
C'est un coup dur pour le gouvernement et une première victoire pour les syndicats de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). A l'issue de débats houleux, l'opposition a rejeté à l'Assemblée nationale, mercredi 15 septembre, le projet de réforme très controversé de la sûreté nucléaire consistant à fondre cet institut, chargé de la recherche et de l'expertise technique, au sein de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme du secteur.
Dans un hémicycle très animé, les députés de la gauche se sont fermement opposés à ce projet de fusion et ont été rejoints par quelques voix de la majorité, notamment par Barbara Pompili (Renaissance), ancienne ministre de la Transition écologique.
Une réforme surprise
Début février, le ministère de la Transition énergétique a provoqué la surprise générale en dévoilant ce projet de réforme, quelques jours à peine après la tenue d'un premier conseil de politique nucléaire, piloté par le chef de l'Etat.
Objectif affiché : « Conforter l'indépendance et les moyens de l'Autorité de sûreté nucléaire » et « fluidifier les processus d'examen » pour « se mettre dans une organisation qui est optimale dans le cadre de la relance nucléaire ». Les syndicats et de nombreux scientifiques et experts redoutent, au contraire, une perte d'indépendance et de transparence ainsi qu'une fuite des compétences.
Quinze jours plus tard, l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher avait précisé vouloir mener à terme cette fusion dans un délais de 15 mois et que le gouvernement déposerait un amendement au projet de loi portant sur l'accélération du nucléaire, adopté par le Sénat fin janvier, pour donner le coup d'envoi de cette vaste refonte.
L'organisation duale reconnue
Mais ce mercredi, les députés ont adopté à main levée un amendement déposé par Benjamin Saint-Huile (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires - Liot) visant à préserver une organisation duale entre l'IRSN et l'ASN, vidant ainsi le sens de l'article 11 bis portant justement le projet de fusion des deux entités.
« C'est une première victoire, mais la bataille est encore loin d'être gagnée », réagit Philippe Bourachot, délégué CGT de l'IRSN, contacté par La Tribune. La ministre de la Transition énergétique pourrait, en effet, demander une deuxième délibération sur l'article réécrit. La navette parlementaire n'est, par ailleurs, pas achevée. Le texte pourrait retourner au Sénat et « le gouvernement peut essayer de repasser en force devant la Commission mixte paritaire », attendue début avril, prévient Philippe Bourachot.
Autre possibilité : le gouvernement renonce à faire passer cette réforme par la loi d'accélération du nucléaire afin de réaliser un diagnostic poussé de l'organisation de la sûreté nucléaire actuelle. Il pourrait ensuite représenter son projet via la loi de programmation énergie climat, qui doit être débattue cet été par les parlementaires.
Opposants et avocats de l'atome civil réunis
En effet, l'absence de diagnostic et d'étude d'impact d'une telle réforme figure parmi les grandes critiques des députés. Fait rare, au palais Bourbon, avocats et opposants de l'atome civil se sont entendus sur un point commun : tous ont dénoncé la méthode par laquelle le gouvernement souhaite mener cette réforme à l'aune d'une vaste relance du nucléaire, où tout sentiment de suspicion serait malvenu.
« Cette réforme n'est pas opportune. C'est une réforme à la hussarde. C'est une réforme descendante », a estimé le député Sébastien Jumel (Nupes). La député écologiste Delphine Batho a fustigé l'argumentaire d'Agnès Pannier-Runacher : « le respect du parlement implique de ne pas lui mentir », a-t-elle lancé. Du côté des communistes, qui ont pour habitude de soutenir l'énergie nucléaire, le député Hubert Wulfranc a dénoncé « une proposition abrupte et incompréhensible ». Nicolas Dragon (RN) s'est, quant à lui, abstenu mais a également dénoncé « la méthode et la précipitation des décisions ».
De son côté, Barbara Pompili (Renaissance) a été applaudie par tous les bancs de la gauche, après avoir exhorté « ses collègues à ne pas voter l'article qui porte cette fusion ». Elle s'est dite étonnée « du choix, du moment et de la méthode ». Elle aussi a fustigé l'absence d'une étude d'impact. « C'est une folie de nous balancer ça comme ça », a-t-elle lâché. « Je suis choquée ».
Barbara Pompili prise à partie
L'ex-ministre, qui paraissait excédée, a longuement été prise à partie par Agnès Pannier-Runacher qui s'est adressée directement à elle en la tutoyant : « tu sais parfaitement que cette réforme et cette interrogation étaient déjà engagées il y a quelques mois ».
L'actuelle ministre de la Transition énergétique a souligné la configuration « plutôt inédite » de la sûreté nucléaire française dans le panorama mondial et a affirmé que l'objectif de cette réforme « c'est d'être plus fort sur la sûreté nucléaire ».« Cette réforme n'implique aucun changement de nos procédures de sûreté nucléaire » a-t-elle martelé. Des arguments qui n'ont pas convaincu... Du moins pour le moment.
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