Relance du nucléaire : l'Etat injecte 25 millions d'euros dans deux premières startups

Naarea et Newcleo ont respectivement décroché une subvention de 10 et 15 millions d'euros pour développer leurs petits réacteurs reposant sur des technologies de rupture. Elles vont aussi bénéficier d'un appui technique du CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives), clé dans la constitution de leur dossier pour décrocher le feu vert du gendarme du nucléaire.
Juliette Raynal
Les deux cofondateurs de Naarea : à gauche Jean-Luc Alexandre, à droite Ivan Gavriloff.
Les deux cofondateurs de Naarea : à gauche Jean-Luc Alexandre, à droite Ivan Gavriloff. (Crédits : Naarea)

L'entreprise française Naarea et l'italo-britannique Newcleo, qui dispose d'une filiale à Lyon, sont les deux premières startups lauréates de l'appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants », lancé dans le cadre du plan France 2030. C'est ce que dévoilera ce vendredi la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher dans le cadre d'un déplacement à Caen en Normandie, dédié à la formation, aux compétences et à l'innovation dans le nucléaire. Les deux jeunes pousses ont respectivement décroché une aide de 10 et 15 millions d'euros pour accélérer le développement de leurs petits réacteurs reposant sur des technologies de rupture.

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Le projet de petit réacteur modulaire Nuward porté par EDF, dont le capital est désormais à 100% dans les mains de l'Etat, va également bénéficier d'un soutien supplémentaire pour financer sa phase de basic design, qui vise à dessiner beaucoup plus précisément la centrale en entrant dans la conception industrielle. Le montant demeure encore confidentiel. Le projet phare de l'électricien national avait déjà bénéficié d'une aide de 50 millions d'euros sur une enveloppe totale de 500 millions d'euros, débloquée, elle aussi, dans le cadre du plan France 2030.

« De très nombreux dossiers restent en cours d'examen aujourd'hui. Ce nombre témoigne de la vitalité et de l'attractivité de la filière française. Au-delà des trois projets annoncés formellement demain, il y aura d'autres lauréats. C'est tout l'objet de l'instruction actuellement en cours par le CEA ainsi que par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) », explique-t-on au ministère de la Transition énergétique.

A notre connaissance, Jimmy, Neext Engineering, Renaissance Fusion, Hexana et Stellaria, toutes deux issues du CEA, ainsi que Calogena, soutenue par le groupe Gorgé, espèrent aussi décrocher cet appel à projets.

Naaera et Newcleo planchent toutes les deux sur des technologies bien différentes. La première développe un micro réacteur nucléaire à neutrons rapides à sels fondus fonctionnant à partir de combustibles ayant déjà été irradiés dans le parc nucléaire actuel. Le dispositif doit faire la taille d'un container et produire seulement quelques dizaines de mégawatts. L'entreprise basée à Nanterre vise notamment les secteurs de la construction, de l'industrie manufacturière ou encore de l'agro-alimentation.

Newcleo, elle, planche sur un réacteur plus puissant fonctionnant à partir de neutrons rapides refroidis au plomb, en s'appuyant sur l'expérience du réacteur de recherche Superphénix. Elle entend aussi utiliser des combustibles recyclés. En mai dernier, l'entreprise a annoncé vouloir investir jusqu'à 3 milliards d'euros sur la période 2022-2030 en France, notamment pour développer sa propre unité pilote de production de combustibles multi recyclés.

Stefano Buono, le PDG de Newcleo voit dans cette sélection « une validation technique  et stratégique de notre projet après une longue phase d'analyse approfondie ». « Cette labellisation est une étape importante pour nous car elle permet d'enclencher un partenariat soutenu avec le CEA prévu dans le cadre de l'appel à projets. C'est également un effet de levier pour continuer à lever des fonds sur les marchés », se réjouit, pour sa part, Jean-Luc Alexandre, PDG de Naaera.

L'entreprise a déjà levé près de 45 millions d'euros auprès de family offices et prévoit de lancer un nouveau tour de table de plusieurs centaines de millions d'euros cet été. A terme, Naarea entend lever quelque 2 milliards d'euros d'ici à 2030 et prévoit la création de 1.000 emplois.

La subvention de 10 millions d'euros permettra justement à la startup francilienne d'accélérer le rythme de ses recrutements. « Nous sommes déjà 140 et nous recrutons 10 à 15 personnes par mois », précise le dirigeant. « Nos équipes d'experts sont intergénérationnelles, avec à la fois des ingénieurs et chercheurs très expérimentés, issus des projets de recherche superphénix et Astrid, et une armée de jeunes. Nous mettons en place le transfert de ce savoir-faire autour des neutrons rapides, que seuls deux pays maîtrisent : la France et la Russie », fait-il valoir.

Le soutien technique du CEA est aussi clé car il permettra aux lauréats de recourir à des outils de calculs scientifiques. « Nous pourrons utiliser un logiciel homologué qui nous permettra de fournir des résultats à l'autorité de sûreté nucléaire (ASN) », précise Jean-Luc Alexandre, qui entend déposer un dossier d'option de sûreté dès la fin de l'année. Objectif très ambitieux : sortir un premier prototype d'ici quatre ans, puis un réacteur commercial dès 2030.

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Au total, une dizaine de nouveaux acteurs du nucléaire a vu le jour dans l'Hexagone au cours des derniers mois, tous, ou presque, attirés par le tremplin qu'offre l'appel à projets de France 2030. Pour instruire ces projets atypiques dans une industrie jusqu'ici très centralisée (avec un exploitant unique), le gendarme du nucléaire a constitué une petite équipe ad hoc composée de cinq personnes. Mais ces effectifs restent insuffisants. « Nous ne sommes pas assez. Il faudrait que nous puissions monter à au moins dix personnes. Si l'équipe ne double pas, nous ne pourrons pas accompagner le plan France 2030 », avait prévenu Bernard Doroszczuk, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire, en marge de la présentation de son rapport annuel à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).

Si la compétition s'intensifie dans l'Hexagone, elle se joue aussi, et surtout, à l'international, notamment en Chine et en Amérique du Nord. Fin 2021, la Chine est parvenue à connecter au réseau le démonstrateur d'une mini-centrale de 210 MW, composée de deux réacteurs de quatrième génération. Une première mondiale. De son côté, l'américain Nuscale a aussi une longueur d'avance. En février dernier, le design de son réacteur de 50 mégawatts a été approuvé formellement par le gendarme nucléaire américain tandis que l'entreprise mène déjà des discussions avec la Pologne et la Roumanie. Au Canada, le premier démonstrateur du petit réacteur développé par GE-Hitachi doit être mis en service dès 2027-2028. Un site pour l'accueillir est déjà en préparation. La vitesse d'instruction des dossiers sera donc déterminante dans cette course mondiale.

Juliette Raynal

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Commentaires 6
à écrit le 09/06/2023 à 11:34
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On aime les starteup en France payees par le contribuable pour un resultat souvent inexploitable voire nul. Mais si le prince l'a decide, alors depensons....

à écrit le 09/06/2023 à 9:24
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Si je vois bien l'intérêt pour le pays d'aider à développer des réacteurs de 4ème génération dans le but de réutiliser le combustible comme Naarea et Newcleo le font, je ne comprenda pas l'utilité de dépenser autant d'argent pour le petit réacteur mo...

le 10/06/2023 à 10:37
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Potentiellement, les SMR pourraient aussi remplacer les gros réacteurs, mais pour cela il faudrait que l'effet se série, avec leur construction en usine, puisse compenser l'effet d'échelle, qui a conduit à une course vers toujours plus de puissance e...

à écrit le 09/06/2023 à 9:23
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Si je vois bien l'intérêt pour le pays d'aider à développer des réacteurs de 3ème génération dans le but de réutiliser le combustible comme Naarea et Newcleo le font, je ne comprenda pas l'utilité de dépenser autant d'argent pour le petit réacteur mo...

à écrit le 09/06/2023 à 9:22
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En 1974 les startups s'était le plan Messmer.. J'ai vu des cuves se faire beurrées d'inox et des culs de générateurs en attente d'usinage qui provenaient de Mitsubishi. La France était à l'époque industrielle.

à écrit le 09/06/2023 à 8:24
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Ça, c’est juste magnifique. Magnifique! Allons-y! C’est une super nouvelle pour notre pays. Espérons qu’en parallèle de ces projets, les industriels puissent être accompagnés pour des programmes de coopération internationale, afin de donner une base ...

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