Relance du nucléaire : le nouveau retard de Flamanville douche les espoirs d’EDF et du gouvernement

Enième rebondissement dans la saga du réacteur nucléaire de Flamanville, près de quinze ans après le lancement de ce chantier pharaonique : EDF a annoncé mercredi essuyer un nouveau retard et des surcoûts, qui s’ajoutent aux multiples déboires connus par le projet. L’événement interroge sur la capacité réelle du groupe français à construire rapidement des unités de production nucléaire, alors même que le gouvernement plaide pour un retour en force de l’atome dès 2035-2040. Et soulève la question des raisons concrètes de ce glissement à répétition du calendrier, malgré la mobilisation du fournisseur d'électricité. Décryptage.
Marine Godelier
Le réacteur de nouvelle génération de Flamanville, dont l'édification a débuté en décembre 2007, devait au départ être mis en service en 2012, mais son chantier a été affecté par de nombreux déboires et surcoûts.
Le réacteur de nouvelle génération de Flamanville, dont l'édification a débuté en décembre 2007, devait au départ être mis en service en 2012, mais son chantier a été affecté par de nombreux déboires et surcoûts. (Crédits : Reuters)

Au moment où le retour en grâce de l'atome au niveau mondial lui offre des perspectives extrêmement favorables, c'est un énième revers qui tombe très mal pour EDF, déjà confronté à une anomalie sérieuse dans plusieurs centrales de l'Hexagone. C'est également embarrassant, sur le plan politique, pour tous les partisans du nucléaire, Emmanuel Macron en tête puisque le chef de l'Etat compte relancer la construction de réacteurs sur le territoire. Et pour cause, à l'aube de choix structurants sur le futur énergétique du pays, cet épisode pourrait aggraver les doutes sur les capacités réelles de l'électricien à livrer une future série d'EPR dès « 2035-2037 », comme l'envisage désormais le gouvernement. Et nourrir les craintes sur le manque de marges de manœuvre du système électrique de la France, alors qu'onze de ses centrales sont actuellement à l'arrêt, poussant l'exécutif à recourir au charbon pour passer l'hiver. Nul doute, en tout cas, que le sujet agitera les débats de la campagne présidentielle et qu'il permettra à Yannick Jadot (EELV) et Jean-Luc Mélenchon (LFI), à la peine dans les sondages, de faire entendre leur voix. Sur Twitter, le premier a ainsi évoqué un « fiasco payé par les Français », et le second un « naufrage du nucléaire ».

EDF a en effet annoncé ce mercredi 12 janvier que l'EPR de Flamanville (Manche), le seul en construction dans l'Hexagone, ne sera finalement pas prêt avant le deuxième trimestre 2023, contre fin 2022 jusqu'ici. Et sa facture devrait elle aussi gonfler, passant de 12,4 à 12,7 milliards d'euros, a indiqué le groupe. Un glissement qui s'ajoute à de nombreux retards déjà accumulés sur le projet, présenté à l'origine comme le futur fer de lance de la filière nucléaire, puisque le chantier (commencé fin 2007) devait initialement s'achever il y a dix ans... et coûter près de quatre fois moins cher. Face à cette nouvelle déconvenue, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a déclaré en début d'après-midi que l'exécutif veillera à ce que l'entreprise « tire les leçons des différents retards », avec l'objectif d' « améliorer le processus industriel ».

Pourtant, au mois d'octobre dernier, le ciel semblait s'éclaircir pour EDF : l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) validait sa solution visant à résoudre les derniers problèmes observés sur l'EPR de Flamanville, évitant au fournisseur d'électricité des réparations plus complexes. Cependant, malgré cette bonne nouvelle, « l'état d'avancement des opérations » et « la préparation du démarrage dans un contexte industriel rendu plus difficile par la pandémie » rendent la modification du calendrier nécessaire, explique aujourd'hui l'entreprise. Mais alors même que celle-ci peut se réjouir d'un alignement des astres inédit en faveur d'une relance du nucléaire, plus de dix ans après l'accident de Fukushima, une question se pose : où le bât blesse-t-il exactement ?

Remise à niveau des soudures du circuit secondaire principal

Concrètement, les difficultés touchent notamment au circuit secondaire principal, utilisé pour convertir l'énergie thermique produite par le cœur du réacteur en énergie électrique. Car les soudures devront y être remises à niveau, ce qui prendra « plus de temps que prévu » et ne devrait pas être achevé avant août 2022, explique-t-on chez l'électricien. En 2018 et 2019 déjà, EDF avait décalé la mise en service de l'EPR et annoncé un surcoût à cause de ces défauts de soudure du circuit secondaire.

« Cela se fait dans des conditions de sécurité et de qualité très, très élevées, avec un nombre de soudures à reprendre un peu plus important que ce qui était prévu au départ », précise Xavier Ursat, directeur exécutif Groupe en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire chez EDF.

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A cet égard, la pandémie de coronavirus n'a pas aidé. Car si EDF met en avant une « gestion extrêmement forte » de la crise, qui a permis de « toujours maintenir les activités sur le chemin critique », la situation sanitaire a « forcément eu un impact diffus » sur la tenue du calendrier.

Cependant, au-delà du contexte particulier, la raison de ce nouveau retard n'est pas à chercher du côté des compétences, assure le groupe, pourtant parfois pointé du doigt pour la perte de savoir-faire de ses équipes dans le nucléaire. « Nous sommes conscients que la filière se trouve à un moment extrêmement important, et avons beaucoup travaillé ces dernières années pour être au rendez-vous des projets. Il y a eu un travail immense à Flamanville, et malgré des difficultés historiques, les équipes sont aujourd'hui focalisées sur la finition, afin de démarrer dans les meilleures conditions », fait ainsi valoir Xavier Ursat.

 « Plus de 3.000 personnes sont engagées pour finir [...] Nous sommes passés d'un chantier à un site en pré-exploitation. [...] Il suffit maintenant de poursuivre la dynamique engagée, et valider les dernières étapes », abonde Alain Morvan, directeur du projet.

L'incident de Taishan ne remet pas en cause le modèle EPR

Reste qu'en plus de ces défauts de soudure, l'incident de juillet dernier qui avait conduit à l'arrêt d'un des réacteurs EPR de Taishan (en Chine), co-construit par EDF, freinera lui aussi le processus de mise en service de Flamanville. L'ASN avait en effet exigé de comprendre ce qu'il s'y était passé avant de donner le feu vert au réacteur normand.

« Il y a encore beaucoup de travail à effectuer sur ce chantier en amont des opérations de démarrage, et le retour d'expérience de l'écart de l'EPR Taishan 1 doit avoir lieu », avait récemment jugé Julien Collet, directeur général adjoint de l'ASN.

Mais alors qu'EDF a expliqué ce mercredi que Taishan 1 avait subi « un phénomène d'usure mécanique de certains composants d'assemblages », les problèmes rencontrés « ne remettent pas en cause le modèle EPR », assure le groupe. Dans le détail, il s'agit d'une inétanchéité localisée liée à la dégradation de la gaine de quelques crayons (les longs tubes en métal dans lesquels on place les pastilles de combustible), maintenus dans des assemblages par des grilles.

« C'est un phénomène connu, et déjà rencontré notamment sur le parc nucléaire français. [...] Pour autant, c'est un sujet technique qui doit être traité. Après une instruction avec l'ASN, des études pourront mener à un ajustements des procédés de fabrication, et au déploiement d'une technologie différente au sein de ces assemblages », développe Nicolas Février, directeur de la direction technique de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire chez EDF.

En effet, une instruction formelle de l'ASN devra valider ces éléments dans les prochains mois, et les prendre en compte dans le démarrage de l'EPR de Flamanville. « C'est normal qu'après la mise en fonctionnement d'un premier exemplaire, on fasse quelques constats qui font l'objet de retour d'expérience. C'est ce qu'il se passe dans à peu près tous les secteurs industriels. [...] Il faut en tirer parti pour être plus précis et performant », justifie Xavier Ursat.

Une mise en service commerciale prévue fin 2023

Après la clôture des derniers dossiers en cours d'instruction avec l'ASN et son autorisation formelle, EDF pourra donc procéder au chargement du combustible dès le 2ème trimestre 2023, selon le nouveau calendrier. L'électricien testera alors différents paliers de puissance. « Il sera d'abord nul, afin d'observer le comportement du cœur. Ensuite, nous monterons à 5%, puis 25% [comme c'est le cas actuellement en Finlande, dans l'EPR construit par Areva, ndlr]. Après ce palier, nous couplerons le réacteur au réseau électrique à haute tension, avant de monter progressivement jusqu'à 100% de puissance », précise Xavier Ursat.

Dès lors, EDF pourra enfin, après plus d'une décennie de retard, déclarer officiellement la mise en service commerciale de l'EPR de Flamanville, et fournir aux Français ses premiers mégawattheures. Une étape pour l'heure prévue « avant fin 2023 », avance le groupe. Mais si celui-ci se dit « confiant dans ce nouveau planning », d'autres surprise pourraient encore survenir d'ici là...

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Marine Godelier

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Commentaires 17
à écrit le 13/01/2022 à 19:29
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Dans savoir-faire, il y a faire. Et si l'on reste trop longtemps sans faire, on perd très vite les rudiments du métier, d'autant plus que sans investissements pendant longtemps, ceux qui savent partent à la retraite sans pouvoir transmettre leur savo...

à écrit le 13/01/2022 à 15:44
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Dans n'importe quelle entreprise du privé, les responsables auraient été virés depuis longtemps et la centrale serait terminée. Mais impossible en France de toucher à notre secteur public boursouflé, inefficace et abyssalement coûteux, sans que les ...

le 14/01/2022 à 18:36
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Comme quand de multiples banques privées font faillites et maintenues à flot par les deniers publics ? Ceux qui ne comprennent pas que l'investissement publique est nécessairement une perte sèche et que sans lui nous n'aurions ni routes ni aéroports...

à écrit le 13/01/2022 à 15:35
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Il y a 50 ans on se posait beaucoup moins de questions , moins de règlementations et nous avons jamais eu d'incident majeur faisons confiance à tous ceux qui ont contribués aux développement de cette merveille de technologie et laisser EDF en constru...

à écrit le 13/01/2022 à 13:33
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En clair la France ne sait plus construire de centrale nucléaire. Solution si on veut en construire faire appel à l'étranger (chinois ou coréen).

le 14/01/2022 à 0:09
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Pas d'ecole,pasd'ingeniere!OK..

à écrit le 13/01/2022 à 11:25
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Ne pouvait-on pas se contenter de construire des centrales de même type que celles construites dans les années 70? Elles ont fait la preuve de leur sécurité et de leur longévité.

à écrit le 13/01/2022 à 10:36
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On ne parle plus de l'histoire du couvercle qui devait être changé après 2 ou 3 ans? Où en est la question?

à écrit le 13/01/2022 à 1:59
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Et il y a encore des gens qui s'etonnent ! Tout va a volo. Z et vite.

à écrit le 12/01/2022 à 19:46
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Ce n'est au final pas cher pour reconquérir des savoirs qu'on a abandonné depuis ...30 ans! C'est en gros 500 millions par an qui n'ont pas été investis sous la pression d'une écologie intégriste.

le 13/01/2022 à 8:26
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ben voyons faut bien trouver un responsable ! disons que l etat et Areva ont perdu leurs savoirs il faut faire trois fois les soudures pour réussir maintenant .quand on connait pas la fabrication on s abstient de commentaire a l arrache

le 13/01/2022 à 9:31
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Cher JP une partie de la réponse se trouve dans le long rapport de 200 pages de l'ASN (Page 29) relatif aux défauts des soudures, en ligne actuellement (belle transparence). J'avoue que comme Marianne je me retourne pour pleurer. Un indice, alors que...

à écrit le 12/01/2022 à 19:45
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Ce n'est au final pas cher pour reconquérir des savoirs qu'on a abandonné depuis ...30 ans! C'est en gros 500 millions qui n'ont pas été investis sous la pression d'une écologie intégriste.

à écrit le 12/01/2022 à 19:32
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Temps que l'argent coule à flot ,pourquoi la finir ? Il faut passer sa finition aux générations futures et profiter d'une bonne retraite .

à écrit le 12/01/2022 à 18:57
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On a copié la méthode de Flamanville pour gérer la Covid, mais visiblement cela "casse" les déclarations de celui qui veut se représenter aux suffrages!

à écrit le 12/01/2022 à 18:55
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On a copier la méthode de Flamanville pour gérer la Covid, mais visiblement cela "casse" les déclarations de celui qui veut se représenter aux suffrages!

à écrit le 12/01/2022 à 18:40
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En gros, ils ne sont pas prés d'enlever les échafaudages, et pendant ce temps bruno creuse.

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