Les Français sont de nouveau invités à donner leurs avis en matière d'énergie. Après le coup d'envoi la semaine dernière par le gouvernement de la concertation nationale sur l'avenir énergétique de la France, la Commission nationale du débat public (CNDP) donne aujourd'hui le coup d'envoi du débat public sur le nouveau programme nucléaire que doit mener à bien EDF et qui comprend la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires, de type EPR2, dont deux qui doivent voir le jour sur le site nucléaire de Penly, en Normandie.
Ce débat public se tiendra jusqu'au 27 février prochain. Il s'appuie sur une plateforme participative en ligne et sera ponctué de 11 séances organisées dans différentes régions de France et diffusées sur Internet. La première se tiendra ce soir en simultané à Dieppe et à Paris. Dix thèmes jalonneront ces réunions. Parmi eux : « l'opportunité d'un nouveau programme nucléaire », « impacts sur le territoire », « qu'est-ce que l'EPR? Peut-on faire du nucléaire autrement ? », « leçons du premier EPR », « coût et financement », « incertitudes climatiques et géopolitiques ».
Un débat critiqué avant même son lancement
Mais avant même son lancement officiel, de nombreuses voix se sont élevées à l'encontre de cet exercice démocratique. D'abord, le périmètre du débat est critiqué. Celui-ci porte à la fois sur l'opportunité de relancer un programme nucléaire en France et sur la première paire d'EPR qui doit être construite à Penly, en Normandie, un site nucléaire déjà existant. « Le périmètre du débat - mêlant la question de l'utilité ou non de la relance du nucléaire, qui est un choix engageant notre société pour les siècles à venir, aux questions techniques concernant l'implantation des EPR2 sur le site de Penly - ne permet pas une discussion éclairée sur la relance ou non du nucléaire en France », regrette ainsi l'ONG anti-nucléaire Greenpeace.
« Initialement, EDF avait préparé un dossier de saisine portant uniquement sur la construction des deux premières paires d'EPR à Penly. Or, le projet de Penly n'a pas de justification par lui-même. Sa justification se trouve dans le programme plus large de relance nucléaire », explique Michel Badré, le président de la Commission particulière du débat public (CPDP), mise en place spécifiquement pour piloter ce débat.
D'autres critiques pointent le chevauchement de ce débat public avec la concertation nationale sur l'avenir énergétique de la France, lancée la semaine dernière par le gouvernement. En effet, dans les deux cas, les Français sont invités à prendre position sur des sujets énergétiques. Ce qui pourrait conduire à des confusions, ou pire être contre-productif. Les deux exercices sont néanmoins différents, comme nous vous l'expliquions dans cet article ci-dessous.
« Nous ne sommes pas sûrs que ce débat va servir à quelque chose »
Mais la principale critique à l'égard de ce débat peut se résumer en une question : À quoi va-t-il servir, alors même que la décision de construire six nouveaux réacteurs nucléaires, annoncée par Emmanuel Macron en février dernier, semble déjà irrévocable ?
Un sentiment renforcé par la présentation imminente en conseil des ministres d'une loi permettant de faciliter le lancement des chantiers de ces nouveaux EPR. Même au sein du ministère de la Transition énergétique, on reconnaît qu'il n'est pas question de faire évoluer les grands axes déjà brossés par le président de la République. « Ces derniers commencent déjà à être mis en œuvre", indique-t-on. Aujourd'hui, il est plutôt question de discuter du «comment".
Même Michel Badré reste très humble sur ce point. « Nous ne sommes pas sûrs que ce débat va servir à quelque chose, mais nous allons tout faire pour que la réponse soit oui », répond-il. « L'argument, c'est le calendrier avec le débat parlementaire. Si notre débat est bien fait, on peut espérer que le parlement utilisera ce qui s'est dit dans le débat. Pour cela, il faut que le débat soit bien organisé et que les gens soient motivés pour y participer », ajoute-t-il.
En effet, l'objectif affiché est d'alimenter le débat parlementaire dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la programmation sur l'énergie et le climat, attendu au deuxième semestre 2023, qui doit être suivi d'une nouvelle programmation annuelle de l'énergie (PPE), qui prendra la forme d'un décret.
Une réponse qui ne semble pas convaincre l'opposition parlementaire. En effet, plus d'une centaine de députés ont saisi, mardi dernier, la CNDP pour réclamer la tenue d'un débat sur « la place du nucléaire dans le mix énergétique de demain ». Cette saisie de la CNDP par des députés est « inédite », a relevé le député Julien Bayou (EELV). Elle vise à réclamer qu'un « vrai débat puisse s'engager sur la question énergétique », et pas seulement sur la décision de la construction de six nouveaux EPR par le seul chef de l'État.
Un débat de trop ?
Une énième initiative qui hérisse certains experts du secteur de l'énergie. « C'est complètement loufoque », a même lâché un acteur, qui y voit une forme de « procrastination ». « Combien y a-t-il déjà eu de débats publics sur le nucléaire et le mix électrique ? Cela fait 15 ans que l'on s'interroge sur le nouveau nucléaire et l'accélération des énergies renouvelables, et 15 ans que nous n'avons pas répondu à la question », regrette-t-il, à l'heure où le système électrique français est très fragilisé. Selon lui, le débat parlementaire se suffisait à lui-même.
Des propos que l'on peut tout de même nuancer. En effet, même si le débat public sur les EPR ne remettra très certainement pas en cause leur construction, celui-ci pourrait malgré tout aboutir à de possibles évolutions. En effet, la CNDP s'est prêtée à un exercice rétrospectif et a étudié 91 projets ayant fait l'objet d'un débat public six mois après la clôture des échanges. « 60% des projets sortent des débats publics modifiés par rapport à la proposition initiale », pointe Ilaria Casillo, vice-présidente de la CNDP. Certains tracés de lignes ferroviaires ont ainsi été considérablement modifiés, un projet d'électrification de ligne porté par la SNCF a été abandonné au profit d'un autre système d'alimentation.
Des séances certainement mouvementées
Certains projets ont même été abandonnés, comme une mine d'or en Guyane ou la construction d'un stade de rugby. « L'abandon d'un projet n'est pas le gage de réussite d'un débat public, tempère néanmoins Ilaria Casillo. « Un débat public réussi est celui qui permet d'activer la critique sociale. »
De son côté, Michel Badré se prépare à des séances mouvementées. « Il est hautement probable que nous ayons des séances troublées. Mais je suis de ceux qui pensent que cela fait partie de la démocratie. Nous ne pouvons pas empêcher les opposants qui estiment qu'ils n'ont pas d'autres moyens de s'exprimer. »
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