Nucléaire : le groupe Gorgé se lance dans la course aux mini réacteurs pour chauffer les villes

L'ETI familiale a annoncé le déploiement de petits réacteurs qui produisent uniquement de la chaleur pour décarboner les réseaux de chauffage urbain. Elle mise sur un concept le plus simple possible afin de décrocher le feu vert du gendarme du nucléaire et mettre en service un premier démonstrateur, à proximité d'une ville, en 2032. La question de l'acceptabilité sera cruciale.
Juliette Raynal
Raphaël Gorgé, PDG du groupe.
Raphaël Gorgé, PDG du groupe. (Crédits : Reuters)

Un nouvel acteur vient de faire son entrée sur le marché émergent des petits réacteurs nucléaires. Entre le projet phare Nuward mené par l'électricien national EDF et la petite dizaine de startups qui a fleuri au cours des derniers mois, le groupe familial Gorgé, spécialisé dans les hautes technologies industrielles, entend bien se faire une place. Son objectif : décarboner les réseaux de chaleur urbains grâce au déploiement de « mini réacteurs » de 30 mégawatts thermiques en périphérie des villes. « Le projet Calogena, porté par notre ETI, constitue un bon compromis, qui combine assise industrielle et l'agilité d'une structure capitalistique familiale qui permet un circuit de décision plus court », fait valoir Raphaël Gorgé, le PDG du groupe.

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Déjà un pied dans le nucléaire

L'entreprise de taille intermédiaire, essentiellement présente dans l'aéronautique, la défense, via sa société cotée Exail technologies qui développe des drones et des robots, n'est pas complètement étrangère au secteur nucléaire. Depuis 2007, le groupe a développé deux activités autour de l'atome civil : l'une dédiée à la production de portes qui équipent aujourd'hui toutes les centrales françaises et la seconde autour de prestations d'ingénierie. « Au total, quelque 300 personnes travaillent sur ces activités nucléaires, qui représentent 10% du chiffre d'affaires du groupe Gorgé SAS, [soit près de 50 millions d'euros, ndlr] », précise le dirigeant.

En revanche, c'est la première fois que l'ETI familiale se lance dans la conception même d'un réacteur nucléaire. Pour ce faire, elle s'est entourée d'une dizaine de spécialistes du secteur, qui tous ont investi à titre minoritaire dans la nouvelle structure. Parmi eux, Alain Vallée, ancien directeur technique de Framatome, puis directeur des activités nucléaires du centre de Saclay du CEA, Dominique Vignon, ancien PDG de Framatome, ou encore Jan Bartak, ancien directeur du développement nucléaire d'Engie, et Giovanni Bruna, ancien directeur scientifique de l'IRSN.

Répliquer la méthode Prodways

Pour tirer son épingle du jeu dans ce marché ultra concurrentiel, Raphaël Gorgé entend répliquer la même approche qui a fait le succès de sa filiale Prodways, spécialisée dans la fabrication additive : jouer la carte de la simplicité. En 2013, la plupart des acteurs de l'impression 3D focalisent leurs espoirs sur la fabrication de pièces métalliques complexes. A l'époque, Rolls Royce envisage même d'imprimer en 3D des pièces de moteurs d'avion. Le dirigeant, lui, fait le pari contraire et investit dans la fabrication en plastique d'objets beaucoup moins sophistiqués : les prothèses dentaires. Dix ans plus tard, les moteurs d'avion ne sont toujours pas imprimés en 3D. Mais Prodways, elle, enregistre un chiffre d'affaires supérieur à 80 millions d'euros et compte aussi des clients dans l'aéronautique, le spatial et le secteur automobile. Surtout, elle est rentable depuis deux exercices. Un fait relativement rare dans le secteur.

Pour le nucléaire, Raphaël Gorgé affiche le même pragmatisme : « Mon objectif consiste à développer une entreprise, pas à faire progresser la science du nucléaire, explique-t-il sans détour. Je veux aller vers le plus simple possible. Dès que vous rajoutez de la complexité, vous rajoutez des délais », expose-t-il en faisant référence au long chemin à parcourir avant de décrocher l'autorisation de création, délivrée par le gendarme du nucléaire : le sésame tant convoité par les nouveaux entrants de cette industrie.

Produire de la chaleur et pas de l'électricité

Très concrètement, les équipes de Calogena s'attellent à concevoir un réacteur nucléaire qui ne produira que de la chaleur et non de l'électricité, comme le prévoit EDF pour Nuward et de nombreux compétiteurs. Objectif : limiter les pertes liées aux processus successifs de conversion de l'énergie, aujourd'hui mis en œuvre dans les centrales en fonctionnement, où la chaleur dégagée par la fission nucléaire est transformée en vapeur qui actionne une turbine afin de produire de l'électricité. « C'est du gâchis », constate l'entrepreneur. Cette approche doit permettre d'obtenir un design beaucoup plus sobre et faire baisser significativement les coûts de conception et de production. L'ETI vise ainsi un prix de 60 euros le mégawattheure thermique.

Ces petits réacteurs doivent alimenter les réseaux de chaleur urbains sur le Vieux Continent, aujourd'hui très carbonés car alimentés à plus de 60% par des énergies fossiles (gaz naturel, fioul, charbon). Le groupe entend ainsi concurrencer d'autres modes de décarbonation de ces réseaux, comme la géothermie ou encore la biomasse. « Des solutions qui ne sont pas à l'échelle», rétorque Raphaël Gorgé. Il parait, en revanche, beaucoup plus délicat de déployer des réacteurs nucléaires en périphérie d'agglomérations. Calogena espère trouver le meilleur compromis « entre proximité et acceptabilité » de la population et imagine ainsi des unités situées entre 10 et 20 km des villes.

La sécurité, un point sensible

Reste que la sécurité de ces petits réacteurs, qui a trait aux actes malveillants, comme les intrusions criminelles ou terroristes ou encore les cyberattaques, est beaucoup plus sensible, selon le gendarme du nucléaire. « La sécurité peut devenir un sujet plus lourd à traiter que celui de la sûreté [qui elle relève de la gestion des incidents, ndlr] », selon le président de l'ASN Bernard Doroszczuk. « C'est un sujet qui est plus complexe pour un réacteur implanté dans une zone industrielle, voire près d'une agglomération, qu'un réacteur sur une gros site nucléaire qui est déjà sécurisé avec beaucoup de moyens, y compris des moyens d'interventions en cas d'intrusion », avait-t-il prévenu, lors d'une audition au Sénat en décembre dernier.

Confiantes, les équipes de Calogena espèrent débuter la construction du réacteur en 2030 et visent une mise en service en 2032. Soit peu ou prou le même calendrier que Nuward. La nouvelle filiale cible le marché français mais aussi l'Europe du Nord et de l'Est où les réseaux de chaleur sont beaucoup plus développés. Contrairement à d'autres nouveaux entrants, qui se positionnent uniquement comme concepteurs, Calogena entend également co-exploiter ses réacteurs en partenariat avec des spécialistes du chauffage urbain, comme Dalkia (filiale d'EDF), Engie ou encore Vinci, via Sogea Environnement. Ce qui constitue un vrai défi, de formation notamment, alors que l'Hexagone ne compte aujourd'hui qu'un seul exploitant public : EDF.

Installer une dizaine de réacteurs par an

Calogena espère installer au moins une dizaine de réacteurs par an. Chacun pouvant alimenter en chaleur 12.000 foyers, selon ses projections. Pour son premier démonstrateur, elle prévoit 200 à 300 millions d'euros d'investissements et espère décrocher l'appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants », organisé dans le cadre du plan France 2030, avec à la clé une importante subvention publique. « Le groupe est prêt à consacrer plusieurs dizaines de millions d'euros dans ce programme », souligne son dirigeant. Dans un second temps, le capital pourrait s'ouvrir à d'autres industriels où investisseurs en quête de placements durables.

Aujourd'hui, sur le marché tricolore, seule la startup Jimmy compte aussi produire uniquement de la chaleur à partir de l'atome civil. En revanche, la jeune pousse ne vise pas les villes, mais la décarbonation des sites industriels et entend donc produire de la chaleur à haute température (environ 500 degrés), contre 90 à 120 degrés pour le réacteur Calogena qui doit œuvrer dans un environnement basse pression (5 bars). « Ce qui induit une installation plus simple et plus sûre », fait valoir Raphaël Gorgé.

Juliette Raynal

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Commentaires 7
à écrit le 09/06/2023 à 11:31
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Réponse à Albert: il ne faut pas confondre piles nucléaires et bombe nucléaire. Les piles n'explosent pas car leur role est de produire de la chaleur. Contrairement à ce que vous pensez un réacteur chimique peut lui exploser. Je vous rappelerai un ac...

à écrit le 08/06/2023 à 10:00
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Il y a des subventions a ramasser ? Je suis intéressé, j'ai récupéré de vieilles bouteilles thermo qui peuvent faire l'affaire avec un peu de blabla sur l'abondance impressionnante de l'uranium supérieure à celle de l'oxygène Serge Rochain

à écrit le 07/06/2023 à 13:00
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Un solution astucieuse, simple mais délicate à faire accepter à des collectivités généralement frileuse d'innovation des qu'il s'agit du nucléaire. Une nouvel technique a faire accepté mais avec une pédagogie ''populaire '' a ne pas négligé. Il y ava...

à écrit le 07/06/2023 à 9:16
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Nous pouvons croire à l'échec attendu et évident de ce que les politiques appellent la "transition écologique". En effet si j'avais encore quelque crédulité elle se serait envolé à la lecture de deux articles qui m'ont laissé bouche bée, dans le p...

le 07/06/2023 à 9:27
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Il ne faut surtout pas sous-estimer la dangerosité de ces P'tites centrales qui en cas d'explosion provoqueraient l'évacuation de la ville. L'avantage sur le chimique est que nous avons une vraie autorité de sureté. Pour résumer, le nucléaire est une...

à écrit le 07/06/2023 à 8:23
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La multiplication des petits réacteurs c'est la multiplication des problèmes dont la sécurité a tous les niveaux n'est pas la moindre.

à écrit le 06/06/2023 à 18:47
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Avec les réacteurs de propulsion en particulier ceux des sous marins, ces réacteurs sont déjà présents parfois plus près du centre que de la périphérie comme Toulon. Le problème outre la qualité de la fabrication c'est à mon avis la formation et l'en...

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