
Dans l'Hexagone, la relance du nucléaire s'appuiera largement sur EDF et les six, voire quatorze réacteurs de type EPR2, que l'électricien doit construire... mais pas uniquement. Ce nouvel élan pour l'atome civil doit aussi embarquer avec lui une toute autre catégorie d'acteurs, qui jusqu'à présent ne s'étaient jamais attaqués à cette industrie : les startups.
Parmi elles : Jimmy, Newcleo, Naarea, Transmutex, Neext Engineering, Hexana et Stellaria (toutes deux issues du CEA), qui développent des micros ou petits réacteurs de fission nucléaire innovants, ou encore Renaissance Fusion, qui souhaite reproduire la réaction à l'œuvre dans le soleil et les étoiles (voir encadré).
« Le nucléaire a une configuration assez proche du spatial, de la voiture électrique ou même de la banque. Ce sont des secteurs qui paraissent très difficiles à percer pour des raisons capitalistiques et réglementaires. Mais quelques soient les barrières à l'entrée, il n'y a pas un secteur que les acteurs les plus innovants n'ont pas réussi à pénétrer », observe Alexis Houssous, fondateur et dirigeant du fonds Hardware Club Venture Capital (HCVC), qui a investi dans le grenoblois Renaissance Fusion et le franco-suisse Transmutex.
Aujourd'hui, les startups françaises du nucléaire se comptent encore sur les doigts de la main ou presque. De manière générale, toutes en sont à leurs balbutiements et entendent mettre au point des réacteurs innovants dans un horizon de cinq à dix ans.
Une petite dizaine de startups
« Nous comptons mettre au point un prototype non nucléaire dans quatre ans en Italie, opérer un premier démonstrateur d'une puissance de 30 mégawatts en France à l'horizon 2030, puis un deuxième réacteur d'une puissance de 200 mégawatts, sa taille commerciale, au Royaume-Uni en 2032 », témoigne Elisabeth Rizzotti, cofondatrice de la start-up britannique Newcleo, qui a récemment ouvert une filiale à Lyon.
La start-up Jimmy, qui entend valoriser la chaleur dégagée par la fission nucléaire grâce à son micro réacteur, annonce, pour sa part, un calendrier plus ambitieux. « Nous souhaitons nous lancer début 2026. Aujourd'hui, nous avons déjà un client, qui reste confidentiel. 15 autres ont écrit des lettres d'intention. A terme, nous voulons construire 10 microréacteurs par an », fait valoir son cofondateur Antoine Guyot.
Certaines des jeunes poussent visent la décarbonation des procédés industriels. C'est le cas notamment de Jimmy, Naarea ou encore de Neext Engineering, qui vient de s'associer à l'américain Westinghouse. D'autres entendent utiliser des combustibles déjà irradiés dans le parc actuel, voire réduire la radioactivité de certains déchets, à l'image de Transmutex, basée entre Genève et Annecy.
« Si l'on veut relancer le nucléaire, il faut gérer la question des déchets car la production de déchets non recyclables est le problème numéro 1 du nucléaire », souligne Franklin Servan-Schreiber, son co-fondateur. La jeune pousse vise à réduire significativement la durée de vie extrêmement longue de certains déchets radioactifs mais aussi leur volume (notamment l'americium). « On ne pourra pas construire deux Cigéo », pointe l'entrepreneur, en faisant allusion au vaste projet de centre de stockage des déchets les plus radioactifs en couches géologiques profondes.
Newcleo, elle, entend alimenter ses réacteurs en combustibles usés et prévoit de bâtir son propre outil industriel pour produire des combustibles recyclés de type Mox. Dans cette optique, elle est déjà entrée en discussions avec le géant français Orano, seul industriel à produire du combustible Mox.
« On ne peut pas encore parler d'un écosystème, mais de ses prémices », estime Alexis Houssou. A l'échelle internationale, les startups américaines et chinoises sont bien plus nombreuses et avancées dans leur stade de développement. En Europe, seuls le Royaume-Uni et l'Allemagne commencent à tirer leur épingle du jeu avec des acteurs comme Marvel Fusion (35 millions de dollars levés) outre-Rhin et First Light Fusion (107 millions de dollars) outre-Manche.
« L'effet catalyseur est réussi »
Si les startups du nucléaire sont encore peu nombreuses dans l'Hexagone, la France n'entend pas se laisser distancer et veut capitaliser sur sa recherche et son tissu industriel. A la suite du Conseil de politique nucléaire, qui s'est tenu début février, l'Elysée a spécifiquement indiqué vouloir renforcer le rôle d'animation du CEA (Commissariat à l'agence atomique) pour appuyer le développement de ces nouveaux acteurs. L'organisme doit leur mettre à disposition ses infrastructures techniques et sa bibliothèque scientifique.
Par ailleurs, l'appel à projets du gouvernement visant à susciter la création de réacteurs nucléaires innovants, lancé dans le cadre de France 2030, semble porter ses fruits. A l'approche de la première échéance, trois nouvelles startups (Hexana, Stellaria et Neext Engineering) se sont lancées, attirées par les financements proposés.
« Depuis le lancement il y a un an, nous avons été contactés par une douzaine de potentiels candidats. Des dossiers sont actuellement en cours d'instruction », témoigne Massimiliano Picciani, responsable de cet appel à projets chez Bpifrance. « Pour nous, l'effet catalyseur est réussi. Les cibles potentielles ont toutes réagi. Nous avons été contactés par des porteurs de projets au profil très varié, allant de startups à des filiales de groupes assez importants. La palette des technologies présentées est aussi très grande », poursuit-il.
Les premiers dossiers sélectionnés seront dévoilés au début de l'été. Selon leur stade de développement, ils pourront bénéficier d'une aide de 10, 80, ou 300 millions d'euros. Les entreprises candidates doivent être françaises ou avoir une filiale dans l'Hexagone. Newcleo, Naarea, Jimmy et Renaissance Fusion ont déjà déposé leur dossier. Neext Engineering entend postuler d'ici la fin de ce mois de mars.
En revanche, Transmutex a fait le choix de ne pas candidater.
« Il me semble qu'au début du développement d'une start-up, l'investissement est plus productif, et bénéfique pour les deux parties (entreprise - gouvernement). Il y a tellement à faire que toute lourdeur administrative est un frein. (...) À mon avis, le gouvernement aurait mieux fait d'investir dans des fonds français avec pour mot d'ordre de regarder sur le long terme », expose Franklin Servan-Schreiber, son cofondateur.
Créer un guichet spécial startups et des jumeaux numériques
Alexis Houssou n'est pas du même avis et voit d'un très bon œil cette initiative : « Distribuer de l'argent public va inciter les acteurs privés à investir », estime-t-il. « En revanche, le gros point sur lequel il faut avancer c'est sur l'instruction des dossiers de sûreté. Il faudrait créer une sorte de guichet dédié aux startups développant des petits réacteurs innovants. Leurs dossiers ne peuvent pas être traités comme celui d'un EPR ».
Interrogé par La Tribune sur ce point, le gendarme du nucléaire assure que « la réglementation applicable aux installations nucléaires est suffisamment souple pour pouvoir s'adapter aux petits réacteurs modulaires sur lesquels travaillent ces startups ». L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) précise toutefois mener « une réflexion avec l'IRSN visant à définir un cadre d'échanges avec ces entreprises, en articulation avec l'accompagnement par le CEA prévu dans le cadre de l'appel à projets Réacteurs nucléaires innovants ». Ce cadre d'échange ad hoc devrait être plus clair dans une quinzaine de mois, à l'issue de la fusion entre l'ASN et l'IRSN, voulue par le gouvernement. Une fusion plutôt attendue par ces nouveaux acteurs, mais qui suscite de vives critiques de la part de syndicats et de certains experts.
L'autre grande attente de ces jeunes pousses repose sur le recours aux outils de simulation permettant de travailler sur un jumeau numérique au lieu d'itérer sur un réacteur physique, bien plus coûteux à développer. « L'enjeu est que le régulateur intègre ces outils de simulation pour pouvoir donner son avis sur la faisabilité des réacteurs. C'est un grand changement de culture dans un pays où on a un conglomérat du nucléaire pas forcément toujours ouvert à l'innovation », pointe Alexis Houssou.
Jimmy Newcleo Naarea Transmutex Renaissance FusionCinq startups qui veulent casser les codes du nucléaire
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