Réacteurs nucléaires : EDF devra encore étendre son contrôle des fissures

Après avoir identifié un défaut de corrosion dans plusieurs de ses réacteurs nucléaires, EDF n’en voit pas le bout. Car les causes de cette anomalie sans précédent restent inconnues, et interrogent sur son éventuelle présence dans d'autres installations. Surtout, à l'intérieur-même des centrales, le phénomène pourrait s’étendre au-delà du circuit d’injection de sécurité, jusqu’ici seul concerné. L’Autorité de sûreté nucléaire a ainsi demandé jeudi à l’électricien d’inspecter d’autres tuyauteries sur l’ensemble de son parc, et d’approfondir les facteurs d’apparition de ces fissures. Explications.
Marine Godelier
Lors des contrôles effectués dans le cadre de la visite décennale de la centrale de Penly, en Normandie, une nouvelle fissure a été identifiée dans l'un des réacteurs sur une portion de tuyauterie.

La nouvelle tombe mal pour l'exécutif. Alors qu'Emmanuel Macron a affirmé le 10 février dernier qu'il souhaitait prolonger le plus possible la durée de vie du parc nucléaire existant, ce dernier accumule les déboires. Et pour cause, un défaut de corrosion identifié ou suspecté dans cinq réacteurs d'EDF a récemment poussé l'électricien à les arrêter pour les contrôler, et à étendre les investigations à l'ensemble de ses installations. Une opération qui l'oblige à revoir sa production nucléaire en 2022, celle-ci s'effondrant à un niveau historiquement bas, et qui devrait lui coûter pas loin de 11 millions d'euros d'Ebitda sur l'année.

Mais au-delà de ce choc financier provisoire, l'événement remet-il en cause la capacité du parc historique à fournir de l'électricité en toute sécurité ? Selon l'Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) il exige en tout cas de mener des « analyses complémentaires » pour vérifier que d'autres tuyaux ne sont pas concernés dans les centrales touchées, en plus des inspections déjà prévus sur le circuit concerné.

En effet, alors que l'anomalie a jusqu'ici été repérée dans le circuit d'injection de sécurité en cas d'accident (dit RIS), « des indications » laissent à penser qu'il pourrait s'étendre au système de refroidissement du réacteur à l'arrêt (RRA), souligne le gendarme du nucléaire dans une note publiée jeudi 25 février. Car ce système est en fait composé du même acier que le RIS, et pourrait donc abriter lui aussi ce phénomène de fissuration sous contrainte.

« A ce stade EDF a détecté sur le RRA des indications, c'est-à-dire des signaux issus des contrôles par ultrason pouvant correspondre à des défauts. Une expertise in situ ou en laboratoire est nécessaire pour pouvoir confirmer la nature du phénomène », explique à La Tribune une source à l'ASN.

Pour EDF, l'aptitude des circuits à remplir leur fonction est assurée

Une éventualité qui soulève la question de la sûreté des installations puisque, comme son nom l'indique, le RRA fonctionne dès lors qu'un réacteur est mis à l'arrêt. En effet, son rôle est d'évacuer la chaleur résiduelle produite par le combustible dans la cuve et d'éviter l'échauffement de l'eau du circuit primaire dû à la présence de combustible dans le cœur. Le RRA se trouve donc régulièrement sollicité, contrairement au RIS, mis à profit uniquement en cas d'accident afin d'éviter l'entrée en fusion du réacteur.

Malgré tout, EDF l'assure : les fissurations en question, qui s'étendent sur quelques millimètres seulement, ne présentent de toute façon pas de danger imminent. « Suite aux analyses réalisées à partir du défaut le plus marqué constaté à date, nous estimons que l'aptitude des circuits à remplir leur fonction est assurée », souligne le groupe à La Tribune.

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Il n'empêche que, malgré cette communication rassurante, « le principe de défense en profondeur demande, tout de même, de considérer que des défaillances puissent intervenir, afin d'identifier des dispositions visant à gérer de telles situations. Par exemple, la prévention pourrait être renforcée en pilotant le réacteur de manière à réduire les sollicitations des circuits, ou encore réduire la probabilité d'occurrence de la mise en service de l'injection de sécurité », fait valoir la source à l'ASN. D'autant que ce phénomène générique ne connaît pas de précédent historique, et que ses causes et son potentiel de développement restent pour l'heure totalement inconnues.

« Nous nous sommes mis en relation avec nos homologues à l'international et nous nous sommes aperçus qu'à l'exception d'un réacteur japonais sur un problème spécifique, aucun d'entre eux n'avait rencontré ce problème. C'est un événement totalement inédit pour l'ensemble du parc nucléaire au niveau mondial » , avait ainsi indiqué le directeur exécutif d'EDF, Cédric Lewandowski, le 18 février, lors de la présentation des résultats financiers 2021 du groupe.

A cet égard, la compréhension des « facteurs d'apparition et de développement de corrosion sous contrainte reste à approfondir, notamment vis-à-vis des procédés de soudage utilisés », préconise l'ASN dans sa note de jeudi.

L'ensemble du parc sera inspecté

Surtout, les questionnements sur le périmètre réel de ce problème interrogent sur l'ampleur du travail que l'opérateur devra réaliser pour maintenir la sûreté de son parc. Pour rappel, il avait présenté le 11 février dernier un vaste programme de nouvelles investigations, et identifié six réacteurs à recontrôler en priorité, soit d'ici à fin avril au plus tard : Bugey 3 et 4, Cattenom 3, Chinon 3 et Flamanville 1 et 2. Par ailleurs, « pour compléter sa compréhension du phénomène », EDF contrôlera aussi des réacteurs représentatifs de ses différents modèles et déjà à l'arrêt, a souligné l'ASN hier : Penly 1, Civaux 1, mais aussi Fessenheim 2, pour sa part arrêté définitivement.

« Nous allons y effectuer des contrôles dans les prochaines semaines. Quant au reste du parc, un programme de contrôle est prévu sur les arrêts déjà programmés pour maintenance », explique-t-on chez EDF.

Les 56 réacteurs de l'Hexagone seront donc bien inspectés via des procédés améliorés d'ultrasons, et pas seulement les circuits de secours du circuit primaire, avait déjà assuré Cédric Lewandowski le 18 février dernier. Et ce, dans un ordre défini « sur la base des résultats d'examens réalisés lors des précédentes visites décennales et des résultats des expertises », précise-t-on chez EDF.

En outre, en plus de ces investigations, les réparations risquent de prendre beaucoup de temps. EDF pourrait en effet être contraint de couper, puis de refaire les tuyauteries affectées. « Nous sommes engagés sur du moyen terme », confirme Cédric Lewandowski.

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L'EPR de Flamanville opérationnel dès 2023

Reste que toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises pour EDF. En effet, au moment-même où l'ASN publiait sa note sur le défaut de corrosion touchant le parc historique, l'électricien faisait savoir que le réacteur EPR en construction à Flamanville (Manche) fournira de l'électricité au réseau dès 2023. Pourtant, après l'incident à l'EPR de Taishan cet été (conçu conjointement par le chinois CGN et par EDF), les inquiétudes se multipliaient sur la fiabilité du modèle EPR. Mais celui-ci n'est « pas remis en cause », assure depuis plusieurs jours l'entreprise tricolore, qui a pu identifier l'origine des problèmes survenus à Taishan.

Concrètement, il s'agit de ruptures de ressorts sur « quelques crayons » (des barres de combustibles), qui ont conduit à leur « inétanchéité », et d'un « phénomène de frottement localisé » entre les assemblages de combustibles et le « réflecteur lourd », un composant enveloppant le coeur qui permet de guider l'eau à l'intérieur de la cuve. Autant d'anomalies qui seront « évités à Flamanville 3 grâce au retour d'expérience », fait-on valoir chez EDF. Ainsi, après plus de dix ans de retard, le chargement du combustible devrait y débuter dès le deuxième trimestre de 2023, avant un processus de démarrage long de plusieurs mois.

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Marine Godelier

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Commentaires 4
à écrit le 18/03/2022 à 17:11
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La question à se poser: les fissures sont-elles dues au manque de compétence des soudeurs ou bien à la mauvaise qualité de l'acier qui est facilement traçable ? Nous aimerions une information exacte et HONNETE.

à écrit le 18/03/2022 à 16:53
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C est vrai que la radioactivite a un pouvoir de corrosion extraordinaire. Il corrompt meme le beton .A Tchernobyl, il va faloir changer le sarcophage de beton plus tot que prevu . Afukushima, la masse radioactive a perforer le socle de beton avec gra...

à écrit le 18/03/2022 à 16:45
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Prolonger de 10 ans le fonctionnement des centrales , dans ces conditions de fissurations generalisees, n est ce pas suicidaire ?

à écrit le 28/02/2022 à 9:19
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Si les défauts s'avèrent génériques sur le parc français , les 11 millions d'euros de perte sur l'Ebitda apparaissent dérisoires!!C'est la viabilité de toute la filière française qui est en jeu.

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