveloppe de quelque 1 milliard d'euros dans le cadre de son plan d'investissement « France 2030 ».

Reste que le périmètre exact de la future acquisition n'est pas encore limpide. Concrètement, l'opération envisagée porte sur « les équipements d'îlots conventionnels de GE Steam Power pour les nouvelles centrales nucléaires, ainsi que sur la maintenance et les mises à niveau des centrales nucléaires existantes », détaillent les deux groupes. Car en plus des turbines Arabelle, les services associés avaient été placés dès la vente à GE dans une entreprise baptisée GE Steam Power System (GEAST), détenue à 20% par l'Etat via Alstom. Une activité qui ne se limite pas à l'usine de Belfort et ses 1.000 salariés : l'opération pourrait concerner jusqu'à 3.400 salariés dans le monde, dont 2.500 en France, selon GE.

  • Pourquoi avaient-elles été vendues aux Américains ?

Alors ministre de l'Économie, Emmanuel Macron avait validé en 2014 la cession de la branche énergie d'Alstom à GE. Et ce, au terme d'un processus si controversé qu'il avait débouché sur un renforcement de la réglementation des investissements étrangers, puis sur une commission d'enquête. Le député Les Républicains (LR) d'Eure-et-Loire Olivier Marleix, qui avait présidé cette dernière, y voyait même un « sparadrap du capitaine Haddock », dont Bercy voulait se défaire.

Avant cette date, Alstom était en fait une entreprise bicéphale, entre activités énergétique et transport ferroviaire. Confrontée à d'importantes difficultés et une lourde dette, la vente de la première branche apparaissait comme la solution pour éviter une restructuration lourde et une casse sociale et industrielle.

« Le pronostic vital était engagé pour la branche énergie, qui aurait probablement entraîné la branche transport dans sa chute », avait plaidé Patrick Kron, alors PDG d'Alstom, lors d'une audition à l'Assemblée nationale.

Depuis, GE n'a pas fait de bonnes affaires. Son action a été divisée par trois, et elle a supprimé 3.000 emplois en France... alors qu'elle avait promis d'en créer. Résultat : l'entreprise est maintenant obligée à son tour de vendre des actifs. Au printemps 2021, sur fond de plan social annoncé dans la branche nucléaire de GE, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avait ainsi annoncé rechercher « une solution française pour les turbines Arabelle », afin de « sécuriser cet actif unique, les compétences qui vont avec et qui sont indispensables à notre avenir énergétique ».

  • Quelle est désormais la stratégie de la France ?

« Une telle opération permettrait de conforter la capacité d'EDF à construire l'avenir de notre système énergétique, et répondrait pleinement à notre ambition industrielle en faveur de cette filière stratégique », expliquait aussi en septembre le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, au moment de l'officialisation des discussions entre les deux groupes.

Et pour cause, le gouvernement entend désormais relancer le nucléaire sur le territoire français, en engageant la construction de plusieurs EPR. Jusqu'ici, l'exécutif a bien évoqué une première mise en service d'EPR2 « en 2035-2037 », mais il doit encore préciser les contours de ces futurs chantiers. Le déplacement d'Emmanuel Macron à Belfort devrait ainsi permettre de clarifier les contours d'un tel projet, puisque le chef de l'Etat compte y annoncer sa politique énergétique en cas de deuxième mandature.

De quoi signer le retour de la stratégie du grand champion français du nucléaire ? Pour la CGT en tout cas, « si la sortie de GE peut être perçue par une partie des salariés comme une espérance d'un renouveau, il convient de s'interroger sur sa finalité industrielle », note le syndicat, qui appelle à « engager un programme d'EPR2, en parallèle de la prolongation des réacteurs actuels ». D'autant que le revirement du gouvernement interroge sur sa vision sur le long terme, et son absence de planification sur le sujet.

« Soyons humbles. Personne n'avait vu venir la gravité de cette crise énergétique, [...] ce n'est que maintenant que nous prenons conscience de ce défi énergétique considérable qui fait que nous allons avoir besoin d'électricité décarbonée dans des volumes infiniment plus importants que ceux à quoi nous nous attendions », a défendu à cet égard Bruno Le Maire, sur France Inter le mardi 8 février.

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Marine Godelier

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Commentaires 9
à écrit le 11/02/2022 à 19:37
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Bonjour, La bonne question est de savoir combien a était vendu la partis énergie d'Alstom... Et combien a était racheter a GE cette entreprise... Voilà la bonne question ?

à écrit le 11/02/2022 à 10:21
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Le rachat des bidules est une chose, mais le savoir faire en est une autre. Aurons nous les compétences nécessaires??

à écrit le 10/02/2022 à 20:59
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Bonsoir, Vous avez mis une belle photo d'un rotor de turbine, mais vous semblez ne pas connaître très bien le produit car cette photo n'a rien à voir avec le nucléaire. En effet ce rotor est prèt à étre installer dans une Turbine à Gaz de type 9000 ...

à écrit le 10/02/2022 à 20:01
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Comme nous sommes en Europe, EDF étant un acteur/fournisseur d'électricité comment ce plan décidé par E. Macron va-t-il passer au niveau européen... EDF n'ayant pas les fonds nécessaires pour ces programmes en supplément des réparations courantes (en...

à écrit le 10/02/2022 à 17:09
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Quelqu'un peut il m'éclairer à ce sujet: Si GE a obtenu les secrets des turbines Arabelle lors du rachat d'alstom energie, est ce que cela signifie pour autant que le savoir-faire de GE dans les turbines sera récupéré par EDF ? (Je me doute bien q...

le 10/02/2022 à 19:54
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Cela dépend du périmètre du contrat. Si c'est sous licence, exclusif ou non etc... Quant au savoir-faire et la propriété intellectuelle, elle était chez Alstom et fut vendue à GE. Sans compter la (petite) division en charge des centrales hydro-élect...

à écrit le 10/02/2022 à 16:21
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Une seule démarche permettrait de connaître les dégâts (les pertes) ou les avantages (bénéfices) serait de faire la balance, entre ce que nous avons vendu, à quelles conditions ? et ce que nous rachetons, y compris, j'espère, tous les brevets !mais c...

à écrit le 10/02/2022 à 15:26
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M. Macron devrait avoir honte d'avoir vendu cette pièce stratégique pour des motifs purement idéologiques. A présent qu'il est confronté à la réalité il est bien OBLIGE de ravaler son "crachat" ! La France n'aurait pas eu besoin de se mettre provis...

le 11/02/2022 à 2:22
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Le mot honte n'existe pas chez micron le dangereux virus francais.

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