France : les petits réacteurs nucléaires, l'outil pour une industrie décarbonée

Auditionnés au Sénat, les dirigeants d’EDF, du CEA et d’Orano ainsi que le gendarme du nucléaire ont alerté sur la nécessité de préparer dès maintenant le déploiement des Small modular reactors (SMR) en France. Ces réacteurs beaucoup plus compacts devraient notamment trouver leur place sur les grands sites industriels pour produire de la chaleur et de l’hydrogène décarboné. S’ils se présentent comme intrinsèquement plus sûrs que les gros réacteurs nucléaires, leur probable implantation soulève des questions en termes de sécurité par rapport à des menaces d'actes malveillants, comme les intrusions criminelles ou terroristes ou encore les cyberattaques.
Juliette Raynal
Le gendarme du nucléaire français discute actuellement avec quatre porteurs de projets de petits réacteurs modulaires. Selon le président de l'ASN, le projet Nuward mené par EDF est le plus avancé. Il ne devrait toutefois pas voir le jour avant 2030.
Le gendarme du nucléaire français discute actuellement avec quatre porteurs de projets de petits réacteurs modulaires. Selon le président de l'ASN, le projet Nuward mené par EDF est le plus avancé. Il ne devrait toutefois pas voir le jour avant 2030. (Crédits : TechnicAtome)

Alors que les sénateurs examineront tout début janvier le projet de loi d'accélération du nucléaire visant à faciliter le déploiement de six EPR 2, dont la première paire est attendue pour 2035, la filière nucléaire pense déjà à l'étape d'après : comment faciliter, aussi, le déploiement des petits réacteurs nucléaires modulaires, les SMR dans le jargon ?

Ces nouveaux réacteurs sont en rupture totale avec la philosophie nucléaire des précédentes années où la course à la taille primait. Ce sont des réacteurs de petite taille et dont la plupart affiche une puissance située entre 50 et 200 mégawatts (MW) électriques, contre 1.000 MW en moyenne pour les réacteurs actuellement en service en France et 1.650 MW pour l'EPR de Flamanville dont la mise en service est prévue fin 2023.

Auditionnés au Sénat mercredi 14 décembre, Luc Rémont, fraîchement nommé à la tête d'EDF, Bernard Doroszczuk, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), François Jacq, l'administrateur général du CEA (commissariat à l'énergie atomique), et Guillaume Dureau, directeur général adjoint d'Orano, ont tous largement abordé la question de ces réacteurs nucléaires beaucoup plus compacts.

Des petits réacteurs sur des sites industriels

Ce « serait utile, pas forcément dans le cadre de ce projet de loi, mais dans un futur proche, que nous puissions également examiner la faculté de désigner des sites qui ne sont pas à proximité des sites [nucléaires, ndlr] existants pour avoir la chance de développer d'autres types de réacteurs en France comme les SMR. Car il serait utile d'installer ces SMR sur des sites industriels à proximité de leurs clients », a estimé Luc Rémont, le tout PDG d'EDF.

« Il serait pertinent que les dispositions relatives à l'accélération [du nucléaire, ndlr] appréhendent l'ensemble des nouveaux réacteurs : que ce soit des SMR ou des plus avancés. Le projet France 2030 est un appel pour la construction de ce nouveau type de réacteur. Si on veut s'assurer qu'il voit le jour, il faut envisager une accélération rapide pour promouvoir ce type de technologie », a abondé Guillaume Dureau d'Orano.

« Si nous ne sommes pas capables d'installer ces réacteurs ailleurs que sur les installations existantes, ça ne va pas avoir beaucoup de sens. Donc, on a un sujet », a renchéri François Jacq, l'administrateur général du CEA.

Quatre projets à l'étude en France

En France, le gendarme du nucléaire mène actuellement des discussions avec quatre porteurs de projets de SMR. Selon Bernard Doroszczuk, le projet Nuward mené par EDF dans le cadre d'un consortium embarquant Framatome, le CEA, Technicatome et Naval Group, est le plus avancé. Toutefois son design n'est encore qu'en phase d'étude et le chemin administratif avant sa construction est encore long.

Mettre en service un premier démonstrateur de SMR au début des années 2030, comme l'a redemandé Bruno Le Maire à EDF lors de son déplacement à Penly vendredi dernier, reste donc « ambitieux », a rappelé François Jacq. D'où la nécessité de simplifier également les démarches administratives.

Initialement, le réacteur Nuward d'EDF de 170 mégawatts, a été pensé pour fonctionner par paire afin de remplacer les centrales à charbon. Il se destinait donc principalement à l'exportation puisqu'en France seules deux centrales à charbon sont encore en activité.

Le nucléaire pour produire de la chaleur décarbonée

En mai 2021, l'électricien et le CEA affirmaient donc que le réacteur Nuward ne visait pas spécifiquement le marché domestique. « La France n'a pas besoin de décarboner son système électrique et notre réseau est déjà adapté à supporter de grosses puissances nucléaires », expliquait ainsi à La Tribune Jean-Michel Ruggieri, responsable du programme SMR au CEA. Il avait été toutefois convenu d'implanter un démonstrateur en France sur un site nucléaire déjà existant. Car comment vendre une nouvelle technologie à l'étranger si elle n'a pas déjà fait ses preuves à domicile ?

Cette philosophie a toutefois nettement évolué car il est désormais question d'implanter plusieurs petits réacteurs sur le territoire français, et notamment au cœur des plus gros sites industriels, voire à proximité de certaines agglomérations. Ces réacteurs compacts pourraient, en effet, être utilisés pour décarboner des procédés industriels très émetteurs, en facilitant notamment la production, in situ, d'hydrogène décarboné par électrolyse de l'eau.

Outre la production d'hydrogène, ces nouveaux réacteurs pourraient être utilisés pour produire directement de la chaleur. « Par rapport à l'usage du nucléaire, ne restons pas focalisés sur l'électrification et l'électricité. Nous avons des besoins de chaleur, il y aura de la décarbonation de la chaleur », a pointé François Jacq.  C'est notamment la direction que prend la startup Jimmy. La jeune entreprise planche sur un micro réacteur nucléaire à destination des industriels de la chimie, de l'agroalimentaire et de la papeterie.

La question très sensible de la sécurité

Quid de leur sûreté ? « Ces réacteurs permettent des progrès en matière de puissance résiduelle à évacuer en cas d'accident nucléaire. Étant donné qu'elle est plus faible, cela donne la possibilité de mettre en place des dispositifs [de sûreté, ndlr] passifs. C'est un avantage tout à fait significatif », a souligné Bernard Doroszczuk. A titre de comparaison, dans le cas d'un gros réacteur de type EPR, il faut assurer en permanence les conditions de refroidissement du cœur, qui nécessitent des dispositifs électriques, et ce même lorsque le réacteur est à l'arrêt.

En revanche, la sécurité de ces petits réacteurs, qui, elle, a trait aux actes malveillants, comme les intrusions criminelles ou terroristes ou encore les cyberattaques, est beaucoup plus sensible. « La sécurité peut devenir un sujet plus lourd à traiter que celui de la sûreté [qui elle relève de la gestion des incidents, ndlr] », selon le président de l'ASN. « C'est un sujet qui est plus complexe pour un réacteur implanté dans une zone industrielle, voire près d'une agglomération, qu'un réacteur sur une gros site nucléaire qui est déjà sécurisé avec beaucoup de moyens, y compris des moyens d'interventions en cas d'intrusion », a-t-il pointé.

L'implantation de petits réacteurs en dehors de sites nucléaires déjà existants posera, en outre, la question de leur acceptabilité, tout comme c'est le cas aujourd'hui avec l'implantation des énergies renouvelables et en particulier des éoliennes et des méthaniseurs. Le gendarme du nucléaire estime enfin qu'il faut apporter une plus grande attention au cycle du combustible. « Il y a plus de 100 projets de SMR dans le monde, mais très peu s'interrogent sur le cycle combustible. (...) Il faut avoir une vision globale », conclut-il.

Juliette Raynal

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 33
à écrit le 16/12/2022 à 15:00
Signaler
A supposer un site de 2 SMR de 170 MWe, chacun (projet EDF) c'est déjà conséquent en terme de puissance installée, par rapport à un réacteur (actuel) de 900 MWe. C'est à dire que la production des déchets radioactifs - restera - proportionnelle à la ...

à écrit le 16/12/2022 à 11:52
Signaler
On peut déjà souligner que l'implantation de SMR est d'ordre "terroriste" du fait des risques encourues ! Non?

à écrit le 16/12/2022 à 11:51
Signaler
N'importe quoi ces une production d'énergie qui n'a rien de renouvelable, hyper dangereuse et tributaire des mines d'uranium. Sans compter la dicimination. Cette forme de production d'énergie n'a aucun avenir.

à écrit le 16/12/2022 à 11:49
Signaler
N'importe quoi ces petits réacteurs 1- Faisons d'abord fonctionner les vieux (Ils produisent assez de courant et apprenons à maitriser les soudures et la corrosion) 2- Faisons d'abord marcher les EPR (Ils ont couté une blinde et on n'est pas au bou...

le 16/12/2022 à 16:57
Signaler
Il est clair qu'EDF est plutôt de votre avis et freine des quatre pieds sur les SMR. Malheureusement, l'évolution des technologies ne fonctionne pas sur ce principe et nous pourrions bien nous retrouver complétement dépassés d'ici 10 ans par les pays...

à écrit le 16/12/2022 à 11:49
Signaler
N'importe quoi ces petits réacteurs 1- Faisons d'abord fonctionner les vieux (Ils produisent assez de courant et apprenons à maitriser les soudures et la corrosion) 2- Faisons d'abord marcher les EPR (Ils ont couté une blinde et on n'est pas au bou...

à écrit le 16/12/2022 à 11:08
Signaler
La multiplication des réacteurs nucléaires petits moyens ou gros est une source certaine de problèmes. Aucun modèle n'est satisfaisant en terme de securite, mais dans ce domaine, l'avantage est quand même au grosses unités. Vu que la meilleure energi...

à écrit le 16/12/2022 à 11:00
Signaler
Et pendant qu'on théorise et qu'on polémique en France, les Russes ont déjà leurs SMR. Sur des barges, et bien pratiques pour fournir de l'électricité dans le grand Nord sibérien. Dommage que ce soient tellement affreux, les Russes.

à écrit le 16/12/2022 à 10:22
Signaler
J'avoue que j'ai un peu de faiblesse pour ces petits engins d'un fonctionnement plus souple que les grosses installations en outre avec la propulsion nucléaire nous avons un assez bon retour. C'est un élément qui doit s'intégrer dans un niveau concep...

à écrit le 16/12/2022 à 9:57
Signaler
Quid de la réfrigération de ces réacteurs, 'il est possible de produire de la chaleur', Quid de l'enfouissement des déchets, sur place aussi ? Quid de la fourniture d'uranium (la dernière livraison de Russie, date de novembre). Faisons confiance aux ...

le 16/12/2022 à 15:05
Signaler
Vraiment, vous découvrez que toutes les centrales électriques produisent aussi de la chaleur ? Et pourquoi voulez-vous stocker les déchets sur place ? Enfin, pensez-vous sérieusement que la France est dépendante de la Russie pour sa fourniture d'uran...

à écrit le 16/12/2022 à 9:54
Signaler
On peut déjà souligner que l'implantation de SMR est d'ordre "terroriste" du fait des risques encourues !

à écrit le 16/12/2022 à 8:19
Signaler
Ces SMR pourraient être des solutions intéressantes pour des territoires moins peuplés comme la Nouvelle-Calédonie ou la Corse, afin de mettre fin aux solutions fortement carbonées. Je crois que la Présidente de la région Pays-de-la-Loire avait marqu...

à écrit le 16/12/2022 à 3:26
Signaler
Toujours des auditions des commissions des rapports mais pas de décisions, avec un tel degré de procrastination l'autonomie énergétique de notre pays n'est pas pour demain. Merci aux écolos bobos pour leur contribution au sabootage de l'économie fra...

à écrit le 15/12/2022 à 23:29
Signaler
Arc-bouté à son EPR trop puissant et trop complexe, EDF essaye de trouver un moyen pour bloquer le déploiement du SMR français, plus sûr et plus modulaire, qui représente pourtant l'avenir du nucléaire, d'où la proposition absurde d'installation sur ...

le 15/12/2022 à 23:50
Signaler
SMR = petit réacteur pour les sous-marins nucléaires. il est donc hautement risqué de les disséminer à droite à gauche pour qu'il soit copiés par des nations malveillantes. tu n'as qu'à voir la vidéo de Yves Brechet pour comprendre qui est en train...

le 16/12/2022 à 15:11
Signaler
@Emergency - Tout à fait d'accord, car les SMR générateurs d'électricité sont destinés à être utilisés en grappes, sur des sites sécurisés. L'administrateur général du CEA étant un administratif, il semble ignore que pour produire de l'électricité pa...

à écrit le 15/12/2022 à 22:45
Signaler
Donc on va se retrouver avec plein de petits réacteurs nucléaires un peu partout sur le territoire, super comme ça on va multiplier le risque d'accidents....prions également pour que des terroristes n'y accèdent pas....j'espère que la sécurité et la ...

le 15/12/2022 à 23:33
Signaler
C'est petits réacteurs sont beaucoup plus sûrs, mais il n'y a actuellement aucune raison valable de vouloir les répartir sur toute la France, sauf évidemment si l'on veut éviter qu'ils concurrencent les EPR2. Ce serait différent pour un réacteur conç...

à écrit le 15/12/2022 à 20:48
Signaler
"l'administrateur général du CEA (commissariat à l'énergie atomique)" depuis Mr Fillon Premier Ministre, c'est devenu le "commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives"

à écrit le 15/12/2022 à 20:35
Signaler
Les petits réacteurs nucléaires étaient présentés il n'y a pas très longtemps à la fois sans intérêt technique et comme une aberration économique. Comme quoi ...

le 15/12/2022 à 23:35
Signaler
C'est à prouver sur le terrain mais l'effet de série des SMR pourrait assez facilement compenser l'effet d'échelle qui a conduit à un réacteur surpuissant comme l'EPR.

à écrit le 15/12/2022 à 20:00
Signaler
Encore une konnerie sans nom, qu'ils terminent déjà les EPR, l'entretien des anciennes centrales et la construction des générations futures. Lorgner aussi sur cette avancée chez les ricains sur la fusion.

à écrit le 15/12/2022 à 19:16
Signaler
la puissance correspond a une dizaine d eoliennes terrestres de 5 a 8 MW ou 4 eoliennes offshores (15 MW chacune) . Ca me parait absurde de privilegier les petits reacteurs nucleaires. (cher, risque et lent a construire)

le 15/12/2022 à 22:05
Signaler
Sauf que vos éoliennes sont des sources d'énergie intermittentes et non pilotable à l'instar du nucléaire ...

le 15/12/2022 à 23:38
Signaler
Pour compléter @Jack Hadi, pour prendre le relais lorsque les éoliennes ne tournent pas, il faut doubler vos éoliennes par une centrale pilotable, à charbon comme en Allemagne (là ça a un sens, car lorsque les éoliennes tournent la centrale à charbon...

le 16/12/2022 à 14:30
Signaler
Les reacteurs nucleaires ont une disponibilite de 52% sur l annee (entre incidents, reparations et manutention). ils sont meme plus intermittent que l eolien

à écrit le 15/12/2022 à 19:13
Signaler
L'EPR est trop gros, du coup, maintenant, on fait des réacteurs trop petits, youpi !

le 15/12/2022 à 23:39
Signaler
Le SMR français n'est pas trop petit, il est peut-être même trop gros par rapport aux équivalents américains.

à écrit le 15/12/2022 à 19:00
Signaler
Espérons que notre Président footballeur ne tiendra plus compte de l'opinion des écolos et qu'il défendra la filière nucléaire.

à écrit le 15/12/2022 à 18:46
Signaler
Une autre urgence est d'abroger l'objectif de réduire le nucléaire existant à 50% de l'électricité et d'imposer à EDF de proposer les actions pour que la totalité des réacteurs existants soient exploités 60 ou 80 ans comme aux USA.

à écrit le 15/12/2022 à 18:24
Signaler
C'est une politique absurde : Avec l'EPR, on a fait des réacteurs trop puissants, trop gros. Au lieu de reconnaitre qu'on s'est trompés et de redimensionner l'EPR à une puissance plus raisonnable, on va faire des réacteurs cette fois trop petits ...

le 15/12/2022 à 23:42
Signaler
L'équivalent américain le plus en pointe, Nuscale, est nettement moins puissant, ce qui est logique car l'idée est de faire fonctionner ces réacteurs en grappes et d'avoir un effet de série.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.