Si plusieurs pays d'Europe comme la France ont pris ou s'apprêtent à prendre des mesures de déconfinement de leur population, la perspective d'un redémarrage du transport aérien n'est pas encore pour demain. La reprise sera longue et progressive. Les obstacles aux voyages seront en effet trop nombreux pour une reprise en "V" (avec un rebond immédiat aussi fort que n'a été la crise), comme l'espéraient il y a encore récemment les compagnies aériennes en se basant sur les courbes de trafic qui avaient suivi certaines crises précédentes.
Récession et restrictions de voyages : un cocktail explosif
A l'impact très lourd de la récession économique sur la demande de transport, vont s'ajouter la défiance des passagers pour les voyages en avion, mais aussi les craintes des Etats à ouvrir leurs frontières, même quand l'épidémie sera vaincue. Résultat : le redémarrage sera plus lent que prévu il y a encore trois semaines. Et il se fera par étapes. "D'abord les marchés domestiques, ensuite régionaux, puis intercontinentaux", a expliqué ce mardi Alexandre de Juniac, le directeur général de l'association internationale du transport aérien (IATA), lors d'une conférence de presse téléphonique.
"Nous prévoyons désormais une ouverture des marchés domestiques au troisième trimestre 2020 (juillet-septembre), mais l'ouverture des marchés internationaux sera plus lente car il semble probable que les gouvernements maintiendront ces restrictions de voyage plus longtemps", a précisé Brian Pearce, le chef économiste de IATA.
Dégringolade de 55% du chiffre d'affaires du secteur
Conséquence : la perte de chiffre d'affaires prévue pour l'ensemble du secteur du transport aérien en 2020 sera encore plus lourde que prévu. Evaluée à 252 milliards de dollars il y a trois semaines, elle est désormais estimée à 314 milliards de dollars, en chute de 55% par rapport à l'an dernier.
"Les prévisions du secteur s'assombrissent de jour en jour. L'ampleur de la crise rend une reprise en "V" peu probable. La courbe sera plutôt en "U" (une chute suivie d'une stagnation avant la reprise, Ndlr)", a déploré Alexandre de Juniac, en prévoyant néanmoins une forte reprise en 2021.
En France, les compagnies aériennes pourraient néanmoins réamorcer la pompe à partir du mois de juin. Encore faut-il qu'il y ait des passagers.
"C'est davantage une problématique de demande que d'offre. Nous pouvons redémarrer en juin pour autant qu'il y ait des passagers prêts à prendre l'avion", explique Alain Battisti, le président de la Fnam, la fédération nationale de l'aviation marchande.
La confiance sera un élément clé pour le redémarrage du trafic aérien mais la restaurer reste un défi pour tous les acteurs du transport aérien. Comment faire en effet pour que les passagers remontent à bord des avions sans craindre d'être contaminés par le Covid-19 (ou d'être placés en quarantaine à l'arrivée), mais aussi que les pays soient convaincus d'ouvrir leurs frontières sans craindre de relancer une seconde vague d'épidémie liée à l'importation de cas contaminés ?
Ces deux questions appellent une multitude d'autres interrogations aux réponses aussi complexes les unes que les autres.
Faut-il prendre la température des passagers au départ et à l'arrivée et, si oui, de quelle manière? Doivent-ils disposer d'un passeport sanitaire garantissant leur bonne santé ? Devront-ils porter un masque à bord des avions ? Et si oui, lequel ? Faudra-t-il, par ailleurs, laisser un siège vide entre chaque passager pour respecter la distanciation sociale ? Et sur ce point, comment l'organiser dans les aéroports où les files d'attente se succèdent? Ou faut-il tester tous les passagers comme vient de commencer de le faire la compagnie de Dubaï Emirates.
Politique coordonnée
Une chose est sûre. Les réponses devront être coordonnées et harmonisées, d'abord au niveau régional, puis au niveau mondial. Cela prend du temps et c'est pour cela que la reprise sera graduelle et commencera d'abord par les marchés domestiques. En Europe, la France cherche à fédérer les pays de l'espace Shenghen sur un certain nombre de pratiques qu'elle entend proposer la semaine prochaine, avant de les généraliser ensuite à l'ensemble de l'Union européenne.
"La levée des contrôles aux frontières internes de l'UE doit se faire de façon coordonnée, et la réouverture des frontières extérieures, dont la fermeture doit être prolongée jusqu'au 15 mai, doit se faire dans un deuxième temps", préconise la Commission.
Hausse des coûts liée aux mesures de protection sanitaire
Comme ce fut le cas pour le renforcement considérable des mesures de sûreté après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les mesures de protection sanitaire qui se profilent auront un coût économique pour les compagnies aériennes. Le réaménagement des aéroports devra en effet être financé et risque de passer par l'instauration de nouvelles redevances. Laisser un siège vide entre deux passagers d'une même rangée sera également lourd de conséquence pour les compagnies aériennes. Il reviendrait à ne pas commercialiser un tiers de la capacité de l'avion sur des avions court et moyen-courriers de type A320 ou B737. Aussi, si cette pratique semble nécessaire pour rassurer les passagers, elle aura du mal à s'installer dans la durée pour des raisons de rentabilité. L'équilibre économique d'un vol est en effet généralement atteint avec un coefficient d'occupation de 75 à 80%. Sauf à augmenter les prix. Ce qui est possible sur les lignes à fort potentiel de clientèle affaires, mais beaucoup moins sur les lignes touristiques.
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