Quand le réchauffement climatique réinvente la carte des terres agricoles

Largement redouté dans nos contrées, le réchauffement climatique est parfois perçu, plus au nord, comme une inédite perspective de développement. État des lieux, du Canada à la Scandinavie en passant par la Beauce, là où se réinvente la géographie des sols et de l’assiette. Cet article est extrait de T La Revue n°12 - « Climat : Et si on changeait nous aussi ? », actuellement en kiosque).
Plutôt que de persister dans la culture du maïs devenue problématique, car gourmande en arrosage, de plus en plus d’agriculteurs se tournent vers le sorgho, une céréale habituellement cultivée dans les régions subsahariennes. En 2020, la surface couverte par le sorgho en France a progressé de plus de 50 %.
Plutôt que de persister dans la culture du maïs devenue problématique, car gourmande en arrosage, de plus en plus d’agriculteurs se tournent vers le sorgho, une céréale habituellement cultivée dans les régions subsahariennes. En 2020, la surface couverte par le sorgho en France a progressé de plus de 50 %. (Crédits : Istock)

On s'attendait à tout, sauf à cela... En sortant de Paris, il suffit de rouler pendant deux heures pour se retrouver face à ces champs en apparence banale, régulièrement repérés au cours de nos divers déplacements. De loin, on aurait dit des épis de maïs dorant sous le soleil de la fin d'été. Pourtant, l'apparence est trompeuse... D'ailleurs, à y regarder de plus près, ces épis n'ont pas l'air si familiers que cela. Tout cela est bien normal, car ce n'est pas du maïs, mais du sorgho ! Du sorgho dans nos contrées ? Quelle drôle d'idée ! Cinquième céréale mondiale derrière le maïs, le riz, le blé et l'orge, le sorgho demeure en effet relativement méconnu dans nos régions. Et pour cause : domestiqué il y a plusieurs millénaires dans le Sahel en Afrique, de la même famille que le mil ou le millet, il constitue une des bases de l'alimentation subsaharienne mais reste, pour l'heure, peu usité dans la gastronomie européenne. Une donne qui pourrait néanmoins changer, et plus rapidement que l'on ne le croit... Car réchauffement climatique oblige, les agriculteurs français cherchent désormais des solutions tous azimuts à leurs problèmes. Parmi ces derniers notamment, la grêle, le gel, les inondations et les canicules à répétition viennent saper leur travail année après année, en interrogeant parfois tout bonnement sur le maintien d'une agriculture tricolore aux rendements suffisants. Autre inquiétude se muant peu à peu en obsession : cette pénurie d'eau estivale qui est devenue une angoisse persistante pour toute la branche. Il faut voir et lire les chiffres. En l'occurrence, jusqu'au mois de juin 2022, notre pays affichait déjà un déficit hydrique de 33 % alors même que les fortes chaleurs n'étaient pas encore avancées. Par la suite, canicule faisant, on apprit que le mois de juillet 2022 fut le mois le moins abondant depuis le début des relevés météorologiques. Le mois d'août fut ensuite celui des restrictions et de la prise de conscience de la pénurie.

La solution sorgho

À court de solutions et lassés de vivre sur les aides de l'État et autres maigres subsides des assureurs, de nombreux agriculteurs ont jeté l'éponge. D'autres tiennent bon et ont décidé de réinventer leur métier en améliorant leurs pratiques. C'est ainsi que, plutôt que de persister dans la culture du maïs devenue problématique, car gourmande en arrosage, ils se sont peu à peu tournés vers le fameux sorgho, au point de créer une filière française. Sur le papier, la céréale ne semble avoir que des avantages. En termes de nutriments, elle s'avère riche en fer, zinc, calcium et vitamine B9. Mais, surtout, la capacité d'adaptation aux conséquences du réchauffement climatique et à la sécheresse, les besoins réduits en produits phytosanitaires et les atouts agronomiques de cette plante au système racinaire très développé en font une solution rêvée aux problèmes rencontrés par l'agriculture française. Les chiffres racontent bien cet engouement : en Europe, les surfaces consacrées à la production de sorgho ont augmenté de 20 % en 2020. En France, plus particulièrement, selon les chiffres révélés par Semence Mag[1], sur les quatre dernières années, la surface couverte par cette céréale a progressé de plus de 50 %. De l'alimentation animale à la consommation humaine, l'exemple du sorgho est emblématique, notamment du fait des nombreux débouchés qu'il offre. Et il semble loin d'être isolé. Rapidement, ce sont de nouveaux changements tout aussi spectaculaires, déjà bien amorcés, qui s'observent aux quatre coins de la planète. De là à repenser toute une géographie physique et alimentaire, il n'y a qu'un pas, allègrement franchi par ceux qui n'entendent pas attendre les bras croisés...

Du café en Sicile, du champagne en Angleterre, du blé en Norvège et au Canada...

Observons donc le phénomène à l'échelle globale : puisque la terre se réchauffe, les terres arables sont amenées à « bouger », c'est-à-dire un territoire sera troqué pour un autre. Cela engendre quelques incongruités ou crimes de lèse-majesté au goût des puristes, notamment lorsque les producteurs de champagne lorgnent le Sud de l'Angleterre pour en faire leur nouvelle terre d'élection. Ou bien lorsque la Suède se met à cultiver du blé, ce qu'elle n'aurait jamais imaginé il y a encore vingt ans. Sans même parler de la Sicile, surnommée « le grenier de l'Italie » et longtemps réputée pour ses agrumes. Or, du fait du manque d'eau, citrons et oranges sont progressivement remplacés par des mangues, du café, du cacao ou encore de la papaye... Une vraie révolution qui laisse augurer, demain, un bouleversement du régime méditerranéen. À n'en pas douter, la géographie agraire est en pleine mutation. Face à cet état de fait, l'homme s'adapte. Et certaines contrées s'en sortent mieux que d'autres. Pour le comprendre, il faut se référer aux relevés météorologiques. Si partout des records de chaleur furent battus cet été (avec des pointes à 40 °C à Paris comme à Londres), c'est bien au Nord du planisphère que le réchauffement produit ses effets les plus spectaculaires. En Scandinavie, cela fait ainsi plusieurs étés successifs au cours desquels on enregistre des pics à 34 °C, non loin du cercle polaire. Les conséquences sont là, entraînant tantôt fonte des glaces et fleurissement inédit de la flore locale. « De quoi donner des idées à une poignée de Danois, Suédois et Norvégiens qui ont saisi cette opportunité pour se livrer à la plus givrée de leur passion : la culture de la vigne, explique le journaliste Gérard Muteaud[2]. Le Danemark fut le pionnier en la matière grâce à la plus grande douceur de son climat, notamment dans la péninsule continentale du Jutland. Dans un climat plus rigoureux, le domaine de Lerkekasa à Gvarv, au cœur du Telemark en Norvège, peut revendiquer d'être le vignoble le plus septentrional du monde. » C'est ainsi que ce qui était réputé jadis impossible et illusoire, à savoir faire pousser de la vigne au nord du 50e parallèle, est devenu une réalité. Ce sont désormais une centaine d'hectares de vignobles qui ont été plantés avec succès en Suède, au point que le pays est désormais officiellement reconnu par l'Union européenne comme producteur de vin.

L'excellence du chardonnay gallois

S'ils se félicitent de leur capacité d'adaptation et des nouveaux débouchés représentés par le changement climatique, les locaux ne jubilent pas pour autant. Ils savent que la pluie, la grêle et les différents épisodes d'instabilité météorologique peuvent également les menacer. Leur parade est alors claire : ils optent pour des cépages plus résistants, créés en laboratoire et issus de croisements, notamment le solaris, « un raisin piwi (résistant aux champignons) né en 1975 dans les laboratoires de l'institut d'agronomie de Freiburg en Allemagne, explique Muteaud dans son article pour Les Échos. Précoce, il donne un vin blanc sec, aux notes légèrement végétales et fruitées, parfaitement adapté aux spécialités gastronomiques locales autour des produits de la mer. Et il peut résister l'hiver à des températures de moins 25 °C, tout comme le rondo, l'un des rares cépages rouges résistant aux hivers scandinaves ». Perçu comme une réelle aventure, le vin scandinave représente tout ce que l'avenir nous réserve : un mélange d'habitudes bouleversées, de résilience et d'adaptation. Quant à la noblesse viticole, pour la trouver, il faudra bientôt se tourner vers le Royaume-Uni. C'est là que poussent désormais des vignes « franglaises », pinot noir, sauvignon blanc et chardonnay en tête. D'après Stephen Dorling, professeur à l'Université d'East Anglia[3], la filière viticole outre-Manche serait en plein boom : + 400 % de croissance entre 2004 et 2021 du fait d'un climat local devenu proche de celui connu en Champagne ou en Bourgogne. Paradoxale situation qui voit l'Angleterre ravir à la France ce qu'elle estimait le plus : ses cépages, sa gastronomie... C'est ainsi que le réchauffement climatique tant redouté dans nos contrées fait se frotter, ailleurs, quelques mains. Selon une étude publiée dans la revue PLOS One en février 2020[4], ce seront 4,3 millions de km2, aujourd'hui encore trop froids sur le sol canadien, qui pourront, à terme, devenir cultivables. Une révolution dans ce pays où se nourrir impose généralement l'importation des denrées de contrées plus clémentes. « Cela pourrait devenir une région nourricière, jubile Krishna Bahadur, professeur à l'Université de Guelph, dans les colonnes du Canadian Geographic[5]. À cet égard, c'est un point positif pour le Canada ». C'est bien connu : le malheur des uns fait le bonheur des autres.

[1] https://semencemag.fr/sorgho-en-augmentation.html

[2] https://www.lesechos.fr/weekend/gastronomie-vins/avec-le-rechauffement-climatique-le-vignoble-en-plein-essor-en-suede-1386430

[3] https://journal-du-palais.fr/au-sommaire/champagne-in-vino/dans-20-ans-le-vin-de-bourgogne-sera-made-in-england

[4] https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0228305

[5] https://canadiangeographic.ca/articles/canada-could-gain-4-2-million-square-kilometres-of-agricultural-land-as-a-result-of-climate-change/

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Commentaire 1
à écrit le 07/01/2023 à 14:54
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C'est un aspect non négligeable de ce bouleversement. Par contre le Champagne s'il vous plait, restera en Champagne... car c'est une appellation protégée. Du vin a bulle, il en existe partout, mais ca reste que du vin effervescent.

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