Piéger le gaz carbonique contenu dans les fumées industrielles pour aller le réinjecter ensuite dans des cavités sous-marines au Nord de l'Europe. C'est le projet sur lequel vont plancher cinq industriels du raffinage, des engrais et de la chimie de la basse vallée de Seine. Air Liquide, Boréalis, Esso, TotalEnergies et Yara ont annoncé ce lundi avoir signé un protocole d'accord pour travailler ensemble au développement d'une « chaîne de captage et de stockage du CO2 » (CSC) à l'échelle du bassin industriel normand).
Le choix du lieu ne relève pas du hasard. La zone qui s'étend de Rouen au Havre est unanimement considérée comme l'une des seules en France -avec celles de Dunkerque et de Lacq- propices à la mise en œuvre de cette technologie aussi complexe que coûteuse. Les raisons ? La présence d'installations portuaires (pour le transport offshore du gaz), un savoir-faire technique avéré mais surtout la concentration de gros établissements émetteurs sur un périmètre relativement réduit. Un prérequis pour le déploiement du CSC, comme l'indique l'Agence de la transition écologique (Ademe) dans une note datant de juillet 2020.
« Les grands volumes de CO2 qui y sont émis permettent de réaliser des économies d'échelle nécessaires à la rentabilité des investissements engagés ».
Les big five se sont donnés pour objectif de réduire leurs émissions jusqu'à trois millions de tonnes par an à horizon 2030, soit environ la moitié du gisement « captable » de la zone concernée selon les estimations de l'Ademe. Les signataires restent néanmoins prudents. Pour l'instant, le projet -ouvert à d'autres partenaires industriels- ne fait qu'entrer en phase d'étude. Il s'agit, dans un premier temps, d'évaluer la faisabilité « technique et économique » d'une infrastructure mutualisée et de rechercher des financements « français, européens et régionaux », ont-ils expliqué.
Le prix à payer
Difficile d'affirmer à ce stade que l'idée ira jusqu'à son terme ne serait-ce qu'en raison des montants faramineux qu'il conviendrait d'investir. Là encore, l'Ademe s'est livrée à des calculs : chaque tonne de CO2 éliminée dans le bassin industriel rouenno-havrais coûtera au bas mot 125 euros, transport compris. Très au-delà du prix auquel s'échange aujourd'hui la tonne de carbone.
Pour autant, les vents ont rarement été aussi favorables. C'est, en effet, la première fois que des raffineurs et des chimistes avancent groupés sur un sujet aussi stratégique, comme le souligne Leo Alders, le président de Borealis France, dont l'une des principales usines est implantée sur le port de Rouen. « Ce projet permet une collaboration innovante entre grands acteurs industriels régionaux et ainsi de créer de nouvelles chaînes de valeur », a-t-il relevé dans le communiqué commun.
En outre, les cinq firmes concernées rappellent qu'elles ont toutes pris des engagements en faveur du climat devant leurs actionnaires. Yara, par exemple, devra réduire de 200.000 tonnes les émissions de son site du Havre pour honorer ses promesses de décarbonation. « Le captage et le stockage de carbone sont indispensables pour atteindre notre objectif de moyen terme d'une réduction de 30% de nos émissions de CO2 », a insisté Jorge Noval, président de la branche Industrial Solutions, dans le même communiqué.
De son coté, Total voit dans le projet normand un complément utile à ses investissements dans l'enfouissement. « Cet effort collectif complète les actions de TotalEnergies qui, avec ses partenaires, développe en mer du Nord des projets de stockages de CO2 comme Northern Lights et Aramis », a indiqué Bernard Pinatel, membre du Comex. Avant cela, restera aussi à lever un autre verrou, règlementaire celui-là : la possibilité d'exporter du CO2 hors du territoire par bateau interdite jusqu'à nouvel ordre.
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