Les territoires en première ligne de la guerre climatique

La lutte contre le dérèglement climatique est un enjeu global et national. Mais on sous-estime trop souvent les initiatives locales des collectivités. Pourtant, celles-ci se multiplient à tous les échelons, des régions aux petites municipalités. (Cet article est extrait de T La Revue n°12 - « Climat : Et si on changeait nous aussi ? », actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

Qu'ont en commun Lorient Agglomération, la ville d'Échirolles, la coopérative Les Vignerons de Buzet, le Syndicat des Eaux et de l'Assainissement Alsace-Moselle, la commune de Saint-Martin-d'Auxigny, l'Office National des Forêts-Guadeloupe ? Ces six collectivités et organismes sont les lauréats 2022 des « Trophées de l'Adaptation au Changement Climatique Life ARTISAN » organisés par l'Agence de la transition écologique (Ademe), en partenariat avec l'Office Français pour la Biodiversité (OFB) et L'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) qui récompense des projets utilisant des Solutions d'adaptation fondées sur la Nature (SafN). Ces SafN ont deux avantages par rapport aux dispositifs classiques : un moindre coût et une réversibilité possible des actions. « Elles sont conçues pour répondre à l'enjeu du dérèglement climatique en rendant des services écosystémiques naturels ou modifiés (production de l'oxygène de l'air, épuration naturelle des eaux, activité des pollinisateurs, etc.) » explique Aurélie Tailleur, du pôle adaptation au changement climatique des territoires de l'Ademe, qui encourage vivement ce type de solutions. Le fait que le programme européen Life, instrument financier de la Commission européenne dédié au soutien de projets innovants privés ou publics dans les domaines de l'environnement et du climat, soutienne ces actions locales n'est pas anodin. Car c'est en se mobilisant partout dans les territoires qu'élus et administrations peuvent atténuer les conséquences néfastes du réchauffement et des événements climatiques extrêmes qui se multiplient, comme les mégafeux de cet été.

Des solutions rurales et citadines

À Gâvres, commune de Lorient Agglomération, c'est la montée des eaux qui menace. Cette presqu'île reliée au continent par un tombolo (langue de sable) qui abrite 287 habitants est très vulnérable aux submersions marines. Le projet d'aménagement comprend l'implantation d'épis hydrauliques en rondins de bois, l'alignement de casiers de ganivelles (lattes de bois) pour fixer le sable et la végétation, et la restauration d'un espace dunaire afin d'accroître la réserve de sable, pare-chocs naturel aux assauts marins.

Le Syndicat des Eaux et de l'Assainissement Alsace-Moselle (SDEA) a, lui, planté 60 000 arbres et haies pour limiter l'érosion des sols. Dans le Bas-Rhin, le relief de collines entrecoupé de vallons au cœur desquels se situent les villages est propice aux coulées de boue lors d'épisodes orageux intenses. Des événements qui ont augmenté de 41 % en 30 ans et se sont déplacés de juillet à mai. Le nombre de communes ayant déclaré des dossiers de catastrophe naturelle a plus que doublé dans cette région de l'Alsace.

Les SafN fonctionnent aussi en milieu urbain. La municipalité d'Échirolles, commune de 37 000 habitants, située au fond d'une vallée alpine, a entrepris dès 2019 d'identifier les phénomènes d'îlots de chaleur urbains (ICU) grâce à un réseau de 29 capteurs et 2 stations météo. Une cartographie a été établie pour déterminer les secteurs les plus exposés, comme le quartier de la Ponatière où règne un effet de « canyon » qui empêche la circulation des vents et contribue à piéger le rayonnement infrarouge. Le projet consiste à transformer la cour de l'école Marcel-David et ses environs (8 340 m2) en un îlot de fraîcheur urbain en ramenant la part de surfaces minérales de 95 à 27 % et en végétalisant (90 arbres, 875 arbustes, 1 650 m2 de pelouses et 875 m2 de surface en copeaux de bois). Sans oublier la biodiversité avec de nouveaux habitats pour la faune (mares, nichoirs à oiseaux, hôtels à insectes).

Un accompagnement national

Les territoires ne sont pas seuls pour imaginer et mettre en place de telles actions. Le Cerema, établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, les accompagne pour « l'élaboration, le déploiement et l'évaluation de politiques publiques d'aménagement et de transport ». Son statut mixte national et local est unique et ses 2 400 agents sur 26 sites apportent leur expertise en ingénierie aux collectivités dans leur adaptation au changement climatique. Pascal Terrasse, directeur de la stratégie et de la communication, est à la fois inspecteur général du développement durable et élu local (membre du conseil municipal de Bourg-Saint-Andéol et président du conseil général de l'Ardèche de 2006 à 2012). Une double casquette technique et politique appréciable pour gérer les problématiques complexes des collectivités : « Nous savons tous qu'il ne peut y avoir d'adaptation au changement climatique sans les actions concrètes prises dans les territoires. » Il salue l'annonce le 27 août par la Première ministre de la création d'un Fonds Vert doté d'1,5 milliard d'euros dédié aux investissements des collectivités en matière de lutte contre le changement climatique : « C'est la première fois que les territoires disposent de fonds propres, avec un député chargé d'en suivre l'exécution budgétaire. » Mais selon Clara Sannicolo, responsable Climat et territoires du Réseau Action Climat, cette somme, dont on ne sait pas encore comment et à qui elle va être allouée, n'est pas suffisante : « L'association I4CE (Institute for climate economics, fondée par la Caisse des Dépôts et l'Agence Française de Développement) chiffre à environ 10 milliards par an les besoins des collectivités pour effectuer la transition écologique. » Pour arriver à ce chiffre, Clara Sannicolo réclame une hausse de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) « pour que les collectivités reçoivent des ressources supplémentaires et pérennes pour mettre en place leurs projets ». Le réseau plaide aussi pour qu'elles disposent des moyens nécessaires en ressources humaines et que les personnels soient formés de manière transversale. Pour suivre les efforts des régions et DOM TOM, le Réseau Action Climat a mis au point une cartographie de leurs bonnes pratiques en matière d'avancement des plans climat air énergie territorial (PCAET) désormais obligatoires pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitants existants au 1er janvier 2017, un outil de planification à la fois stratégique et opérationnel qui leur permet d'aborder l'ensemble de cette problématique. On peut voir en un coup d'œil les régions les plus avancées, comme Auvergne-Rhône-Alpes, Pays-de-la-Loire ou Occitanie et celles - Corse, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté - qui le sont moins. Cette cartographie date de 2020, mais une version à jour devrait arriver prochainement.

Pour Pascal Terrasse, les priorités d'allocation du Fonds Vert sont la maîtrise énergétique des bâtiments publics et les mobilités décarbonées. Le Cerema intervient aussi sur les infrastructures et en cas de risques naturels, comme il l'a fait dans la vallée de la Roya ou en Guadeloupe après l'ouragan Fiona. Son nouveau statut, à la suite du décret d'application de la loi de décentralisation 3DS publié en juin dernier, lui permet d'opérer en tant que « quasi régie ». Les collectivités adhérentes échappent ainsi aux obligations contraignantes de publicité et de mise en concurrence fixées par le code de la commande publique, comme c'est déjà le cas pour l'État. « Les adhésions arrivent petit à petit. L'objectif serait d'en avoir 600 en fin d'année et 2 000 à terme. C'est grâce aux territoires que la France pourra respecter ses engagements internationaux. Et la nouvelle génération d'élus locaux en est consciente » estime Pascal Terrasse.

La finance en action

La Banque des Territoires est un autre bras armé des collectivités grâce à ses produits financiers dédiés à la fois à la lutte contre le réchauffement et à l'adaptation aux changements actuels et futurs. « Il y a eu une grosse prise de conscience cet été : on ne pensait pas que les effets allaient arriver aussi vite et aussi fort » explique Gil Vauquelin, en charge du plan de relance sur le volet de la transition énergétique à la Banque des Territoires. Pour lui, trois chantiers sont prioritaires : la rénovation des bâtiments publics, la production des énergies renouvelables (EnR) et la mobilité, pour s'équiper en stations d'hydrogène ou bornes de recharge électrique, par exemple. Le développement de réseaux de chaleur ou de froid connectés à des EnR en milieu urbain est aussi un axe important. « Que ce soit pour contrer le réchauffement ou l'adaptation aux changements, les collectivités ont une responsabilité de stratégie territoriale. L'important est qu'elles puissent développer une vision, identifier des projets et ensuite les développer et les financer » analyse Gil Vauquelin. Or, les capacités des collectivités sont très variables selon leur taille. Sans oublier les problèmes d'organisations internes. Exemple : souvent, leur vision du patrimoine à rénover est très éclatée entre les services. La capacité de mutualisation des ressources humaines et le développement d'outils dédiés, comme les syndicats d'énergie qui ont élargi leurs compétences aux EnR, sont des bonnes pratiques qui se développent. La Banque des Territoires et Bpifrance ont lancé dès 2020 un plan climat sur quatre ans de 40 milliards d'euros, 20 pour les entreprises et 20 pour les territoires. Le 6 septembre, les deux établissements publics ont rendu un bilan d'étape : 17 milliards, soit 43 % des prêts et investissements, ont déjà été mobilisés. La Banque des Territoires prépare actuellement de nouvelles offres d'ingénierie et des prêts à long terme qui seront disponibles en 2023. « Il faut accélérer, car l'échéance de 2030, alors que l'UE a relevé son ambition climatique en s'engageant à réduire ses émissions d'au moins 55 % par rapport au niveau de 1990, est proche. Plus nous aurons de projets sur le terrain, plus vite nous atteindrons ces objectifs » conclut Gil Vauquelin.

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Commentaire 1
à écrit le 14/01/2023 à 11:42
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Les Territoires doivent se redessiner, non plus en fonction de leur Histoire, mais de leurs intérêts mutuels d'adaptation, comme par exemple en "Bassin" pour la gestion de l'eau !

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