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Ce que le SUV a changé sur le marché auto

Maître de conférences à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Yann Demoli décrypte les changements qu’a engendrés l’arrivée du SUV en France il y a une dizaine d’années. Le segment est aujourd’hui l’un des plus dynamiques du marché.
(Crédits : Renault - Yannick Brossard)

Le sport utility vehicle (SUV) a débarqué en France il y a une dizaine d'années. Ce « 4x4 urbain », petit et compact, fait depuis le bonheur des très nombreux constructeurs qui l'ont inclus dans leur offre.

Sur un marché automobile français dont les ventes de voitures neuves ont progressé de 4,7% en 2017 (donnée Comité des constructeurs français d'automobiles), un simple coup d'œil au Top 10 des ventes suffit à s'en convaincre. On y trouve ainsi quatre SUV (Peugeot 3008 II, Renault Captur, Peugeot 2008 et Dacia Sandero).

Maître de conférences à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), rattaché au laboratoire PRINTEMPS (unité mixte en recherches sociales du CNRS et de l'UVSQ), Yann Demoli analyse les changements dus à l'émergence de la « tendance SUV ».

La Tribune de l'énergie : Comment explique-t-on l'engouement des Français pour le SUV ?

Yann Demoli : C'est d'abord lié à la segmentation horizontale des modèles, que les constructeurs ont commencé à opérer dès les années 1960. On a alors fait autant de véhicules qu'il y a d'usages de véhicules. C'est l'émergence des premiers breaks ou coupés, par exemple. L'émergence et le succès du SUV, aussi, sont dus à cette segmentation horizontale industrielle.

Il y a ensuite l'alourdissement et l'allongement des véhicules. Si on regarde une Peugeot 205 d'hier et une 208 d'aujourd'hui, c'est la même gamme de véhicules mais on a des modèles de plus en plus imposants. Avec le SUV, on retrouve ce phénomène, avec aussi une troisième dimension : le véhicule se rehausse. On n'a donc pas tant une forme de rupture qu'une poursuite de tendance, même si c'est un produit nouveau.

« 30 à 40% des conducteurs de SUV sont des femmes »

LTDE : Y'a-t-il un profil particulier d'acheteur ?

Y.D. : Les « consommateurs » de SUV sont d'intenses consommateurs d'espace : ils vivent beaucoup plus que les autres dans des pavillons, en banlieue et en zone rurale.

On estime aussi que 30 à 40% des conducteurs de SUV sont des femmes. Il faut comparer, par exemple, avec les berlines allemandes, où la proportion de femmes descend autour de 10%. Les femmes qui conduisent des SUV sont également plus jeunes que les hommes qui conduisent des SUV et le plus souvent sont des mères de famille.

Le SUV chez les femmes, c'est un peu l'équivalent fonctionnel du monospace sans le côté « Soccer Mom », la maman outre-Atlantique qui balade les enfants d'un endroit à un autre, de l'école à ses activités extra-scolaires. C'est un point un peu surprenant qui peut être relié au sentiment de sécurité, avec l'idée d'une meilleure protection des enfants dans un 4x4 ou un SUV.

Enfin, ce sont des ménages issus des classes moyennes et supérieures qui achètent, qui travaillent plutôt dans le secteur privé.

LTDE : Qu'est-ce que cet engouement nous dit de l'évolution de notre rapport à la voiture ?

Y.D. : Le SUV permet, en quelque sorte, de renouer avec la nature à peu de frais. Le 4x4, c'est un peu le « fantasme » du retour à la nature.

On retrouve cela dans le nom de certains modèles, avec des tribus indiennes dans le Jeep Cherokee ou le Porsche Cayenne. Le SUV permet de renouer avec cet imaginaire de l'automobiliste un peu seul sur les routes. Dans le 4x4, il y a cette recherche paradoxale de la nature, on est quand même sur un véhicule qui consomme mais dans un esprit de proximité avec la vie sauvage.

Le SUV permet aussi d'extraire de la concurrence sur la route : plus il y a de voitures, moins je m'y sens seul, avec une conduite moins agréable. Mais avec mon 4x4, au final, en étant un peu surélevé, je m'échappe en quelque sorte des autres conducteurs, je domine un peu l'espace, je vois plus haut, plus loin. C'est une dimension essentielle pour comprendre cette tendance des SUV.

« Une autre facette de la consommation des ménages »

LTDE : On parle beaucoup de "nouvelles mobilités" ces temps-ci : le SUV est-il un vecteur de  "nouvelle mobilité", en ce qu'il aurait eu un impact sur nos déplacements, nos loisirs... ?

Y.D. : En fait, peu de ménages roulent véritablement hors-route, de telle sorte que cela n'a pas fondamentalement de gros impact sur les loisirs et les déplacements. Le break ou le monospace ont été des innovations bien plus fortes, même s'il faut nuancer l'ampleur des usages qu'ils ont créés -car, souvent, les industriels suivent les modes plutôt qu'ils ne les propulsent-.

LTDE : On parle aussi de nouvelles mobilités moins polluantes et/ou plus intelligentes : le SUV s'inscrit-il dans ce mouvement-là ?

Y.D. : Le 4x4 et le SUV ont mauvaise presse : ils sont vraiment compris comme des engins inutilement polluants et dangereux. En fait, les SUV cristallisent un rapport à l'espace différencié, entre des groupes sociaux antagonistes, pour le dire vite : les urbains à fort capital culturel qui voient la voiture comme une invasion et les périurbains et ruraux à fort capital économique pour lesquels la voiture est un bien statutaire.

Cela dit, le SUV se retrouve davantage hors des villes, avec parfois des gens qui viennent travailler en ville. Et comme ce sont de gros véhicules, il y a un effet de visibilité, donc de surreprésentation. Les SUV sont avant tout des modèles récents. On peut s'y retrouver en termes de consommation et donc de pollution si on compare avec une veille citadine.

Ce qui marche c'est la carotte et le bâton monétaire, on avait vu une baisse de ventes de 4x4 et des gros véhicules en général en 2007-2008 avec l'introduction du bonus-malus écologique. Mais il ne s'agissait pas d'une prise de conscience mais simplement l'introduction d'une pénalité financière qui a logiquement freiné cette dépense.

Le SUV n'est pas vraiment un mouvement vers des véhicules moins polluants, mais c'est une autre facette de la consommation des ménages.

LTDE : L'engouement pour le SUV correspond-t-il à une mode ou est-ce quelque chose qui est parti pour durer ?

Y.D. : Il est difficile de se livrer à ces exercices de prédiction. La diffusion progressive du SUV/4x4 le rendra de moins en moins distinctif et la mode passera dès lors que les plus populaires y auront accès (d'abord via le marché de l'occasion, puis via le marché neuf quand on vendra davantage de SUV de gamme inférieure).

De la même façon que le monospace ou le break ont connu une heure de gloire, il devrait en être de même pour le SUV, même si cette mode pourrait être plus courte, si les politiques publiques s'en prennent à un véhicule qui est fortement polémique.

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