Aéroports : "Il va y avoir une augmentation galopante des taxes" (Thomas Juin, Union des aéroports français, UAF)

Où en sont les aéroports deux ans tout juste après l'irruption de la pandémie de Covid-19 et l'effondrement du trafic aérien ? Dans une interview accordée à La Tribune, Thomas Juin, le président de l'Union des aéroports français, présente les perspectives pour l'année qui débute. Surtout, il présente les enjeux de la reconstruction du trafic : concurrence exacerbée, qualité de service, financement, double caisse, taxes et redevances... et en profite pour reposer le débat sur la régulation, qu'il juge désormais inadaptée à l'évolution du modèle économique des aéroports vers la sphère privée.
Léo Barnier
Thomas Juin, président de l'UAF, appelle à une évolution de la régulation des aéroports.
Thomas Juin, président de l'UAF, appelle à une évolution de la régulation des aéroports. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - L'année écoulée a été la première à être pleinement impactée par la crise survenue en mars 2020. Avez-vous dressé un premier bilan pour cette année 2021 ?

THOMAS JUIN - Pour rappel, en 2020, nous étions à 30 % de l'activité de l'année de référence, 2019 (calculée en nombre de passagers commerciaux, NDLR). En 2021, nous devrions être entre 35 à 40 %. Avec ces chiffres, on se dit que ce n'est guère mieux. Mais il y a un fait marquant en 2021 : c'est un redémarrage sans interruption à compter du mois de juin, en tout cas sur le segment domestique européen. Et ceci grâce à l'entrée en vigueur du pass sanitaire européen. Pour nous, c'était vraiment le sésame pour la reprise. Cela a permis une réelle coordination des États au sein de l'Union européenne.

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Quelles sont les perspectives pour 2022 ?

Pour 2022, nous estimons que nous devrions être à 70 % du niveau de 2019. Nous franchirons alors une marche vraiment plus importante. Nous sommes confiants, que ce soit au niveau des aéroports ou des compagnies, à deux mois du démarrage du programme printemps-été (d'avril à octobre, NDLR). C'est la période clef pour notre secteur, le moment où les compagnies aériennes dévoilent toutes leurs lignes et leur plein potentiel.

Même si nous sommes encore sur une baisse de 30 %, nous commençons à tendre vers cette année de référence. C'est difficile à dire mais, selon les estimations, le retour à un trafic équivalent à celui de 2019 est attendu en 2024. Il y aura des disparités en fonction des segments de trafic, avec un retour à la normale plus rapide sur le marché domestique européen que sur le marché international.

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Craignez-vous encore l'impact des restrictions sanitaires ?

Tout cela suppose, bien sûr, des règles sanitaires homogènes. C'est le cas dans l'Union européenne et maintenant avec le Royaume-Uni. Je le souligne car c'est un pays en provenance duquel nous avons l'une des premières clientèles étrangères en France. En temps normal, il y a à peu près 10 millions de passagers britanniques par an. Cette levée des restrictions est un point fort pour nous et pour les régions françaises, notamment dans le Sud-Ouest.

Nous considérons qu'il est temps à présent de lever aussi les restrictions pour les passagers en provenance des pays hors UE, du moins pour les passagers vaccinés. Nous pouvions le comprendre dans la situation d'hypercrise, avant le vaccin, quand nous n'avions pas de visibilité. Aujourd'hui, nous avons besoin d'avoir un mode opératoire qui permette, sous condition bien sûr, de pouvoir fonctionner avec l'épidémie. Il faut une simplification des règles afin que les passagers sachent à quoi s'en tenir. Pour l'instant, hors UE, c'est encore un domaine difficilement compréhensible.

Comment est-ce que vous voyez la reconstruction du trafic depuis l'été dernier ? Y a-t-il des changements importants, que ce soit dans la façon dont les compagnies construisent leur réseau, dans la mise en concurrence entre les différents aéroports européens...?

La compétition, qui est exercée depuis plusieurs années au sein de l'Europe, va s'exacerber avec la reconstruction. Vous avez deux éléments importants qui guident une compagnie aérienne. C'est bien sûr le marché potentiel : est-ce qu'il existe un marché potentiel pour ouvrir les lignes au départ de tel ou tel aéroport ? Puis quand ce marché est évident, elle va regarder le coût de touchée sur l'aéroport, puisqu'elle vend ses billets toutes taxes comprises et qu'elle va chercher à avoir des prix attractifs pour redonner l'envie de voyager. Si le coût de touchée n'est pas compétitif, elle peut se détourner de certains aéroports pour redéployer leurs liaisons sur d'autres pays.

Pour les aéroports régionaux, nous sommes en compétition principalement avec les pays du sud de l'Europe, l'Espagne, l'Italie ou le Portugal. Nous avons donc demandé à la DGAC de pouvoir actualiser l'Observatoire du coût de touchée, qui compare les différents pays concurrents à la France. Il est important de pouvoir vérifier que nous ne sortons pas de la moyenne européenne, ce qui nuirait à la re-connectivité de la France.

Et là, nous avons un gros sujet d'inquiétude : c'est la taxe d'aéroport.

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Pourquoi une telle inquiétude sur cette taxe en particulier ?

Je rappelle que la taxe d'aéroport est une taxe payée par le passager, dont le montant est fixé par l'Etat et qui permet de faire financer par le trafic la quasi-totalité des dépenses de sûreté et de sécurité sur les aéroports français. Soit à peu près un milliard d'euros par an avant la crise. En temps normal, cela peut paraître tout à fait compréhensible. Sauf que là, le trafic s'est effondré et la taxe aéroport ne suffit plus à payer ces missions de sécurité-sûreté, dont certains coûts sont incompressibles (maintenance, contrôle d'accès, amortissement des investissements...). Nous avons donc perçu des avances de l'Etat pour combler le manque, à hauteur de 700 millions pour les exercices 2020, 21 et 22. Ce qui ne devrait d'ailleurs pas suffire : nous estimons qu'il va manquer à la fin de l'année près de 130 millions d'euros.

En conséquence, un certain nombre d'aéroports sont obligés de prendre sur leur trésorerie pour financer ces dépenses. Puis, il va falloir bien sûr rembourser ces avances, sur sept ans à partir de 2024. Nous devrons assumer en parallèle le retour à la normale des coûts avec la reprise du trafic, soit un milliard d'euros par an, et le remboursement de près d'un milliard supplémentaire au moment où nous serons à peine rétablis. Nous allons donc aboutir à une inflation galopante de la taxe d'aéroport qui va dégrader la compétitivité.

Pour 2022, il y a déjà eu une augmentation de 14 à 15 euros du plafond censé éviter l'envolée de la taxe d'aéroport sur les plus petits aéroports, dont le trafic ne suffit pas à financer intégralement le coût de la sûreté-sécurité. Un fond de mutualisation vient ensuite compléter le financement.

Cela commence juste, mais la taxe d'aéroport va nécessairement augmenter dans les prochaines années. A terme, nous estimons que la fiscalité va augmenter de près de 50 %. Et cela s'ajoute à toute une autre série de taxes.

Fin 2020, vous aviez demandé la possibilité que l'Etat prenne en charge une partie de la taxe d'aéroport...

Nous avions demandé des subventions compte tenu du caractère inédit de cette crise, afin de compenser l'absence de recettes due à l'effondrement du trafic, mais l'Etat a fait le choix des avances. Mais au-delà de ça, compte tenu du niveau des coûts de sûreté, nous demandons qu'il y ait un partage du financement et que l'Etat prenne sa part, notamment sur les investissements pour éviter une inflation galopante de cette taxe d'aéroport.

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Toujours sur l'évolution des coûts de touchée, mais cette fois sur les redevances aéroportuaires qui sont fixées par les aéroports : vous avez exposé, lors de l'assemblée générale de l'UAF en novembre, la nécessité pour les aéroports de reconstituer leur capacité financière. Y a-t-il des augmentations significatives de ces redevances pour l'année en cours, afin de permettre aux aéroports de compenser justement la perte de trafic depuis 2020 ? Est-ce qu'il y a tout de même une modération tarifaire ?

Après cette crise, il est temps d'ouvrir des discussions plus sereines et constructives avec les compagnies aériennes plus sereines et constructives. Un aéroport veillera toujours à rester compétitif par rapport à ses concurrents. Il ne va pas se mettre lui-même en situation de dégrader sa connectivité et son trafic. Et il y a quelques années, une analyse du cabinet Arthur D. Little, que nous avions mandaté, faisait ressortir que nous étions extrêmement compétitifs sur les redevances au niveau européen.

Ensuite, les aéroports sont pour la plupart des entreprises. Et même s'ils sont publics, ils ont des objectifs financiers. Sans aide spécifique, les aéroports ont fait des emprunts pour assumer leur fonctionnement et poursuivre leurs investissements indispensables pendant la crise. Il y a donc un endettement massif, sans précédent.

Comme les compagnies aériennes, nous nous devons de pouvoir financer nos coûts de fonctionnement et rembourser notre dette après cette crise. Nous allons devoir nécessairement facturer le service au juste prix.

Est-ce que vous avez quelques tendances sur les augmentations de redevances qui pourraient avoir été actées ? Pour ADP, on parle de 1,5 % d'augmentation.

Il y a eu l'homologation des tarifs pour trois ou quatre aéroports déjà avec quelques tendances (*). Après, il faut apprécier l'évolution des tarifs au cas par cas. Et puis il y a un manque d'harmonisation : il est important que tous les aéroports français régulés soient logés à la même enseigne avec une double caisse (système de double comptabilité qui sépare les activités aéronautiques et les commerciales, NDLR), du moins une caisse aménagée, déjà en vigueur sur un certain nombre d'aéroports.

Les redevances aéronautiques sont là pour financer le coût des installations aéronautiques. Nous avons bien vu pendant cette crise que lorsque les recettes extra-aéronautiques se sont effondrées avec la fermeture des commerces, nous n'avons pas partagé les coûts avec les compagnies aériennes. Les aéroports ont dû assumer la poursuite de leur fonctionnement, leurs investissements. Nous avons toujours dit qu'il fallait avoir une caisse aménagée pour vraiment avoir la transparence sur les coûts et que chacun sache ce qu' il finance.

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Vous faites donc de la caisse aménagée, qui n'est pas en vigueur à Bordeaux ou Marseille par exemple, un préalable pour attirer des financements privés ?

Oui clairement, même s'il y aurait quand même des investissements privés. Mais avec cette crise que nous avons subie, ces investissements ne sont pas encore d'actualité. Au-delà de l'attirance, il faut déjà de l'harmonisation entre les aéroports.

Cela pourrait être une harmonisation vers la caisse unique ?

Il faut une cohérence entre le mode de gestion des aéroports et le modèle économique. Je comprendrais la caisse unique si nous étions sur des aéroports publics avec l'Etat qui assume la gestion et finance les dépenses d'investissement. Là, le chemin a été fait vers la privatisation. Les aéroports sont des entreprises et nous en avons eu la preuve pendant la crise, où elles ont dû assumer par des emprunts, par des prêts, par des levées de fonds.

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Vous avez appelé à une évolution de la régulation autour des questions de la juste rémunération du capital, des aides publiques à l'investissement, ainsi que de la reconstruction d'un cadre économique et social par l'Etat. Pourquoi ?

Le modèle économique des aéroports est en train de changer. Cela renvoie à la régulation pour les plus grands aéroports : il est temps maintenant d'ouvrir véritablement la réflexion par rapport à cette régulation. Il faut notamment y intégrer tous les investissements à venir en termes de développement durable, puisque les exploitants aéroportuaires vont devoir assumer leur transition écologique avec la réduction des émissions carbone de leurs activités au sol.

Pour atteindre la neutralité carbone de ces activités, on estime les coûts d'investissement entre 500 et 800 millions d'euros. Comment les finançons-nous ? Dans les échanges que nous avons sur le fait d'avoir une caisse aménagée, une caisse unique ou autre, il va bien falloir trouver à un moment donné des ressources pour financer tout cela. Il y a aussi la modernisation des aéroports pour améliorer la qualité de service et la fluidité. Aujourd'hui, tous ces coûts ne sont pas dans la redevance d'atterrissage ou dans la redevance passager... Il va falloir les intégrer dans le débat de la régulation.

Et puis il y a un autre sujet, dont on ne parle pas du tout aujourd'hui et qu'il est temps de préparer, c'est l'accueil de l'avion du futur. On se réjouit que dans le plan d'investissement France 2030, qui a été présenté par le gouvernement, il y ait tout un volet consacré à la recherche aéronautique pour arriver à un avion bas carbone, voire zéro carbone, avec plusieurs hypothèses à moyen et long terme. Par contre, rien aujourd'hui n'est écrit, dit ou évalué sur la préparation des aéroports pour accueillir cet avion de demain.

C'est un sujet qui va devoir associer les fournisseurs d'énergie pour l'électricité et l'hydrogène, avec toutes les installations et tous les réseaux qu'il va falloir pour raccorder les aéroports, les constructeurs d'avions pour pouvoir être dans un calendrier qui soit compatible, les compagnies aériennes bien sûr, et les pouvoirs publics. Il faudrait ajouter un volet dédié aux aéroports dans "France 2030" car les coûts seront très importants. Cela paraît être du bon sens.

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C'est donc à la puissance publique de financer ces évolutions ?

Nous savons que les États qui sortent de cette crise ne vont pas avoir des finances publiques dans la meilleure forme possible. Nous ne nous faisons pas d'illusions : le financement public ne sera pas forcément au rendez-vous et il va falloir des financements privés pour assumer tous ces coûts de l'aéroport de demain. Il faut donc que nous ayons des aéroports attractifs, avec une juste rémunération du capital qui permette d'attirer des investisseurs mondiaux.

Il faut en tenir compte dans la régulation, mais aussi dans la taxonomie européenne (définie dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe, NDLR). Il faut que les investissements pour la transition écologique des aéroports soient bien considérés comme des financements verts. Si ce n'est pas le cas, nous serons confrontés à une situation très compliquée pour financer cette transition.

À la fin de l'assemblée générale de l'UAF, en novembre dernier, le ministre délégué aux Transports Jean-Baptiste Djebbari avait annoncé le lancement d'une réflexion sur la régulation. Est-ce que vous avez plus de précisions sur d'éventuelles avancées ?

Pas pour le moment. Il n'y a pas aujourd'hui de réflexion sur le sujet. Nous avons plutôt des fortes inquiétudes concernant ce que j'ai indiqué sur les coûts à venir pour les aéroports. Nous avons l'impression que ceci n'est pas considéré par l'autorité de régulation indépendante (ART) et que la vision de cette dernière, c'est que les aéroports français sont finalement des acteurs publics. Les aéroports régulés sont pourtant passés dans la sphère de l'entreprise et sont confrontés à part entière à la réalité du privé.

La vision aujourd'hui de l'aéroport me semble erronée. On ne peut pas d'un côté avoir un Etat qui décide de privatiser les aéroports et, d'un autre côté avoir un raisonnement qui s'apparente à celui d'une sphère publique avec un impératif de modération tarifaire. Ce qui est important, c'est qu'un aéroport puisse assumer ses coûts. Donc, cela dépend des investissements qu'il a réalisés. Il peut y avoir à certains moments des redevances qui n'évoluent pas, voire qui baissent. On l'a vu dans le passé, mais il peut y avoir aussi des prix qui augmentent en fonction de la nécessité de réaliser des investissements.

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Vous avez mentionné les investissements pour la qualité de service et la fluidité, deux éléments mis à mal par les contrôles sanitaires. Comment voyez-vous la situation au moment où le trafic se reconstruit ?

Il y a notamment le sujet du contrôle aux frontières qui va se durcir, en particulier aux frontières extérieures de l'Europe avec les nouveaux contrôles qui vont être instaurés (avec la mise en place du système d'entrée/sortie, dit EES, NDLR). La bonne nouvelle, c'est qu'ils sont reportés juste après l'été. Par contre, cela n'enlève pas l'inquiétude très forte que nous avons sur le sujet.

Je rappelle que ces contrôles aux frontières sont effectués par l'État, soit par le ministère de l'Intérieur pour grosso modo tous les grands aéroports soit par les agents des douanes pour les plus petits. Ce qui est indiqué, c'est que le temps de contrôle pour le passager va doubler avec toute une série de formalités supplémentaires dues à l'EES.

Pour éviter ce doublement, l'Etat a prévu des kiosques de pré-enregistrement. Ces bornes n'empêcheraient tout de même pas une augmentation de 20 % des temps de contrôle actuels, et nous estimons que c'est sous-évalué. Pour les aéroports sans kiosque, le temps sera bien multiplié par deux, hormis s'il y a une évolution des effectifs sur les plateformes.

Cela vient s'ajouter à une situation que vous jugez déjà dégradée...

Nous constatons une dégradation des délais de contrôle aux frontières dans les aéroports français depuis plusieurs années. Ça a d'ailleurs été le cas l'été dernier, particulièrement sur les aéroports parisiens avec plusieurs heures d'attente sur certains vols. Nous craignons de devenir au fil du temps les cancres de l'Europe sur les temps d'attente. La France ne peut se résoudre à rester dans cette situation.

Nous avons engagé un dialogue avec le ministère de l'Intérieur, ce qui est une très bonne avancée. Par contre, dans les échanges que nous avons pu avoir et surtout au vu des infos dont nous disposons, nous considérons qu'il y a encore du chemin à parcourir. Avec l'arrivée de l'EES en septembre, nous ne voyons pas comment les objectifs de temps pour les contrôles aux frontières - fixés en 2017 par le premier ministre à 45 minutes maximum pour les ressortissants de pays tiers - seront respectés.

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De fait, que demandez-vous au ministère de l'Intérieur ?

Premier point : simplifier les formalités au maximum. Bien sûr, c'est l'Etat qui décide, mais lorsque l'on voit les redondances dans les contrôles d'identité sur les aéroports, avec le passage au comptoir d'enregistrement, à la sûreté, puis à la police aux frontières, il y a vraiment un travail de simplification et de limitation des formalités à faire.

Deuxième point : adapter les effectifs à cette nouvelle situation. Le ministère de l'Intérieur nous dit qu'il n'y aura pas d'augmentation. Nous ne voyons pas comment, avec les effectifs actuels, nous allons pouvoir faire face au renforcement des contrôles.

Nous avions compris que le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'Europe avait pour corollaire de supprimer, ou du moins d'alléger les contrôles aux frontières intérieures. Qu'en est-il ? C'est un point essentiel dont personne ne parle. Nous demandons au ministère de l'Intérieur de redéployer des effectifs sur les contrôles aux frontières extérieures.

Les contrôles sont pourtant aléatoires pour les déplacements à l'intérieur de l'espace Schengen...

Plus ou moins. Je peux dire que sur les aéroports régionaux, ce n'est pas de l'aléatoire. Sur 2019 et sur 2021, il y avait véritablement des effectifs dédiés pour assurer ces contrôles. Certes, ce n'était pas sur tous les vols intra-européens, mais c'était systématique sur certaines destinations à l'intérieur de l'UE.

Troisième point fondamental : la technologie, la technologie, la technologie. Il faut permettre à ces bornes d'être utilisées à leur plein potentiel afin d'alléger les formalités lors du passage aux aubettes de police. Or, de ce que nous avons pu comprendre, ces bornes seront sous-utilisées du fait des doctrines du ministère de l'Intérieur. Nous pourrions faire beaucoup mieux pour réduire le temps de passage, voire aller vers le "smart border". C'est-à-dire un système technologique qui permet, dans certains cas, d'éviter le passage à l'aubette.

Ces discussions avec le ministère de l'Intérieur sont essentielles pour nous. La qualité de service des aéroports français dans les prochaines années dépendra avant tout de notre capacité à travailler intelligemment avec le ministère, le plus en amont possible, pour adapter les process à l'évolution de l'activité aéroportuaire. C'est un de nos plus grands défis, avec en ligne de mire les Jeux olympiques 2024.

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Vous aviez quelques préoccupations en ce qui concerne la reconstruction du trafic domestique, notamment autour de la réorganisation du groupe Air France et le recul de Hop!. Comment la voyez-vous aujourd'hui ? Est-ce que vous êtes plutôt rassuré par le déploiement domestique de Transavia ?

D'une façon générale, le domestique est un trafic qui se porte plutôt bien. Il est porté depuis dix ans par la croissance sur les lignes transversales, c'est-à-dire les lignes qui relient les régions entre elles, et il a été le premier à redémarrer pendant la crise.

Sur l'offre, nous assistons à une montée en puissance des compagnies low cost sur le segment France-Europe, dont les modèles s'imposent encore davantage après cette crise. Ces modèles permettent aussi, après crise, aux compagnies aériennes de repartir avec les coûts les mieux adaptés pour proposer des tarifs accessibles. C'est donc plutôt bien pour les aéroports français.

C'est le cas sur tout le territoire ?

Il y a une nuance pour les petits aéroports dotés de lignes de service public qui ne sont pas adaptées pour les avions de 150 à 200 sièges des compagnies low cost. Là, nous sommes dans une problématique différente et plutôt inquiétante.

Premièrement, il y a eu un renchérissement des coûts lors du renouvellement des délégations de service public pendant la crise. Au plus dur du choc, sur certains aéroports du Sud-Ouest, nous avons assisté à un quasi doublement des coûts.

Deuxièmement, il y a le départ de la compagnie Hop! de certaines lignes régionales. Il n'y a pas de secret : c'est la diversité de l'offre et la concurrence entre les compagnies qui permettront à ces régions d'évoluer vers de la connectivité. Aujourd'hui, nous observons plutôt un déficit d'offre sur ce segment de marché, ce qui explique aussi cette hausse des coûts sur les lignes de service public.

Pour avoir une note d'optimisme, je pense qu'à court ou moyen terme, avec les évolutions technologiques et notamment les avions hybrides, nous allons assister à de bonnes surprises sur ces aéroports. L'aviation bas carbone va démarrer avant tout sur les petites capacités et les distances courtes, donc régionales. Dans moins de 10 ans, le maillage aéroportuaire français sera un atout.

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Justement sur la suppression des lignes intérieures. Vous aviez posé un recours auprès de la Commission européenne ? Est-ce que vous avez des nouvelles de la procédure ?

Non, nous sommes dans l'attente de la décision de la Commission. Normalement, la loi (dite "Climat et résilience") doit s'appliquer à partir du mois d'avril avec un décret. Nous avons dit ce que nous avions à dire sur ce sujet et nous considérons que ce type de loi ne prend pas le problème à la hauteur de l'enjeu. Nous savons très bien que le report modal a déjà eu lieu pour l'essentiel, que ces lignes radiales depuis Paris ne sont plus en croissance, mais elles restent nécessaires.

Surtout, il n'y a eu aucune démonstration réalisée sur le fait que ces lignes intérieures représentaient un danger immédiat pour l'environnement. Leur fermeture, tel que prévu, n'aura pratiquement aucune incidence sur la réduction des émissions du transport aérien. D'autant que ces vols intérieurs sont compensés à 100 % (à partir de 2024, NDLR). C'est une obligation française. C'est quand même assez paradoxal que dans la même convention citoyenne, on dit que l'on compense intégralement, puis on interdit.

Le problème doit être traité au niveau du développement durable, avec un engagement massif des pouvoirs publics pour développer la filière de carburants aériens durables (SAF). L'UAF a demandé il y a très longtemps déjà que les objectifs soient rehaussés sur les obligations d'emport en SAF en Europe. L'enjeu est là.

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Vous avez des craintes sur beaucoup de lignes ?

La plus emblématique, c'est Paris-Orly - Bordeaux. Après, il y a d'autres liaisons, mais nous ne savons justement pas ce que va établir le décret. Aujourd'hui, il y a une décision administrative qui interdit les vols lorsqu'il y a un moyen alternatif à moins de 2h30. Demain, ça peut être 5h. J'ai même vu 6 heures en Europe sur certains programmes présidentiels.

Nous avons aussi fait ce recours pour avoir une visibilité puisqu'il se fonde sur un règlement européen qui était très clair. Nous avons besoin aujourd'hui de savoir comment nous travaillerons dans les prochaines années, et s'il y aura d'autres fermetures de lignes. Si c'est le cas, il faut que le droit puisse l'encadrer et que nous sachions à quoi s'en tenir.

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(*) En ce début d'année, l'Autorité de régulation des transports (ART) a homologué les tarifs de redevances des aéroports de Toulouse (+3,5 % en moyenne), de Paris-CDG, Orly et Le Bourget (+1,54 % en moyenne) et Marseille (+6,2 % en moyenne). Sur ce dernier aéroport, l'UAF précise que la hausse est largement due à une redevance temporaire pour préfinancer le projet "cœur d'aéroport" (jonction du T1 et du T2), sans laquelle l'augmentation moyenne aurait été de 1,63 %.

Léo Barnier

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Commentaires 4
à écrit le 16/02/2022 à 14:21
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En lisant "L'empreinte du dragon" (de Jean Tuan chez CL.C. Editions) vous découvrirez les dessous de la vente de l'aéroport de Toulouse à un intrigant chinois. Mais également comment les chinois copient les Airbus. Lecture édifiante et distrayante...

à écrit le 16/02/2022 à 11:54
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Ou est le souci? Tout sera tres cher et les gens n'auront plus les moyens de payer, alors ils resteront pres de chez eux, comme avant, ce qui n'empêchait pas le bonheur. C'est tout simplement la tentation de partir agitée par les médias qui pousse à...

à écrit le 16/02/2022 à 9:20
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Jusqu'à maintenant on poussait, publicitairement, les gens a la bougeotte pour rentabiliser ses soi-disant investissements, mais il est, dans l'ambiance du moment, d'éviter tout déplacement inutile!

le 16/02/2022 à 19:24
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Il parait même que les déplacements d'affaires vont peut-être devenir plus rares, disons moins fréquents, uniquement si nécessaire. La période covid a fait un peu évoluer les choses, il faudra s'adapter. Y a bien 35 ans que j'ai pas pris l'avion et n...

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