
Après Chevron, Exxon, Shell et BP, le français TotalEnergies s'apprête, lui aussi, à partager un bénéfice annuel record, dopé par les cours des hydrocarbures. Il présentera demain matin, mercredi 8 janvier, ses résultats annuels pour l'exercice 2022. « Le marché s'attend à un résultat ajusté de 36 milliards de dollars, contre 18,1 milliards de dollars en 2021, soit presque un doublement », précise Ahmed Ben Salem, analyste pétrole et gaz chez Oddo. Des superprofits qui provoquent la colère de nombreuses ONG.
Au cours des derniers jours, les majors pétrolières ont, sans exception, publié des chiffres vertigineux. En 2022, les américaines ExxonMobil et Chevron ont respectivement enregistré un bénéfice de 55,7 et de 35,5 milliards de dollars. Le britannique Shell, a, pour sa part annoncé la semaine dernière le bénéfice le plus élevé de son histoire à 42,3 milliards de dollars, tandis que son compatriote BP a fait état, ce matin, d'un bénéfice, hors éléments exceptionnels (indicateur le plus suivi par les marché) à 27,7 milliards de dollars. Un montant qui a plus que doublé en un an. BP affiche néanmoins une perte nette de 2,5 milliards de dollars, en raison d'une importante charge reflétant sa sortie du géant pétrolier russe Rosneft.
Plus de 200 milliards de dollars de profits en 2022
« Au total, les principales majors pétrolières ont réalisé plus de 200 milliards de dollars de profits en 2022. Ce sont des sommes stratosphériques et indécentes face à la situation de crise et l'inflation auxquelles doivent faire face les ménages, qui peinent à payer leur facture de gaz et d'électricité. Ces superprofits ne sont pas le fruit d'un travail ou d'efforts supplémentaires, mais des prix du pétrole qui ont explosé à cause de la guerre en Ukraine. Ces majors profitent d'une situation de crise et ces superprofits vont être reversés sous forme de dividendes aux actionnaires », déplore Edina Ifticène, chargée de campagne pétrole chez Greenpeace.
Selon Ahmed Ben Salem, ces superprofits restent « momentanés ». L'analyste anticipe, en effet, leur baisse au cours des prochains trimestres, « même si on ne s'attend pas à ce qu'ils s'effondrent », nuance-t-il. « Les prix du pétrole, du gaz et les marges de raffinage baissent. L'industrie pétrolière reste une industrie cyclique », observe-t-il. Pour le quatrième trimestre 2022, le consensus du marché table ainsi sur un résultat ajusté de 7,5 milliards de dollars pour TotalEnergies, soit une baisse d'environ 20% par rapport au précédent trimestre, qui constituait un record.
Malgré cette tendance baissière, Greenpeace, comme de nombreuses autres associations environnementales dans le monde, demandent à ce que les majors pétrolières soient davantage taxées. « Je comprends que nos superprofits fâchent l'opinion publique », a récemment reconnu le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné, dans une interview accordée au quotidien belge L'Echo.
Son groupe devrait verser environ un milliard de dollars à l'échelle de l'Union européenne au titre de la contribution spéciale de solidarité, décidée par Bruxelles. « Si nous ajoutons le Royaume-Uni, nous dépassons les deux milliards de nouvelles taxes en Europe dans le cadre de la crise énergétique », a-t-il précisé. Un montant « absolument pas à la hauteur », selon Greenpeace France.
Le GNL, une activité très rentable mais mauvaise pour le climat
Les si bons résultats de la major française tiennent en grande partie à la flambée des prix du Gaz naturel liquéfié (GNL). « La division Gaz cette année a vu ses résultats presque tripler », note Ahmed Ben Salem. TotalEnergies est le numéro trois mondial du GNL, derrière Shell et Qatar Energie (qui n'est pas coté). « C'est le premier exportateur de GNL aux Etats-Unis et le premier importateur en Europe et c'est là où la marge se fait », souligne l'analyste.
Si le GNL présente l'avantage de pouvoir être transporté par bateau depuis n'importe quel endroit dans le monde, il est aussi bien plus émetteur de gaz à effet de serre (GES) que le gaz naturel acheminé par pipeline, avec une empreinte carbone presque trois fois plus élevée.
« Ces profits nous mènent droit dans le mur alors que l'urgence climatique est là. Depuis 2021, TotalEnergies a lancé une vingtaine de nouveaux projets pétroliers et gaziers alors que l'Agence internationale de l'énergie [AIE, ndlr] dit qu'il faut les stopper pour atteindre la neutralité carbone en 2050 », rappelle Edina Ifticène.
Dans un rapport très remarqué publié au printemps 2021, l'AIE a, en effet, appelé à l'arrêt de tous nouveaux investissements dans de nouvelles installations pétrolières et gazières (hormis les projets qui ont déjà été approuvés) afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour l'AIE, cet appel avait constitué un changement de doctrine radical, après avoir soutenu pendant des années l'industrie des hydrocarbures.
Des investissements colossaux dans les renouvelables, mais insuffisants pour les associations
Pour sa défense, TotalEnergies assure être l'un des plus gros investisseurs mondiaux dans les énergies renouvelables.« Quel groupe français investit plus que nous dans les énergies renouvelables ? 4 milliards en une année, nous faisons partie des cinq plus gros investisseurs au monde dans les énergies renouvelables », avait lancé Patrick Pouyanné, en novembre dernier devant des députés de la commission des Affaires étrangères. « TotalEnergies est en avance par rapport à ses concurrents. Près d'un tiers de ses capex vont dans la transition », relève Ahmed Ben Salem.
« Compte tenu des sommes investies dans les énergies fossiles et le trop faible niveau mis dans les renouvelables, nous n'atteindrons pas la neutralité carbone en 2050, » rétorque Edina Ifticène de Greenpeace.
« Malgré sa volonté de se renommer TotalEnergies, la multinationale pétrolière et gazière continue aujourd'hui à produire 447 unités d'énergies fossiles pour une seule d'énergies renouvelables. Total continue ainsi d'investir massivement dans le développement de nouveaux projets d'énergies fossiles, comme le très controversé projet pétrolier d'EACOP entre l'Ouganda et la Tanzanie », pointent le collectif #StopTotal, 350.org, les Amis de la Terre France, Alternatiba Paris, Bloom, GreenFaith et le Mouvement Laudato Si.
Dans la nuit du 7 au 8 février, les militants de ces associations prévoient de coller des affiches dans les rues de France afin de dénoncer « ces profits illégitimes et appeler à rejoindre une plateforme nouvellement créée par 350.org : stoptotal.fr. ».
TotalEnergies détient quatre participations dans le conglomérat indien Adani, accusé d'une vaste fraude comptable. Le pétrolier affirme que ses investissements ne représentent que 2,4 % des capitaux employés par le groupe. Cette exposition ne se reflètera pas dans les résultats 2022, mais dans les trimestres à venir. « Le risque financier est limité. Son exposition correspond à 3 milliards de dollars ce qui n'est rien par rapport aux 180 milliards de dollars des capitaux employés », estime Ahmed Ben Salem, analyste chez Oddo. « Les investisseurs pourraient néanmoins s'interroger sur l'allocation du capital », reconnaît-il. « Pour compenser, TotalEnergies se tourne vers les Etats-Unis, où il consacre 24% des capitaux employés dans les énergies renouvelables ».Une exposition limitée aux turbulences de l'indien Adani ?
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