C'est un nouveau coup porté sur le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises, qui risque d'accentuer les tensions sociales, alors que l'élection présidentielle approche à grand pas. En effet, le régulateur a annoncé lundi une augmentation de 12,6% des tarifs du gaz, la portant à 57% depuis le mois de janvier. Soit la plus forte hausse constatée depuis 2013 et la mensualisation du calcul, qui se faisait auparavant par trimestre.
Force est de constater que celle-ci se répercute partout, et gonfle également les tarifs de l'électricité dans l'Union européenne, où le prix du mégawattheure a atteint mercredi un pic de 196 euros sur le marché de gros contre 60 euros en septembre 2019. Y compris en France, pourtant non dépendante du gaz pour alimenter son réseau de tension, puisqu'elle dispose d'un mix énergétique unique faisant la part belle au nucléaire. Un paradoxe qui a poussé le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, à qualifier le marché unique européen de fixation des prix de l'électricité d' « obsolète » et « aberrant ». Pour mieux comprendre ce phénomène et le séisme qui secoue le marché de l'énergie, La Tribune fait le point.
Pourquoi les tarifs du gaz augmentent-ils ?
La hausse du prix de l'électricité est intimement liée à celle du gaz, qu'il faut d'abord comprendre. Celle-ci tient d'abord dans la forte reprise économique post Covid-19, qui a entraîné une explosion de la demande en gaz, notamment en Asie. Mais alors qu'il n'y a pas eu d'investissements outre-mesure dans cette source d'énergie ces dernières années (puisqu'elle était jusqu'ici vue comme abondante), l'offre n'a pas suivi. Cette tension a ainsi fait mécaniquement grimper les prix, chacun se livrant désormais à une « guerre » pour s'approvisionner malgré la pénurie, analyse Nicolas Goldberg, senior manager Energy au sein du cabinet Colombus Consulting. Y compris la France, non productrice de gaz, qui cherche à renflouer son stock avant l'hiver - car la baisse des températures provoquera une hausse de la consommation pour se chauffer.
Dans l'Union européenne, un autre phénomène, plus structurel, a également joué : l'augmentation du prix du carbone pour les industriels (le gaz étant un combustible fossile). Les politiques bruxelloises de réduction d'émissions de gaz à effet, pour lutter contre le dérèglement climatique, ont en effet gonflé le prix du dioxyde de carbone (CO2) sur le marché européen d'échange de quotas d'émissions. Résultat : il a dépassé il y a quelques mois les 50 euros la tonne - avant de s'envoler ce lundi à 65 euros, y compris sous l'effet de la hausse du prix du gaz -, alors qu'il stagnait à un niveau très bas pendant plusieurs années. « Dans ces conditions, la hausse des tarifs était inévitable », affirme Nicolas Goldberg.
En quoi cela influe-t-il sur les prix de l'électricité ?
Fatalement, cette flambée se répercute sur les coûts de production de l'électricité, encore largement dépendante du gaz. D'autant que certains pays européens décident de fermer leurs centrales nucléaires, sources d'énergie décarbonée. Notamment l'Allemagne, qui prévoit de sortir de l'atome dès 2022, mais bascule vers les centrales à gaz émettrices de CO2 afin de satisfaire la demande. Outre-Rhin, le lien entre la flambée européenne des cours du gaz et la hausse du prix de l'électricité semble donc logique.
Pourtant, la facture gonfle dans les mêmes proportions en France, où la production d'électricité ne dépend pas d'énergie fossile, mais principalement du nucléaire et de l'hydraulique. Un paradoxe lié à la manière dont le marché européen de l'énergie s'est construit. En effet, le principe est celui de la vente au coût marginal, c'est-à-dire que les prix dépendent du coût nécessaire à la mise en route de la toute dernière centrale appelée en renfort pour répondre aux pics de demande sur le réseau électrique.
« C'est généralement une centrale à gaz, en Allemagne par exemple, et les prix de l'électricité s'indexeront en fonction », précise Nicolas Goldberg. Résultat : tous les pays subissent la même hausse.
C'est le fonctionnement de ce marché interconnecté de l'énergie qu'a vivement critiqué Bruno Le Maire la semaine dernière. Annonçant qu'il allait soumettre à ses homologues européens un débat sur sa possible réforme.
« Les Français en paient la facture d'une manière incompréhensible pour eux et totalement inefficace du point de vue économique », a fustigé le ministre sur Public Sénat.
Combien de temps le phénomène risque-t-il de durer ?
En attendant une hypothétique réforme de l'UE, qui n'aboutirait de toute façon pas avant plusieurs années, « il faut s'attendre à une explosion des tarifs de l'électricité dans tout le pays début 2022 », explique Jacques Percebois, économiste et spécialiste du marché de l'énergie. En effet, la hausse du prix de gros de l'électricité sera a priori répercutée dans la facture des 23 millions de ménages ayant souscrit chez EDF, puisque le tarif réglementé de vente (TRV) sera revu à ce moment, et ajusté en fonction du prix du marché.
« Pour l'instant, ça n'a impacté que les 10 millions de ménages qui ont signé un contrat chez un concurrent d'EDF, mais ça ne va pas durer », précise Jacques Percebois.
L'UFC-Que choisir anticipe ainsi un bond de 10%, ce qui reviendrait à une augmentation moyenne de 150 euros pour les ménages utilisant aussi l'électricité comme moyen de chauffage. Une « bombe sociale à retardement », a déclaré l'ancienne ministre socialiste Ségolène Royal, alors que le gouvernement a annoncé mardi des mesures « dans les tous prochains jours ». Il espère ainsi désamorcer les risques d'un mouvement de protestation, après avoir renfloué de 100 euros le chèque-énergie destiné aux plus modestes.
Mais pour enrayer le phénomène, le gouvernement dispose en fait de peu de marge de manoeuvre.
« Il peut soit baisser les taxes sur les factures d'énergie, soit redistribuer une partie des bénéfices des opérateurs historiques aux consommateurs, ce qui reviendrait à un arbitrage défavorable à l'Etat », développe Nicolas Goldberg.
Mais Bruno Le Maire a d'ores et déjà affirmé qu'il ne baissera pas les taxes. « La seule sur le gaz, c'est la TVA et ce n'est pas la solution mise sur la table », a-t-il indiqué. « Il va bien falloir qu'il agisse, surtout en année d'élection présidentielle », rétorque Nicolas Goldberg.
D'autres processus indépendants de la volonté de la France pourraient enrayer la hausse, comme une réplique de la crise économique. « Mais aussi le fait que la Russie décide miraculeusement d'ouvrir les vannes », fait valoir Nicolas Goldberg. Pour l'heure, le pays de Poutine affirme ne pas pouvoir augmenter les approvisionnements en gaz à l'Europe.
« La Russie dispose de plusieurs gazoducs. L'un passe par la Pologne, mais il rencontre des problèmes techniques après un incendie. Un autre traverse l'Ukraine, et Poutine refuse d'y augmenter les flux, du fait de tensions entre les deux pays. Enfin, le gazoduc Nordstream 1 passe dans les eaux de la Baltique. Mais les Russes gèlent la situation car ils veulent montrer aux Européens qu'ils n'auront pas d'autres choix que d'utiliser NordStream 2, le nouveau gazoduc récemment terminé et bientôt mis en service, pour s'approvisionner », analyse Jacques Percebois.
Une solution qui ferait baisser les cours, mais apparaît comme « court-termiste » pour l'Union européenne, note Nicolas Goldberg. « Cela montrerait qu'on n'a pas réussi à se sevrer de notre dépendance, alors même qu'on investit dans des terminaux méthaniers en Europe », développe-t-il.
Enfin, l'augmentation pourrait s'enrayer après le premier trimestre 2022, lorsque sera passé l'hiver et que les pays n'auront plus besoin de renflouer les stocks. Reste que le phénomène risque de s'avérer structurel : « Tout le monde dit qu'il faut sortir des énergies fossiles, mais la seule façon d'y parvenir, c'est d'en augmenter les prix », fait valoir Jacques Percebois. Car pour l'économiste, résorber durablement la tension en augmentant la production de gaz serait « contradictoire » avec les objectifs climatiques.
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