La décarbonation est aussi l’affaire des entreprises

Si le gouvernement appelle à la mobilisation générale pour les économies d’énergie et la décarbonation, c’est que l’État seul ne peut pas tout. Il réglemente, certes, pour inciter aux changements de comportement. Les consommateurs, eux, peuvent agir avec le porte-monnaie, en achetant des produits responsables. Mais encore faut-il que les entreprises les leur proposent, et, de manière générale, qu’elles revoient leurs processus de fabrication et leur fonctionnement pour contribuer à cette décarbonation. D’autant plus que ce sont en grande partie leurs activités – fourniture d’électricité, de ciment, de métal, de produits manufacturés ou chimiques –, qui constituent l’une des plus grandes sources d’émission de gaz à effet de serre. Certaines n’ont pas attendu la crise énergétique et climatique actuelle pour agir. D’autres, petites ou grandes, s’y mettent désormais. (Cet article est extrait de T La Revue n°12 - « Climat : Et si on changeait nous aussi ? », actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

Déjà sur tous les fronts depuis la pandémie, puis la pénurie de main d'œuvre qui résulte en partie de la reprise économique, les dirigeants d'entreprises, les directeurs des ressources humaines et les spécialistes de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) sont aujourd'hui confrontés à une nouvelle crise. Celle de l'envolée des cours de l'énergie et des prix à la consommation, avec pour corollaire la nécessité d'augmenter les salaires pour préserver le pouvoir d'achat des salariés. De quoi sérieusement grever les finances des organisations...

Ont-elles, dans ces conditions, les moyens d'investir pour réaliser des économies d'énergie et, de façon plus large, de décarboner leurs activités, alors que certaines jouent leur survie ? C'est en tout cas ce que leur demande le gouvernement. Et c'est ce qu'exige la lutte contre le dérèglement climatique.

« Elles n'ont pas le choix, précisément parce qu'elles jouent leur survie. Ne rien faire dans le domaine de l'énergie et de la décarbonation est périlleux, tant pour la planète que pour la viabilité des entreprises », tranche Caroline Véran, fondatrice et directrice de Croissance Bleue, une agence qui accompagne les entreprises dans leur stratégie, leur action et leur communication RSE depuis 2014. Le gaspillage d'une énergie fossile peu onéreuse a été fréquent dans le passé. « On voulait tirer les prix vers le bas mais on détruisait l'environnement », relève-t-elle, faisant référence aux produits fabriqués comme au fonctionnement des organisations. Mais aujourd'hui, nombre d'entreprises prennent la mesure de la situation. Ce système ne peut plus durer. Pour le rendre écologiquement et économiquement viable, il faut changer. Question de pérennité. Et si la prise de conscience ne vient pas toujours spontanément - de l'intérieur de l'entreprise, sous l'impulsion de la direction ou des salariés -, elle est imposée de l'extérieur. Par les consommateurs, mais surtout par les actionnaires et les investisseurs, pour les sociétés cotées, du fait, entre autres, de nouvelles réglementations ou de l'adoption d'une philosophie différente. Leurs exigences, qui restent intactes en matière de rendement, s'accompagnent désormais d'autres, sur le plan extra-financier. « Le premier moteur a pu être le reporting extra-financier et un affichage exemplaire, à défaut, d'ailleurs, de véritables actions », souligne Hélène Chauviré, manager de Carbone 4, un cabinet qui accompagne la transformation des organisations vers la décarbonation et l'adaptation au changement climatique. Mais cet élan, même « forcé » au départ, s'est peu à peu transformé en véritables actions, et surtout, il a touché davantage d'entreprises. « Les grands groupes ont embarqué leurs fournisseurs, qui, s'ils voulaient continuer à travailler avec ces gros clients, ont dû s'adapter à leurs demandes en matière de responsabilité environnementale », précise-t-elle.

Des PME et ETI agiles

Restent les PME et les ETI qui ne dépendent pas ou peu des grands groupes. Ont-elles les moyens financiers pour se lancer seules dans la décarbonation ? Ont-elles les moyens humains pour le faire ? « Certains de ces dirigeants ont compris les enjeux climatiques, et les petites entreprises qui existent depuis longtemps veulent évidemment poursuivre leurs activités. En outre, elles ont parfois déjà eu à se réinventer, sous l'effet de crises économiques passées ou de la poussée du numérique. Elles sont agiles », poursuit Hélène Chauviré. Et ont donc, au moins en théorie, les capacités de changer pour mettre en œuvre la nouvelle sobriété énergétique et la décarbonation réclamées.

« Les situations sont diverses, tempère toutefois l'économiste Patrick Criqui, directeur de recherche émérite au CNRS et à l'Université Grenoble-Alpes. Les petites et moyennes entreprises, notamment dans l'industrie, ont certes un souci de bonne gestion, y compris en ce qui concerne l'efficacité énergétique, mais il y a encore dix ans, nombre d'entre elles, en particulier des entreprises de taille intermédiaire, en situation de pénurie de capital, privilégiaient des investissements offensifs, pour accroître leurs parts de marché, plutôt que les investissements défensifs, dans le but de réduire les coûts, ou alors optaient seulement pour ceux qui apparaissaient les plus rentables, sachant que l'horizon temps compte et qu'il est trop court dans les comptabilités traditionnelles. » Et cela vaut aussi pour les investissements en matière d'économies d'énergie et de décarbonation, évidemment... À cet égard, cet expert de la modélisation économique pour l'énergie et les scénarios de transition énergétique estime que les pouvoirs publics devraient œuvrer à un changement des critères d'évaluation des retours sur investissements, afin de rallonger l'horizon temporel et de faciliter ainsi ces dépenses.

Toujours est-il que certaines entreprises agissent déjà, seules ou en groupe, depuis peu pour certaines et plus longtemps pour d'autres. Les grandes, dans les secteurs très consommateurs d'énergie - métallurgie, chimie, fabrication de ciment, de verre - qui représentent à eux seuls 75 % des émissions de l'industrie manufacturière et de la construction, tentent d'améliorer la performance énergétique lors de la production, de substituer aux combustibles fossiles des énergies renouvelables pour faire fonctionner leurs sites, de capter le carbone émis, de recycler les produits et sous-produits, voire d'en mettre de nouveaux sur le marché, tel le ciment bas carbone. Ainsi, depuis 2021, tous les sites de Sanofi en France sont alimentés par de l'électricité d'origine 100 % renouvelable.

Mais les petites entreprises ? Au-delà de ce que Caroline Véran appelle les « sustainable natives », les jeunes entreprises nées avec l'idée de s'inscrire dans la durabilité, le respect de l'environnement et les économies d'énergie, les PME et ETI industrielles traditionnelles peuvent d'abord profiter des diverses aides, dont celles incluses dans le plan gouvernemental Industrie Zéro Fossile. D'autres, même impliquées dans des secteurs comme l'automobile, ont su trouver un nouveau positionnement. À cet égard, Carter Cash, société de 1 000 salariés, est un cas emblématique. « Lorsque nous nous sommes lancés, en 2002, notre idée était de fournir des produits de rechange automobile aux conducteurs à moindre prix. Maintenant, nous offrons des pneus reconditionnés et des batteries régénérées et nous commençons à bannir de nos magasins tout ce qui est non recyclable et non indispensable, comme des lingettes de nettoyage, l'huile étant elle aussi régénérée pour resservir à l'infini. C'est donc bon pour la voiture de l'automobiliste, bon pour son portefeuille et bon pour la planète. Mais nous avons dû batailler avec les filières industrielles », résume William Ternynck, directeur de la stratégie développement durable et de sa mise en œuvre chez Carter-Cash.

La force du collectif

Au-delà des filières de fournisseurs, les PME et ETI ont aussi parfois besoin de s'appuyer sur des experts pour agir. Certes, elles peuvent s'adjoindre les conseils de cabinets spécialisés, puisqu'ils fleurissent dans ce domaine. Elles peuvent aussi profiter des solutions, en particulier en ce qui concerne la mesure de l'efficacité énergétique et de leur empreinte carbone, fournies par plusieurs start-up ou grands groupes de la tech. Ainsi par exemple Ekimetrics, spécialiste de la data science et membre de l'association Data for Good, qui propose des outils destinés à accélérer la transformation énergétique des entreprises. « Nos solutions permettent un bilan carbone, la réduction de la consommation énergétique dans les procédés de fabrication, l'éco-conception de nouveaux produits et la gestion de la production pour ne pas avoir d'invendus. Nous voulons aider les entreprises à prendre les bonnes décisions », indique Théo Alves Da Costa, en charge de l'intelligence artificielle durable et climat pour Ekimetrics.

Mais les PME et ETI manquent aussi de ressources humaines en interne ou à capter sur le marché de l'emploi, du fait du peu de spécialistes formés. « Les étudiants, dans les écoles de commerce ou à l'université, apprennent la gestion et la comptabilité d'entreprise mais pas la comptabilité carbone », regrette ainsi Hélène Chauviré. Et c'est là que les collectifs peuvent jouer. Certains émanent directement des entreprises. Ainsi, 27 collectifs de salariés se sont mis en réseau au printemps 2021 pour pousser leurs employeurs (Axa, Michelin, EDF, Vinci, Engie, IBM, Airbus...) à repenser leur business modèle. D'autres initiatives prennent corps également. Ainsi, le Grand Défi des entreprises pour la planète, lancé en mars dernier, vise à faire émerger 100 propositions concrètes et applicables par toutes les entreprises pour transformer l'économie et atteindre les objectifs climatiques de la France. La Convention des entreprises pour le climat, qui regroupe quelque 150 dirigeants et dirigeantes d'entreprises de toute taille et de tous secteurs, totalisant plus de 250 000 salariés, a partagé ces derniers mois des informations sur le climat et la décarbonation mais aussi de bonnes pratiques. Les entreprises participantes ont présenté une feuille de route pour transformer leur business modèle, et un centre de formation va être lancé. « C'est d'une extrême importance, s'exclame Patrick Criqui, et c'est l'une des facettes de la bonne gestion : il faut diffuser l'impératif climatique dans les entreprises pour transformer les produits, les procédés, et susciter les innovations. Tout ce qui favorise l'élan, consolide et accélère le mouvement doit être mis en place. » D'autant que ce partage de réflexion collective est aussi « un partage d'espérance », conclut-il. Les pionniers se sentent moins seuls et ceux qui rejoignent le mouvement ressentent cette fierté d'agir - avant qu'il ne soit trop tard...

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Commentaire 1
à écrit le 21/01/2023 à 7:17
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"des produits responsables" : Responsables de quoi ? Du réchauffement climatique ? Les voeux pieux ne sauveront pas la planète, tout cela ne sert à rien. La seule variable objective de la pollution au CO2, c'est la consommation d'hydrocarbures, et ce...

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