Climat : « Il n’est pas trop tard pour éviter la catastrophe et construire un futur vivable pour tous » (Magali Reghezza-Zitt)

Géographe, maître de conférences à l’École normale supérieure et membre du Haut Conseil pour le Climat, Magali Reghezza-Zitt compte parmi les figures les plus fascinantes du moment. Dérèglement climatique oblige, son domaine d’études – la prévention des risques de catastrophes liées aux phénomènes naturels – ne cesse de s’étendre. Entretien. (Cet article est extrait de T La Revue n°12 - « Climat : Et si on changeait nous aussi ? », actuellement en kiosque).
Géographe, maître de conférences à l’École normale supérieure et membre du Haut Conseil pour le Climat, Magali Reghezza-Zitt compte parmi les figures les plus fascinantes du moment.
Géographe, maître de conférences à l’École normale supérieure et membre du Haut Conseil pour le Climat, Magali Reghezza-Zitt compte parmi les figures les plus fascinantes du moment. (Crédits : DR)

Vous êtes membre du Haut Conseil pour le Climat. Vos travaux portent sur les notions de résilience et d'adaptation, deux matières encore jeunes. Pourriez-vous nous en définir le périmètre et donner des applications concrètes ?

Magali Reghezza-Zitt Je travaille sur la prévention des risques de catastrophes liées à des phénomènes naturels, essentiellement les inondations. J'ai aussi travaillé sur les cyclones, les séismes et les éruptions volcaniques. Je n'étudie pas les processus physiques, mais la manière dont ils affectent les sociétés et les territoires, et comment on met en place des réponses, plus ou moins efficaces sur le moment, plus ou moins adaptées à moyen et long terme. Cela me conduit à comprendre aussi bien l'usage des ressources disponibles que la manière dont les différentes parties prenantes vont s'emparer des instruments techniques, juridiques, financiers à leur disposition pour construire des stratégies d'adaptation à la menace. Parce que je suis géographe, je m'intéresse beaucoup à l'aménagement, c'est-à-dire la manière dont les sociétés organisent leur espace de vie, localisent les hommes, les activités, les infrastructures et construisent les relations entre les différents lieux. Le climat qui change rapidement du fait des activités humaines a des conséquences déjà perceptibles sur l'intensité, la fréquence, la précocité, la durée, des processus physiques dont j'étudie les impacts. J'essaie de regarder comment les sociétés répondent à ces impacts de la crise climatique. C'est pour cette expertise que j'ai été nommée au Haut Conseil pour le Climat.

Vous prônez la planification écologique. Qu'attendez-vous d'un État stratège en la matière ?

M.R.-Z. On oppose toujours le national au local. Or, on a besoin des deux. À l'État de définir les grandes orientations, en fixant des priorités, des objectifs, des jalons temps, en fléchant les investissements, les moyens humains et financiers, en vérifiant la cohérence entre les lois et textes réglementaires. Ce pilotage stratégique doit être appuyé sur les connaissances scientifiques, qui permettent aujourd'hui d'avoir un diagnostic robuste du problème à traiter, et des évaluations claires des coûts, mais aussi des bénéfices, des différentes réponses qui existent déjà. Seul un pilotage fort, interministériel, avec une évaluation régulière peut permettre de tenir le cap et d'avoir la vision transversale nécessaire, en étant attentif à l'indispensable équité dans la répartition des efforts, des soutiens et des bénéfices retirés de l'action climatique. C'est cela la planification : une trajectoire, pour une action qui active tous les leviers (technique, juridique, fiscal, économique, social, environnemental) et permette de mettre en cohérence les actions entre les différents secteurs (énergie, bâtiments, transports, agriculture, industrie, mais aussi eau, tourisme, prévention des risques, gestion de crise), les différents enjeux (santé, pouvoir d'achat, logement, éducation et formation, emploi, sécurité, bien-être, démocratie), les différents niveaux territoriaux, d'arbitrer lorsque c'est nécessaire. Ensuite, l'action est forcément territorialisée, c'est-à-dire portée, négociée, mise en œuvre dans les territoires, et adaptée aux spécificités locales.

La ville du Mans connaît aujourd'hui le climat de la ville de Bordeaux, celle de Strasbourg le climat qui était hier celui de Lyon. Nos cartes météorologiques changent plus vite que l'on ne pouvait l'imaginer. Face à cela, la population s'adapte : pour leurs vacances, les Français préfèrent désormais la fraîcheur bretonne à la sécheresse du Var. Pensez-vous que ce mouvement va s'accélérer à l'avenir ?

M.R.-Z. Il y aura des transformations majeures, des recompositions dont on ne mesure pas assez l'ampleur. Avec la remontée du niveau marin, la diminution de l'enneigement, l'aridification, l'augmentation de certains extrêmes chauds, secs ou humides, certains territoires deviendront plus difficiles à mettre en valeur et à habiter. La question de l'habilité, c'est-à-dire du coût que l'on est prêt, collectivement et individuellement, à payer pour maintenir le statu quo, ou même, seulement assurer leur sécurité, va se poser. Par « coût », j'entends le coût social, financier, juridique, environnemental. C'est un problème politique, pas que technique ou scientifique. Il va y avoir des choix, des relocalisations, des déplacements. Plus on tarde, plus ces choix se feront dans l'urgence et plus la gamme des options possibles se rétrécit.

Plus largement, le secteur du tourisme a-t-il vraiment pris la mesure du bouleversement en cours ?

M.R.-Z. Insuffisamment, d'autant que l'on ne parle ni des coûts de transition, c'est-à-dire des effets de la transition elle-même. Le tourisme repose par exemple sur la mobilité. La réduction des émissions, mais aussi la crise de l'énergie augmentent le coût des déplacements. Le tourisme repose aussi sur des valeurs, des imaginaires. Ces valeurs évoluent vite. Une activité jugée polluante, fortement émettrice de gaz à effet de serre (GES), destructrice de la biodiversité, peut très vite perdre de l'attractivité. Ce n'est pas que lié au climat. On a vu les mouvements de rejet des touristes dans beaucoup de territoires. Le climat qui change exerce une pression supplémentaire sur un système déjà fortement déstabilisé par la crise du Covid-19 et des vulnérabilités structurelles.

Autre domaine d'activité essentiel : l'agriculture. En l'occurrence, les agriculteurs français peinent à se faire à ces bouleversements. Le secteur est en souffrance. Beaucoup, épuisés par les épisodes de gel, d'inondation et de sécheresse, mettent la clé sous la porte. Comment les aider concrètement ?

M.R.-Z. En cessant l'agri-bashing et les instrumentalisations politiciennes. En faisant les diagnostics de vulnérabilité au cas par cas. En arrêtant d'entretenir le mythe que l'on pourra faire l'économie de bifurcation systémique en matière de production et de consommation. Notre modèle agricole n'est pas soutenable. On n'a pas attendu la crise climatique pour voir que le monde agricole va mal, que le système actuel n'est pas rémunérateur pour nombre d'agriculteurs, qu'il a des conséquences sanitaires coûteuses, pas seulement pour les milieux naturels ou les animaux, mais aussi pour les personnes. Il existe des savoir-faire, des compétences, de la volonté. Il existe des tas d'exemples, loin des caricatures, où agriculteurs, élus, consommateurs, agronomes, ingénieurs, associations, services de l'État construisent de nouveaux modèles dont les co-bénéfices en termes de santé, de biodiversité, d'eau, de climat, mais aussi de pouvoir d'achat, de qualité de l'alimentation, de développement local sont démontrés. Aider les agriculteurs, c'est accompagner le monde agricole dans sa diversité, avec des solutions au cas par cas. C'est réorienter l'investissement. C'est rémunérer à sa juste valeur les services que l'agroécologie (qui ne se réduit pas au bio) rend à la collectivité. C'est faire des agriculteurs une solution au problème du réchauffement par leur rôle central dans l'atténuation (réduction des émissions directes et par captage) et l'adaptation.

Cet été, le manque d'eau s'est fait sentir dans tout le pays. Pour y faire face, la FNSEA prône désormais la multiplication des bassins de rétention d'eau pour un accès simple et rapide à la ressource. Mais certains s'insurgent et dénoncent une solution « simpliste ». Selon vous, l'idée est-elle si bonne que cela ?

M.R.-Z. Les bassines, comme n'importe quelle forme de stockage artificiel, peuvent être localement, ponctuellement, une réponse. Mais sous conditions. D'abord, des études d'impacts systématiques. Surtout, ces bassines doivent être réservées aux sécheresses sévères et à l'irrigation de substitution en situation de crise ou l'été. Comme elles coûtent très cher, le risque est grand de les voir être utilisées pour augmenter l'irrigation. Si leur eau est utilisée de manière systématique parce qu'elle est là, en dehors des périodes estivales, elles ne seront d'aucun secours en cas de sécheresse. De plus, elles sont inadaptées aux sécheresses pluriannuelles qui se produiront dans le futur. Elles pourront servir la première année, mais si on a un déficit de remplissage des nappes, on ne pourra plus les remplir. Il faut absolument travailler au stockage de l'eau dans les sous-sols et préserver l'eau souterraine, déjà très mal en point. Si les bassines verrouillent la dépendance à l'eau, si elles conduisent à une fuite en avant sur l'irrigation, si elles emprisonnent l'agriculture dans le statu quo, alors, elles seront des maladaptations.

Les producteurs de champagne lorgnent désormais le Sud de l'Angleterre pour faire pousser leurs vignes. La Suède, la Norvège et le Canada deviennent des pays d'agriculture où le blé pousse comme jamais auparavant. Dans cette géographie agraire en pleine mutation, à laquelle nous consacrons un article (page 60), la France sort-elle forcément perdante ?

M.R.-Z. Rien n'est écrit. Mais plus l'adaptation tarde, plus on condamne nos agriculteurs. Soit on s'attaque aux causes profondes de la vulnérabilité de l'agriculture au climat qui change, mais aussi au contexte économique et géopolitique fluctuant, à l'évolution des pratiques et des valeurs des consommateurs, à la nécessaire sortie des énergies fossiles, à l'effondrement de la biodiversité ; soit on se contente de rustine et on se condamne à courir après les crises, qui fragiliseront de plus en plus le monde agricole.

Face aux dangers qui se profilent et à l'ampleur des bouleversements déjà en cours, certains baissent les bras, jugeant que « ce serait trop tard ». À rebours des idées reçues, diriez-vous qu'il faut de l'optimisme pour lutter contre le réchauffement climatique ?

M.R.-Z. Bien sûr ! Les solutions sont connues, efficaces, applicables, évaluées, disponibles. Les capitaux à l'échelle mondiale sont là et suffisent, à condition, bien sûr, de réorienter les investissements vers ce qui marche. Il est scientifiquement démontré que l'inaction coûte plus cher que l'action, et que la transition, à condition d'être juste, donc pilotée et accompagnée équitablement, aura des bénéfices sur le pouvoir d'achat, la santé, l'emploi, le logement, l'éducation, la qualité de vie. Chaque fraction de degré de réchauffement supplémentaire augmente les risques de manière exponentielle. Chaque dixième de degré compte. Il n'est pas trop tard pour éviter la catastrophe et construire aujourd'hui un futur vivable pour tous. Et on ne parle pas de la fin du siècle, mais des deux prochaines décennies.

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T La Revue n°12

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Commentaires 17
à écrit le 08/01/2023 à 9:32
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Je ne sais pas si malgré toute son intelligence cette personne poudrée de toutes ses références m'apprendra quoi que ce soit. La régulation des naissances n'est à mon humble avis, la seule des solutions, le reste n'est que verbiage inconsistant.

à écrit le 08/01/2023 à 8:18
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Madame Magali Reghezza-Zitt, il est déjà bien trop tard pour sauver la planète. Il vient de se produire non seulement un réchauffement climatique mais là, cette fois-ci l'on peut dire "Un dérèglement climatique accidentel et irréversible"; Serait-il...

à écrit le 07/01/2023 à 17:58
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Comment le climat est-il réglé ? Quelles sont les règles en vigueur ? Que je sache, seules les lois physiques s'appliquent au climat. Certains auraient-ils changé ces lois ? Pourrait-on les rechanger ? Soyons précis dans les termes pour espérer pou...

à écrit le 07/01/2023 à 15:20
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Je trouve que, comme la plupart des écologistes, vous ne tenez pas assez compte des résistances sociales : manques de moyens pour évoluer, résistances au changement, intérêts divergents, limites de l'Etat pour agir face au peuple et aux lobbyings, et...

à écrit le 07/01/2023 à 15:13
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On en est plus à sauver la planète mais l’humanité....elle n’a pas besoin de nous ,mais nous d’elle oui.....

à écrit le 07/01/2023 à 14:47
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En 50 ans quelques centaines de millions d’habitants l’ont détruite,avec 10 milliards on va la sauver...

à écrit le 07/01/2023 à 13:50
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Quelle que soit l’évolution des températures à cinquante ans et plus, l’humanité s’adaptera car l’instinct de survie sera plus fort que tout………

à écrit le 07/01/2023 à 12:18
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La nature et le climat ne se "règlent" pas à coup de réglementations, décrets, normes, ...et autres COP. Les variations existent depuis des millénaires. Les faits sont là. Même si l'humanité est partiellement responsable par une amplification des mou...

le 07/01/2023 à 15:15
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On traite le dérèglement pas le déni comme il y a 30 ans on a traité l’insecurite et l’islamisation, on voit le resultat....

le 07/01/2023 à 15:16
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On traite le dérèglement pas le déni comme il y a 30 ans on a traité l’insecurite et l’islamisation, on voit le resultat....

à écrit le 07/01/2023 à 12:09
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Nous sommes très très loin d’une acceptation de nos sociétés des efforts nécessaires pour avancer sur ce sujet.. Quand on voit le comportement associai de la plupart des français sur une simple question de réforme des retraites pour préserver les gén...

à écrit le 07/01/2023 à 11:10
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Ce n'est pas parce qu'un catastrophe est évitable qu'elle sera évité. On constate que beaucoup d'intérêts financiers ne souhaitent pas de changements. On pourra maitriser le sujet et proposer autant de solutions qu'on le souhaite, aucune ne sera rete...

à écrit le 07/01/2023 à 10:31
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Modifier le climat revient à demander à Dieu de sauver l'humanité.. Je préférerais que nous stoppions les guerres, les pollutions, les gaspillages et que nous développions des politiques audacieuses sur l'eau et l'alimentation.. Quant à la démographi...

à écrit le 07/01/2023 à 10:08
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C'est bien de dire ce qu'il faudrait faire, encore faut-il avoir à l'esprit que les plus gros pollueurs ne sont en rien les français. C'est incroyable cette capacité à se flageller et à faire subir à la population la moins aisée des contraintes inviv...

à écrit le 07/01/2023 à 10:08
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C'est bien de dire ce qu'il faudrait faire, encore faut-il avoir à l'esprit que les plus gros pollueurs ne sont en rien les français. C'est incroyable cette capacité à se flageller et à faire subir à la population la moins aisée des contraintes inviv...

à écrit le 07/01/2023 à 9:41
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La solution n'est pas dans des réformes dogmatiques mais dans une adaptation !

à écrit le 07/01/2023 à 9:06
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Il est bien plus tard qu'elle ne pense. Donc trop tard.

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