"Personne dans l'aérien n'avait vu cette crise venir", concède Alain Battisti, président de la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers ainsi que de la compagnie Chalair. Là où les compagnies aériennes tablaient sur un baril de Brent entre 70 et 85 dollars avec un euro à 1,11 dollar avant la guerre en Ukraine, elles doivent désormais composer avec un cours très volatil fluctuant depuis deux semaines entre 100 et 130 dollars, pour un euro qui a glissé sous la barre des 1,10 dollar.
Pour faire face à cette nouvelle crise, mais aussi aux conséquences encore très tangibles de la pandémie, aux enjeux de la transition écologique et au déficit de compétitivité du transport aérien français, la Fnam a donc appelé à la mise en place d'une stratégie nationale et a soumis des propositions aux candidats le 4 mars. Leurs réponses seront publiées à la fin du mois sur une plateforme dédiée.
Déjà fragile structurellement avant la pandémie - comme l'illustrent les faillites de XL Airways et Aigle Azur en 2019 ou son passage sous les 40% de part de marché - le pavillon français est aujourd'hui chancelant face à cet enchaînement de crises.
Comme l'indiquait dans nos colonnes il y a quelques jours Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair mais également vice-président de la Fnam dont il préside la Commission des affaires transverses, la profession se tourne donc à nouveau vers l'Etat. Mais contrairement à ce qu'il a pu se passer depuis deux ans, la Fnam veut désormais une action dans la profondeur avec un "Etat stratège", bien plus que des mesures d'urgence.
Un quinquennat inachevé
Cette volonté transparaît assez largement dans le bilan que dresse Alain Battisti sur le quinquennat qui s'achève. Le président de la Fnam insiste fortement sur l'importance du soutien de l'Etat, à travers des aides dédiées ou générales, au plus fort de la crise du Covid qui a permis aux compagnies françaises d'être encore vivantes aujourd'hui.
Mais il se montre assez critique sur le bilan global, jugé faible après "être parti d'un bon pied" avec les Assises du transport aérien en 2018. Selon lui, le travail qui avait pu être fait à l'époque par l'ensemble des acteurs n'a abouti à aucune mesure d'ampleur que ce soit en matière de simplification, de régulation ou de transition environnementale... si ce n'est un "alourdissement de la fiscalité", toute ambition de réforme ayant été stoppée avec la crise du Covid après avoir été freinée par l'épisode des gilets jaunes.
A partir de ce constat, la Fnam demande une révision structurelle du financement des activités régaliennes. Elle veut ainsi que la charge des coûts de sûreté et de régulation soit transférée sur le budget général de l'Etat et non plus uniquement sur les passagers à travers le système de taxes actuel. Pour le syndicat professionnel, le déséquilibre de ce système a été mis à nu pendant la crise : la chute du trafic pendant les deux ans de crise a entraîné l'accumulation d'un déficit de trois milliards pour le financement de ces activités régaliennes, à savoir 1,5 milliard d'euros sur les redevances de la navigation aérienne et 800 millions de taxe d'aviation civile (principales sources de financement de la Direction générale de l'aviation civile), ainsi que 700 millions d'euros pour la taxe d'aéroport (qui finance la sûreté et sécurité).
Un déficit de trois milliards d'euros à absorber
En plus d'une réforme, compagnies aériennes comme aéroports demandent une prise en charge par l'Etat de ces trois milliards d'euros pour se prémunir d'une "augmentation galopante des taxes", telle que la décrivait Thomas Juin en février. Le président de l'Union des aéroports français (UAF) notait alors que le plafond de la taxe d'aéroport avait déjà été relevé, tandis qu'Alain Battisti pointe l'augmentation de 22 % du tarif des redevances de route par la DGAC. L'un comme l'autre craignent que le recouvrement de ces milliards perdus pèse uniquement sur leurs trésoreries avec pour conséquence une répercussion sur le prix des billets.
Si on y ajoute l'inflation due à la hausse des coûts carburant, les compagnies aériennes vont devoir piloter avec finesse l'évolution de leurs tarifs pour couvrir leurs coûts et limiter le risque de casser la demande. Pour Marc Rochet, directeur général d'Air Caraïbes et président de la Commission économie et compétitivité de la Fnam, n'importe quel marché se contracterait face à 15 à 20 % d'augmentation tarifaire.
En parallèle, la Fnam demande aussi la simplification du code de l'aviation civile en relation avec la règlementation européenne pour limiter l'empilement de mesures, ainsi que le plafonnement des cotisations sociales employeurs pour les travailleurs mobiles, afin de les conserver face à une forte concurrence internationale.
Il n'y pas que les constructeurs en France
Toujours dans une optique structurelle, la Fnam demande plusieurs dispositions pour soutenir la transition écologique du transport aérien. Alain Battisti rappelle que les industriels ne sont pas les seuls acteurs de cette transition en France, tandis que Marc Rochet appelle à des solutions rapides plutôt qu'à des projections sur 15 ans. La fédération souhaite donc la structuration et le développement par l'Etat d'une filière de production de carburant d'aviation durable (SAF) avec un investissement massif à travers France 2030, mais aussi la mise en place de mécanismes d'incitation (crédit d'impôts, exonération fiscale...) à l'image de ce qui est fait aux Etats-Unis et en Allemagne.
Les différents patrons de compagnies estiment qu'une fiscalité incitative s'avérerait plus efficace pour développer l'utilisation des SAF, en permettant d'absorber une partie du surcoût par rapport au kérosène (trois à cinq fois moins cher), que les seuls mandats d'incorporation mis en place par la France (1 % depuis cette année), puis par l'Europe (2% à partir de 2025, 5 % en 2030). Ils pointent d'ailleurs le fait que les distributeurs (sur qui reposent les mandats) seront incapables de fournir les 1 % de SAF exigés cette année. Ces derniers devront donc s'acquitter de pénalités en conséquence qui seront répercutées sur les compagnies.
Une autre demande porte sur le fléchage des recettes issues des taxes environnementales. La Fnam souhaite que ce produit soit affecté directement à la transition écologique du secteur et non au budget général. Cet argument avait été déjà été fortement employé au moment de la Convention citoyenne pour le climat, notamment pour s'opposer la mise en place d'une écotaxe. De même, le pavillon français appelle à la vigilance sur les distorsions de concurrence avec les compagnies non-européennes qui pourraient subvenir avec le Pacte vert européen.
Soutien à l'emploi et aux régions
Les deux derniers thèmes mis en avant par la Fnam sont l'accompagnement de l'emploi, avec par exemple la mise en place d'un fonds national de l'emploi (FNE) dédié à la formation aux métiers du transport aérien, et l'importance du secteur pour le commerce extérieur, le tourisme et la continuité territoriale. Sur ce dernier point, Alain Battisti s'est notamment montré inquiet sur le financement des liaisons d'aménagement du territoire comme Thomas Juin avant lui. Il estime que le budget alloué à ces lignes sous délégation de service public doit doubler pour atteindre 60 millions d'euros, sous peine qu'aucune compagnie ne puisse les opérer à l'avenir.
Sujets les + commentés