Presque cinquante ans après le plan Messmer, ce vaste programme de construction de réacteurs nucléaires qui déboucha sur le parc actuel, c'est un nouveau projet industriel qui pourrait signer le grand retour de l'atome civil sur le territoire français. Et même la « renaissance », selon les termes d'Emmanuel Macron, de cette filière marquée par une « décennie de doutes », à la suite notamment de l'accident japonais de Fukushima.
Et pour cause, le chef de l'Etat a dessiné ce jeudi, à l'occasion de son déplacement à Belfort pour acter le rachat par EDF des activités nucléaires de General Electric, les contours d'un programme énergétique où cette source d'énergie décarbonée trouverait toute sa place. Et annoncé la commande auprès de l'opérateur historique de six nouveaux EPR, ces réacteurs de troisième génération, ainsi qu'une option pour huit supplémentaires, pour lesquels des études seront lancées.
« Compte tenu des besoins en électricité, il est nécessaire d'anticiper la transition, et la fin du parc existant qui ne pourra être prolongé indéfiniment. [...] Si nous voulons respecter nos engagements climatiques, réduire notre dépendance aux cours mondiaux, assurer le développement industriel de notre pays ou maîtriser la facture d'énergie des Français, nous devons engager sans attendre des chantiers structurants pour notre économie », a-t-il ainsi affirmé.
Quant au parc existant, le chef de l'Etat a affiché son souhait de « prolonger tous les réacteurs nucléaires qui peuvent l'être », après avoir pourtant acté il y a quatre ans la fermeture de la centrale de Fessenheim, encore opérationnelle à l'époque. « Je demande à EDF d'étudier les conditions de prolongation au-delà de 50 ans, en lien avec l'Autorité de sûreté nucléaire », a-t-il ainsi annoncé jeudi.
Pallier l'intermittence des renouvelables
Et pour cause, s'il ne s'agit pas d'abandonner les investissements dans les énergies renouvelables, qu'il faudra « développer massivement », le nucléaire sera « nécessaire » en complément de celles-ci, a justifié Emmanuel Macron. Et ce, afin de pallier leur intermittence, notamment pour l'éolien et le solaire photovoltaïque, qui sont autant de sources d'électricité non pilotables et non stockables sur le long cours.
« A ceux qui affirment que nous n'aurons pas besoin du nucléaire, je souhaite exposer en toute transparence : imagine-t-on une France où nous aurons 40.000 éoliennes, contre 8.000 aujourd'hui, et 90 parcs éoliens offshore, alors que la France a mis 10 ans pour en construire un ? Imagine-t-on une France totalement dépendante en termes d'énergies non intermittentes, et devant importer de l'énergie carbonée ? Ce serait cela, la France où l'on ne réinvestirait pas dans le nucléaire civil », a défendu le chef de l'Etat.
Le président de la République a notamment évoqué les scénarios « Futurs énergétiques 2050 » du gestionnaire de réseau RTE, publiés en octobre dernier, afin d'appuyer ses propos. Et affirmé que ceux-ci « montrent qu'il n'y a pas d'autres choix que de miser en même temps sur les deux piliers » que sont les renouvelables et l'atome. Pourtant, sur les six trajectoires possibles afin d'atteindre la neutralité carbone d'ici à la moitié du siècle présentées par RTE, trois ne retiennent aucune relance du nucléaire, et l'une mise même sur 100% d'énergie renouvelable - même si cette dernière option s'avère plus risquée et coûteuse.
Large consultation publique
Concrètement, le gouvernement compte désormais « engager des études préparatoires », définir des lieux d'implantation, et travailler sur la « montée en charge de la filière ». Fin 2020 déjà, le Conseil d'administration d'EDF avait identifié formellement les sites capables d'accueillir les futurs EPR, à la centrale de Penly (Seine-Maritime), de Gravelines (Nord) et dans la région Rhône-Alpes. Dans la foulée, Jean-Bernard Lévy avait reçu plusieurs élus normands pour prendre acte de leur soutien.
Par ailleurs, la Commission nationale du débat public sera saisie, et une « large consultation » sera organisée sur le sujet dès le second semestre de 2022, a assuré le chef de l'Etat. Quant à la loi PPE (Programmation pluriannuelle de l'énergie), celle-ci sera révisée par le Parlement « dès 2023 ». Autant d'échéances évidemment suspendues aux résultats du scrutin présidentiel et à une éventuelle réélection d'Emmanuel Macron, même si celui-ci n'est toujours pas officiellement candidat.
La question des coûts
Surtout, se posera la question épineuse du financement d'un tel programme. Et pour cause, outre le défi industriel, la Cour des comptes avait en effet souligné en 2020 l'importance de cet enjeu, chiffrant le coût de construction de six EPR2 à 46 milliards d'euros. Un montant qui pourrait être sous-estimé, d'autant que le seul EPR actuellement en chantier en France, celui de Flamanville (Manche), a récemment annoncé un nouveau débordement de la facture, et vu son prix plus que triplé par rapport au budget initial (de 3,3 à 12,7 milliards d'euros).
Ainsi, selon un document de travail daté d'octobre publié par Contexte, l'administration a revu à la hausse le coût de construction de 6 EPR, qui irait de 52-56 milliards d'euros à 64 milliards. Soit une hausse de 13%, imputée par EDF au génie civil et à la réalisation de l'îlot nucléaire et à « l'ampleur des travaux de préparation de site ».
A cet égard, Emmanuel Macron a annoncé ce jeudi que l'Etat engagera des « plans financiers massifs de plusieurs dizaines de milliards d'euros ». Par ailleurs, une direction de programme interministérielle dédiée à l'atome civil verra le jour, de manière à coordonner le pilotage du programme, et à « s'assurer du respect des coûts et des délais », a-t-il précisé.
« C'est d'autant plus important qu'EDF traverse une période difficile. L'Etat prendra ses responsabilités pour sécuriser la sécurité financière d'EDF et ses capacités de financement à court et moyen terme », a insisté le chef de l'Etat
Objectif : débuter le chantier « à horizon 2028 », pour une mise en service du premier EPR « à horizon 2035 ». Un calendrier pour le moins ambitieux, qui interroge sur la faisabilité industrielle d'un tel projet de relance de l'atome, après des années d'atermoiements sur la question.
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