Un an après avoir donné le coup d'envoi de son plan consacré à l'hydrogène propre, Engie confirme ses ambitions dans cette minuscule molécule, considérée comme cruciale pour décarboner l'industrie et la mobilité lourde. « Notre expertise gazière couplée à nos compétences d'électricien nous rend extrêmement légitimes sur l'hydrogène », a fait valoir Catherine MacGregor, la directrice générale de l'ex-GDF-Suez, ce jeudi 3 novembre à l'occasion de l'inauguration de la H2 Factory, une plateforme de recherche et d'innovation dédiée à l'hydrogène implantée au Lab Crigen, le plus gros centre de recherche d'Engie, situé à Stains (Seine-Saint-Denis).
Alors que la transition énergétique doit s'accélérer pour répondre à l'urgence climatique mais aussi aux enjeux économiques et de souveraineté, exacerbés par l'invasion russe de l'Ukraine, la patronne du groupe a défendu le rôle des gaz décarbonés. « Le bouquet énergétique doit être diversifié et équilibré, chaque source d'énergie a sa place y compris le gaz », a-t-elle affirmé. Le gaz présente plusieurs avantages. Il est stockable, transportable et offre une densité énergétique élevée. Nous sommes très engagés à sa décarbonation ».
En novembre 2021, Engie avait partagé son ambition de produire 4 gigawatts (GW) d'hydrogène décarboné à l'horizon 2030, reposant sur une capacité d'énergies renouvelables d'environ 6 GW. « Nous avions fixé un point de passage de 600 mégawatts en 2025, nous sommes en retard, mais nous maintenons notre cible de 4 GW pour 2030 », a précisé Sébastien Arbola, responsable de la stratégie hydrogène du groupe. « Les projets de taille industrielle seront mis en service plutôt en 2028, 2029 », a-t-il expliqué. Ainsi, Engie ne devrait atteindre qu'une quinzaine de mégawatts (MW) d'ici à la fin 2023. « Mais plus de 100 projets sont dans les tuyaux et les nouveaux projets qui ont démarré depuis un an sont tous de 100 MW et plus », a-t-il rassuré.
« Suréglementer le marché, pourrait le tuer »
Pour accélérer, le groupe espère que la réglementation qui doit voir le jour sur le Vieux Continent ne sera pas trop rigide. « Nous avons besoin d'un certain pragmatisme. Si les critères que doivent remplir les nouveaux projets d'hydrogène pour être reconnus comme verts [et donc bénéficier d'aides publiques, ndlr] sont trop restrictifs, nous allons prendre du retard, alors même que l'Europe était en avance », prévient Claire Waysand. « Suréglementer pourrait, par inadvertance, tuer le marché », met, de son côté, en garde Catherine MacGregor, tout en évoquant le contexte particulièrement favorable outre-Atlantique.
Les Etats-Unis déploient, en effet, de grands hubs hydrogène et, à travers, l'Inflation reduction act (IRA), subventionnent massivement la production d'hydrogène décarboné, y compris l'hydrogène appelé bleu. Une dénomination qui désigne l'hydrogène produit par vaporeformage mais dont les émissions de CO2 sont ensuite captées.
La direction d'Engie s'inquiète, elle, du critère d'additionnalité qui pourrait être intégré à l'acte délégué encadrant l'hydrogène vert dans l'UE. Si ce critère était adopté, la caractéristique verte de l'hydrogène ne pourrait être accordée que si la molécule est produite à partir d'électricité renouvelable ajoutée au système de production. « D'un point de vue puriste, ce n'est pas une conception idiote du tout, mais on voit bien la difficulté de remplir ce critère pour toute molécule verte que l'on voudra produire en Europe », pointe la dirigeante. Le groupe redoute que ce critère d'additionnalité soit trop stricte à la fois sur la temporalité et la localisation.
Les inquiétudes d'Engie pourraient toutefois être balayées. En, effet, mi-septembre, les eurodéputés ont adopté un amendement assouplissant les règles à respecter pour qu'une molécule d'hydrogène soit considérée comme durable. Celle-ci pourra ainsi provenir du réseau électrique (où se mélangent des électrons issus du nucléaire, des énergies renouvelables, mais aussi du gaz et du charbon) à condition qu'une quantité équivalente d'énergie renouvelable ait été produite quelque part en Europe dans les trois derniers mois. De quoi laisser craindre, pour certains observateurs, une vaste opération de greenwashing.
Jusqu'alors pourtant, les conditions posées étaient plus strictes. Selon un acte délégué de la Commission européenne, l'hydrogène ne devait être classé comme « durable » que s'il pouvait être démontré qu'il avait été « compensé » par des sources renouvelables produites exactement dans la même heure, et dans la même zone d'appel d'offres que l'électrolyseur. La position européenne n'est toutefois pas encore tranchée : s'ouvre désormais la phase des trilogues, lors desquels la Commission, le Conseil et le Parlement devront se réunir pour négocier la version qui sera bel et bien entérinée d'ici à quelques mois.
Produire l'hydrogène là où les énergies renouvelables sont peu chères
Toutefois, la plupart des plus grands projets de l'énergéticien seront situés en dehors de l'Europe, dans les régions du monde où les énergies renouvelables seront peu chères. La raison ? Aujourd'hui, le prix de l'électricité représente 50% du prix de l'hydrogène fabriqué par électrolyse, technique qui consiste à casser une molécule d'eau pour séparer l'atome d'oxygène et ceux d'hydrogène grâce à un courant électrique. Or, l'hydrogène vert produit selon ce procédé coûte encore deux fois plus cher que l'hydrogène gris, qui lui est fabriqué par la technique du vaporeformage du gaz naturel, particulièrement émettrice de CO2. Actuellement, le coût de production de l'hydrogène vert se situe à environ 6 euros le kilo en Europe, contre environ 3 euros pour l'hydrogène gris. Ainsi, plus l'hydrogène vert sera produit à partir d'énergies renouvelables abordables, plus il sera compétitif.
Cette contrainte économique pousse Engie à miser énormément sur la production d'hydrogène vert en dehors de l'Europe. « Les trois quarts des 4 gigawatts seront produits dans ces pays-là [ceux où les énergies renouvelables sont peu chères et abondantes, ndlr], comme le Chili, le Brésil ou encore le Moyen-Orient », indique Sébastien Arbola. L'hydrogène sera alors produit en vue d'être exporté, sous forme de produit dérivés comme l'ammoniac vert, à destination des grandes zones de consommation dont fait partie l'Europe. Les 1 GW restants seront produits sur le Vieux Continent dans une logique intégrée, c'est-à-dire au plus près des grands sites industriels consommateurs de cet hydrogène décarboné.
Pas d'incompatibilité avec la souveraineté énergétique
Alors que le recours ou non à l'hydrogène importé fait débat au sein de l'Union européenne, opposant notamment l'Allemagne et la France, la direction d'Engie estime « qu'il faut sortir de cette vision noire ou blanche ». « L'Allemagne a une stratégie qui repose sur beaucoup d'hydrogène importé, la vision de la France met, elle, l'accent sur les systèmes locaux, la réalité sera entre les deux », assure Claire Waysand, secrétaire générale d'Engie. Le plan RepowerEU présenté par la Commission européenne au printemps dernier table d'ailleurs sur 10 millions de tonnes d'hydrogène produites localement et 10 millions de tonnes importées.
Quid de la souveraineté énergétique de l'Europe dans ce contexte ? « La souveraineté ne voudra jamais dire produire 100% localement. (...) Ce qui est très important, c'est de diversifier nos risques et donc nos sources d'approvisionnement pour ne pas créer une surdépendance de l'hydrogène importé. Il faut garder en tête la compétitivité », a défendu Catherine MacGregor.
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