
Alors que les sénateurs examineront tout début janvier le projet de loi d'accélération du nucléaire visant à faciliter le déploiement de six EPR 2, dont la première paire est attendue pour 2035, la filière nucléaire pense déjà à l'étape d'après : comment faciliter, aussi, le déploiement des petits réacteurs nucléaires modulaires, les SMR dans le jargon ?
Ces nouveaux réacteurs sont en rupture totale avec la philosophie nucléaire des précédentes années où la course à la taille primait. Ce sont des réacteurs de petite taille et dont la plupart affiche une puissance située entre 50 et 200 mégawatts (MW) électriques, contre 1.000 MW en moyenne pour les réacteurs actuellement en service en France et 1.650 MW pour l'EPR de Flamanville dont la mise en service est prévue fin 2023.
Auditionnés au Sénat mercredi 14 décembre, Luc Rémont, fraîchement nommé à la tête d'EDF, Bernard Doroszczuk, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), François Jacq, l'administrateur général du CEA (commissariat à l'énergie atomique), et Guillaume Dureau, directeur général adjoint d'Orano, ont tous largement abordé la question de ces réacteurs nucléaires beaucoup plus compacts.
Des petits réacteurs sur des sites industriels
Ce « serait utile, pas forcément dans le cadre de ce projet de loi, mais dans un futur proche, que nous puissions également examiner la faculté de désigner des sites qui ne sont pas à proximité des sites [nucléaires, ndlr] existants pour avoir la chance de développer d'autres types de réacteurs en France comme les SMR. Car il serait utile d'installer ces SMR sur des sites industriels à proximité de leurs clients », a estimé Luc Rémont, le tout PDG d'EDF.
« Il serait pertinent que les dispositions relatives à l'accélération [du nucléaire, ndlr] appréhendent l'ensemble des nouveaux réacteurs : que ce soit des SMR ou des plus avancés. Le projet France 2030 est un appel pour la construction de ce nouveau type de réacteur. Si on veut s'assurer qu'il voit le jour, il faut envisager une accélération rapide pour promouvoir ce type de technologie », a abondé Guillaume Dureau d'Orano.
« Si nous ne sommes pas capables d'installer ces réacteurs ailleurs que sur les installations existantes, ça ne va pas avoir beaucoup de sens. Donc, on a un sujet », a renchéri François Jacq, l'administrateur général du CEA.
Quatre projets à l'étude en France
En France, le gendarme du nucléaire mène actuellement des discussions avec quatre porteurs de projets de SMR. Selon Bernard Doroszczuk, le projet Nuward mené par EDF dans le cadre d'un consortium embarquant Framatome, le CEA, Technicatome et Naval Group, est le plus avancé. Toutefois son design n'est encore qu'en phase d'étude et le chemin administratif avant sa construction est encore long.
Mettre en service un premier démonstrateur de SMR au début des années 2030, comme l'a redemandé Bruno Le Maire à EDF lors de son déplacement à Penly vendredi dernier, reste donc « ambitieux », a rappelé François Jacq. D'où la nécessité de simplifier également les démarches administratives.
Initialement, le réacteur Nuward d'EDF de 170 mégawatts, a été pensé pour fonctionner par paire afin de remplacer les centrales à charbon. Il se destinait donc principalement à l'exportation puisqu'en France seules deux centrales à charbon sont encore en activité.
Le nucléaire pour produire de la chaleur décarbonée
En mai 2021, l'électricien et le CEA affirmaient donc que le réacteur Nuward ne visait pas spécifiquement le marché domestique. « La France n'a pas besoin de décarboner son système électrique et notre réseau est déjà adapté à supporter de grosses puissances nucléaires », expliquait ainsi à La Tribune Jean-Michel Ruggieri, responsable du programme SMR au CEA. Il avait été toutefois convenu d'implanter un démonstrateur en France sur un site nucléaire déjà existant. Car comment vendre une nouvelle technologie à l'étranger si elle n'a pas déjà fait ses preuves à domicile ?
Cette philosophie a toutefois nettement évolué car il est désormais question d'implanter plusieurs petits réacteurs sur le territoire français, et notamment au cœur des plus gros sites industriels, voire à proximité de certaines agglomérations. Ces réacteurs compacts pourraient, en effet, être utilisés pour décarboner des procédés industriels très émetteurs, en facilitant notamment la production, in situ, d'hydrogène décarboné par électrolyse de l'eau.
Outre la production d'hydrogène, ces nouveaux réacteurs pourraient être utilisés pour produire directement de la chaleur. « Par rapport à l'usage du nucléaire, ne restons pas focalisés sur l'électrification et l'électricité. Nous avons des besoins de chaleur, il y aura de la décarbonation de la chaleur », a pointé François Jacq. C'est notamment la direction que prend la startup Jimmy. La jeune entreprise planche sur un micro réacteur nucléaire à destination des industriels de la chimie, de l'agroalimentaire et de la papeterie.
La question très sensible de la sécurité
Quid de leur sûreté ? « Ces réacteurs permettent des progrès en matière de puissance résiduelle à évacuer en cas d'accident nucléaire. Étant donné qu'elle est plus faible, cela donne la possibilité de mettre en place des dispositifs [de sûreté, ndlr] passifs. C'est un avantage tout à fait significatif », a souligné Bernard Doroszczuk. A titre de comparaison, dans le cas d'un gros réacteur de type EPR, il faut assurer en permanence les conditions de refroidissement du cœur, qui nécessitent des dispositifs électriques, et ce même lorsque le réacteur est à l'arrêt.
En revanche, la sécurité de ces petits réacteurs, qui, elle, a trait aux actes malveillants, comme les intrusions criminelles ou terroristes ou encore les cyberattaques, est beaucoup plus sensible. « La sécurité peut devenir un sujet plus lourd à traiter que celui de la sûreté [qui elle relève de la gestion des incidents, ndlr] », selon le président de l'ASN. « C'est un sujet qui est plus complexe pour un réacteur implanté dans une zone industrielle, voire près d'une agglomération, qu'un réacteur sur une gros site nucléaire qui est déjà sécurisé avec beaucoup de moyens, y compris des moyens d'interventions en cas d'intrusion », a-t-il pointé.
L'implantation de petits réacteurs en dehors de sites nucléaires déjà existants posera, en outre, la question de leur acceptabilité, tout comme c'est le cas aujourd'hui avec l'implantation des énergies renouvelables et en particulier des éoliennes et des méthaniseurs. Le gendarme du nucléaire estime enfin qu'il faut apporter une plus grande attention au cycle du combustible. « Il y a plus de 100 projets de SMR dans le monde, mais très peu s'interrogent sur le cycle combustible. (...) Il faut avoir une vision globale », conclut-il.
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