Sûreté nucléaire : un rapport parlementaire tire la sonnette d'alarme sur la dégradation budgétaire de l’IRSN

Dans son rapport, le sénateur (LR) Jean-François Rapin estime qu’il faut augmenter les recettes de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire de 20 millions d’euros par an d’ici à 2025. Sans cette nouvelle rallonge, l'organisme, qui peine à maintenir ses équipements en conditions opérationnelles, pourrait se retrouver incapable de faire face au mur d’investissements liés à la relance de l’atome civil.
Juliette Raynal
(Crédits : Juliette Raynal pour La Tribune)

Sauvé par les parlementaires d'un projet très contesté de fusion avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) voulue par le gouvernement, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), bras technique du gendarme nucléaire, a vu son horizon s'éclaircir mi-mars après plusieurs semaines d'intenses turbulences. Pour autant, le ciel n'est pas totalement dégagé. Dans un rapport parlementaire, qu'a pu consulter La Tribune, le sénateur (LR) du Pas-de-Calais Jean-François Rapin s'inquiète des « importantes difficultés financières » de l'institut, à la veille d'une relance majeure de l'atome civil en France. Cette inquiétude n'est pas nouvelle. En 2021 déjà, la Cour des comptes alertait sur le besoin de « restaurer la soutenabilité budgétaire » de l'institut, après qu'il ait fait l'objet d'un audit pour les exercices 2016 à 2019.

Une première rallonge absorbée par l'inflation

« La dynamique des recettes de l'IRSN est à la baisse depuis plus d'une décennie », souligne, pour sa part, Jean-François Rapin. En 2022, celles-ci s'élevaient à 271 millions d'euros, contre 301 millions d'euros en 2012, soit un recul de près de 10% en dix ans. Cette dégradation du budget tient principalement à la diminution de la Subvention pour la charge de service public (SCSP), la principale ressource de l'institut, laquelle a chuté de 17% sur la même période. En corrigeant les effets de l'inflation, la SCSP a même reculé de 25% en dix ans, pointe le document.

Après l'alerte de la Cour des comptes en 2021, et un courrier du directeur général de l'institut Jean-Christophe Niel adressé aux ministres de tutelle, une hausse annuelle de 8,7 millions d'euros a bien été votée pour la période 2023-2027. Mais, cette année, « deux tiers des moyens supplémentaires ont été absorbés par l'inflation », précise le rapporteur spécial de la commission des finances. « La rallonge budgétaire, en grande partie mangée par l'inflation, nous a simplement permis de payer les salaires supplémentaires », abonde Philippe Bourachot, délégué syndical central CGT à l'IRSN.

En face, les dépenses, elles, se maintiennent. Résultat, le déficit budgétaire de l'IRSN devrait sensiblement se creuser au cours des prochaines années, passant de 200.000 euros en 2022 à 2,8 millions d'euros en 2023, puis 6,4 millions d'euros en 2024 selon les dernières prévisions.

Un mur d'investissements

« La principale conséquence de cette situation budgétaire est la fragilisation de la capacité de l'institut à faire face à des investissements importants au cours des prochaines années », alerte Jean-François Rapin. Or, le bras technique du gendarme nucléaire va devoir s'emparer d'une multitude de dossiers d'expertise dans les années à venir, avec la construction prévue de six nouveaux EPR2, voire 14, le développement de petits réacteurs modulaires (SMR) et de nouveaux réacteurs avancés (AMR), mais aussi la prolongation de la durée de vie des centrales existantes, leur adaptation au changement climatique ou encore le démantèlement de Fessenheim et le projet de stockage des déchets nucléaires en couches géologiques profondes (Cigeo).

Lire aussiDéchets nucléaires : « Nous devons transmettre la connaissance sur 500 ans minimum » (Florence Poidevin, responsable Mémoire à l'Andra)

« Les dépenses d'investissements ont déjà été les premières à subir l'impact de la diminution des recettes de l'institut au cours de la dernière décennie et sont passées de 23,3 millions d'euros en 2013 à 14,4 millions d'euros en 2021 », pointe le rapport. En résulte, une dégradation des infrastructures de l'institut, réparties aujourd'hui sur six sites. « Nous n'arrivons plus à maintenir l'ensemble de nos équipements en condition opérationnelle. Nous avons des gros soucis au niveau des infrastructures et des bâtiments qui deviennent vétustes », témoigne Philippe Bourachot.

Besoin de 20 millions d'euros supplémentaires

Et concernant le budget de fonctionnement, « nous sommes quasiment à l'os », assure le représentant syndical. Dans ce contexte, Jean-François Rapin appelle à augmenter la SCSP de 20 millions d'euros par an, d'ici 2025. « Une hausse de 20 millions d'euros, c'est le minimum car nous avons devant nous des rénovations majeures d'infrastructures à réaliser », commente le syndicaliste.

Le sénateur redoute également une « érosion de la part des moyens consacrés à la recherche », laquelle représentait près de 50% des dépenses il y dix ans, contre tout juste 40% en 2022. « L'augmentation conséquente du besoin en expertise au cours des prochaines années ne doit pas se faire au détriment des ressources consacrées au volet recherche », écrit-il.

Outre les questions budgétaires, le rapport parlementaire pointe la question de l'attractivité de l'institut, partageant la crainte d'un « appel d'air des exploitants au détriment du secteur public en général, et de l'IRSN en particulier ». « L'IRSN emploie de nombreux ingénieurs. Or, nos concurrents directs [sur le marché de l'emploi, ndlr] s'appellent EDF, Orano et Framatome » pointe, de son côté, Philippe Bourachot. Or, dans le secteur privé, les rémunérations sont environ 30% plus élevées, indique le document.

Des rémunérations 30% inférieures que chez les concurrents

Pour maintenir le vivier de compétences nécessaires, Jean-François Rapin plaide pour une multiplication des partenariats avec les établissements d'enseignement supérieur afin de renforcer la notoriété de l'institut auprès des étudiants. « Il semble également nécessaire que la direction de l'IRSN engage un véritable travail sur les carrières, impliquant notamment une dynamique salariale favorable », écrit aussi le rapporteur.

Pour les syndicats, ces mesures sur l'attractivité doivent être complétées par une enveloppe de dix millions d'euros annuelle dédiée à la masse salariale. « Si l'Etat ne rajoute pas dix millions d'euros pour embaucher et remonter les salaires en interne, nous allons avoir un gros problème », prévient Philippe Bourachot.

En mars dernier, l'IRSN a donné le coup d'envoi d'une revue stratégique. Des groupes de travail se sont montés en interne pour identifier les activités sur lesquelles la voilure pourrait être réduite et, à l'inverse, celles où elle doit être amplifiée.

De leur côté, les syndicats espèrent que le gouvernement se saisira de ce nouveau signal. « L'Etat doit prendre conscience que l'inflation a inhibé totalement la rallonge qu'il a accordée et qu'il faut relancer la machine » insiste Philippe Bourachot.  Et, même si le projet de fusion avec l'ASN revenait sur table, la ministre de la Transition énergétique n'ayant pas caché son attachement au projet, le budget restera une question brûlante, assure-t-il.

Juliette Raynal

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 30/05/2023 à 11:42
Signaler
Quand l'électronucléaire français avait pour règles "pas plus de 40 ans, pas plus de 50%" , on ne pouvait en réalité que suivre une pente de décroissance pour ASN et IRSN. Il faut au plus vie une remise à niveau du tout et une vraie affirmation de l'...

à écrit le 24/05/2023 à 19:05
Signaler
Comme chacun le sait, le gouvernement nous prépare à la guerre, nous n'avons pas encore ciblé l'ennemie, le gouvernement cherche encore le théâtre des operations en adéquation avec les intérêts de la sphère financière. Donc à quoi bon toutes ces d...

à écrit le 24/05/2023 à 12:17
Signaler
Existe t-il un seul domaine qui actuellement n'est pas en crise.. Gouverner c'est prévoir et durer c'est compter les sous.. Dans ce contexte je reste hélas pessimiste pour une relance du nucléaire qui exige compétences et industries que nous ne possé...

le 24/05/2023 à 14:10
Signaler
Tout est dit👏

le 24/05/2023 à 15:10
Signaler
Le probleme c est que tout l argent de l etat passe dans le social : paiement des pensions de retraites et secu representent 50 % des depenses (et bien plus des recettes vu qu on est en deficit). Probleme : il est impossible de baisser les prestatio...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.