Flambée des prix du pétrole : pourquoi Ryanair est la compagnie la moins pénalisée

Après deux années d'une crise très dure, le transport aérien semblait enfin voir le ciel s'éclaircir devant lui. C'était sans compter sur l'embrasement dans l'est de l'Europe, avec la guerre russo-ukrainienne. Si l'impact de la fermeture du ciel russe reste limité, celui de la flambée des prix du pétrole est ravageur. Et en Europe, la chute de l'euro tend à amplifier le phénomène. Selon la taille des compagnies, le surcoût pourrait atteindre plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions d'euros en dépit des couvertures carburant. De quoi ruiner les efforts faits depuis deux ans pour baisser les coûts. En Europe, Ryanair est la compagnie qui dispose des "couvertures carburant" les plus efficaces. Explications.
Léo Barnier
La facture carburant va enfler de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions d'euros pour les compagnies aériennes européennes.
La facture carburant va enfler de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions d'euros pour les compagnies aériennes européennes. (Crédits : Reuters)

Pour toutes les compagnies aériennes, ce choc est absolument majeur, considérable, inimaginable..." Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair, ne mâche pas ses mots au moment de décrire l'impact de l'envolée des cours du pétrole sur le transport aérien. Il reprend ainsi volontiers l'analogie faite par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avec le choc pétrolier de 1973. Avec des pointes au-delà des 130 dollars cette semaine, le prix du baril de brent tutoie son plus haut niveau historique avec 147,50 dollars en juillet 2008. Un prix déjà en vigueur pour le kérosène, auquel s'ajoute pour les compagnies européennes l'impact négatif de la baisse de l'euro face au billet vert.

Avec la hausse du cours du pétrole, c'est le prix du kérosène qui s'envole. Pour illustrer cette envolée, Pascal de Izaguirre explique que le prix "spot" au matin du 9 mars est près de deux fois et demi plus élevé que celui sur lequel il s'est appuyé pour construire son budget. A la clef, un surcoût de plusieurs dizaines de millions d'euros sur l'année pour sa compagnie, mais la facture pourrait grimper à plusieurs de centaines de millions d'euros pour les grands groupes.

"Nous sommes inquiets parce que nous avons l'impression que la machine s'emballe et nous nous demandons où les prix vont s'arrêter. Il n'y a plus tellement de rationalité. Vous avez des banques qui vous parlent de 200 dollars le baril", Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair.

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Des couvertures pour limiter la casse

L'impact pourrait varier assez largement d'une compagnie à l'autre en fonction de sa taille et de son activité, mais aussi de son niveau de couverture. Ce système d'assurances contractualisées à l'avance vise à obtenir, pour des périodes futures, un prix du kérosène moins élevé que le prix du marché. Il se décline en divers instruments financiers que les compagnies utilisent, voire combinent (comme Easyjet par exemple) pour se protéger.

Schématiquement, parmi tous les instruments utilisés se distinguent les "swaps" et les "options". Les premiers fixent un prix à une échéance donnée. Si, à ce moment-là, le baril coûte plus cher, la compagnie ne paiera rien. Mais s'il est moins cher, elle n'en profitera pas et paiera le prix fixé dans le contrat avec la banque. Les options permettent de "caper" une trajectoire en établissant une fourchette de prix. Celle-ci a pour effet de limiter l'effet de l'envolée des cours du pétrole, mais aussi de profiter d'une éventuelle baisse du prix du baril dans une certaine limite.

Avec l'envolée des cours du baril, les compagnies ayant eu recours à ces assurances vont pouvoir limiter la casse, partiellement du moins. L'effet positif variera en fonction du type d'instruments, mais aussi des taux de couverture, c'est-à-dire la part de la consommation de kérosène anticipée sur l'année que les compagnies ont décidé d'assurer. Si elles sont couvertes à 50 %, elles devront payer le reliquat au prix du marché.

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Ryanair habillé pour l'année, Wizzair déplumé

Et sur ce point les compagnies sont loin d'être logées à la même enseigne. Aidée par sa trésorerie, Ryanair a fait le choix de se couvrir de manière extensive il y a peut-être un peu plus d'un an au vu de son prix moyen d'achat, explique Yan Derocles, analyste chez Oddo Securities. Elle est ainsi couverte à 100 % pour le trimestre en cours et à 80 % pour l'exercice à venir (qui débute le 1er avril). Ainsi, selon nos calculs, la compagnie a fait ce jeudi une économie de 40% sur la tonne de kérosène par rapport au prix "spot".

A l'inverse, Wizzair a fait le choix de ne pas recourir à des couvertures. La compagnie hongroise se retrouve donc pleinement exposée, même si des options ont été prises il y a quelques jours pour tenter de limiter la casse. Au vu du prix actuel du pétrole, l'effet devrait être limité mais le risque est important en cas de retournement du marché.

Easyjet est pour sa part assez bien couverte, à hauteur de 60 %. C'est aussi le cas des grands groupes : IAG est couvert à hauteur de 60 % sur l'année, tandis que Lufthansa est un peu au-dessus à 63 %.

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Air France risque de perdre 800 millions d'euros

Air France-KLM est dans la même échelle, malgré un changement de stratégie en la matière l'an dernier. Début 2021, le groupe français a abaissé son objectif de couverture de 80 % à 50 % du volume annuel consommé. Aujourd'hui, ce taux serait de l'ordre de 62 % sur 2022. Celui-ci est néanmoins dégressif sur l'année : lors de la présentation des résultats annuels, avant le début de la guerre en Ukraine, le directeur financier Steven Zaat présentait un taux de couverture de 72 % pour le premier trimestre 2022, mais seulement de 28 % pour le dernier.

L'effet positif était alors espéré autour de 470 millions d'euros, sur la base d'un baril oscillant entre 85 et 90 dollars. Si le cours du pétrole se maintient à des niveaux élevés, l'effet positif sera certes plus conséquent mais cela n'empêchera pas la facture totale d'exploser sur le reliquat.

Selon un observateur du transport aérien, en reportant le delta entre le prix du pétrole avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et celui de ses derniers jours - à environ 125 dollars le baril - sur la facture carburant d'Air France, le surcoût pourrait être de l'ordre de 800 millions d'euros sur l'année. De quoi gommer les effets des mesures d'économies attendus cette année, et ce en dépit des couvertures prises. Ce calcul n'est pas une prévision et l'importante fluctuation des cours (+ 4,2 % le 8 mars, -13,4 % le 9 mars, -3 % le 10 mars) peut sensiblement faire varier le résultat, mais il est représentatif du risque encouru par les compagnies aériennes.

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A être trop couvert, on s'expose

Pour une compagnie plus petite, le niveau est souvent moins élevé. Corsair est ainsi couvert à hauteur de 25 % sur l'année. "C'est mieux que rien, mais c'est faible", reconnaît Pascal de Izaguirre. Surtout le PDG estime que plus personne ne pourra se couvrir pour les prochains mois au vu des prix actuels du pétrole, des tarifs de couverture et la forte incertitude sur les cours. Et ce quel que soit l'instrument choisi. Il rappelle ainsi le revers connu par Air France en 2008 : avec la dégringolade du prix du baril qui était passé de 147 dollars en juillet à un peu plus de 40 dollars fin décembre, le système de couverture à long terme du groupe s'était retourné contre lui. Il n'avait pas pu bénéficier pleinement de la baisse des cours, avec un surcoût de plusieurs centaines de millions d'euros à la clef.

La durée des couvertures s'est d'ailleurs largement réduite depuis cette époque. De quatre ans à l'époque, Air France-KLM est passé à 24 mois glissants, puis à 12 l'an dernier. C'est aujourd'hui la durée standard pour les grands groupes européens, pratiquée par Lufthansa et IAG. D'autres compagnies low cost peuvent aller au-delà, à l'image de Ryanair avec une possible anticipation sur au moins deux ans. Easyjet se situe entre les deux.

Si la hausse des cours se maintient, la réduction du programme de vol peut s'avérer l'ultime recours des compagnies pour juguler la flambée de la facture carburant. Finnair, qui avait décidé de ne pas se couvrir et qui subit de plein fouet la fermeture de l'espace aérien russe aux compagnies européennes, a dû se résoudre à stopper la desserte de Hong Kong et Osaka et baisser certaines fréquences. C'est aussi le cas pour Wizzair qui vient d'annoncer la fermeture de vingt routes depuis Vienne.

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Vers une envolée du prix des billets

Cette envolée des coûts carburant aura indubitablement un impact sur le prix des billets. C'est ce qu'affirme Pascal de Izaguirre : "la hausse des tarifs est inéluctable et tous ceux qui vous diront l'inverse ne sont pas sérieux, ou vous racontent des bobards. Il n'y a pas un secteur qui ne peut pas répercuter la hausse de ses coûts de production. Surtout dans un contexte où tout augmente."

Le patron de Corsair affirme qu'il faudrait des hausses notables des prix pour compenser entièrement cette explosion de la facture carburant. Il prévient néanmoins que cela ne pourra pas être le cas sous peine de réduire la demande et casser la reprise. L'inflation devra donc être mesurée et progressive, sans espoir de récupérer l'intégralité des marges espérées avant la guerre.

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Un nouvel appel à l'Etat pour les compagnies françaises

Également vice-président de la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (Fnam), Pascal de Izaguirre en appelle donc au soutien public : "Je vous le dit franchement, nous allons encore nous retourner vers l'Etat. C'est évident que nous demandons au gouvernement que le transport aérien soit dans le plan résilience économique."

Dans ce marasme ambiant, Pascal de Izaguirre croit néanmoins un maintien de la demande. Si la hausse des prix des billets s'avère "raisonnable", il espère que cela n'aura pas d'impact direct sur ses lignes - affinitaires et touristiques. Sans verser dans l'optimisme, il espère que les destinations desservies par Corsair (Océan indien et Antilles), très éloignées de la zone de guerre, seront considérées comme "refuges" par les voyageurs. Il reste néanmoins méfiant, prévenant qu'il est impossible d'avoir des certitudes dans ces moments de tensions géopolitiques très fortes.

Léo Barnier

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Commentaires 4
à écrit le 12/03/2022 à 9:40
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Le cout des billets d'avion s'en trouvera impacté à la hausse. Un cout qui prendra enfin en compte les prémices de l'externalité négative. Et dire que beaucoup de compagnie ont fait voler leurs avions à vide pour conserver leur créneaux horaires ! Il...

à écrit le 11/03/2022 à 22:59
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Ça fait juste au moins 50 ans que les limites de la croissance ont été théorisées, mais il faut avoir le nez dedans pour y croire. Et encore on considère que c'est "inimaginable". C'est pourtant parfaitement rationnel, et nous ne sommes qu'au début d...

à écrit le 11/03/2022 à 19:52
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J'ai assez fustigé le transport aérien et le tourisme ( de masse) pour ne pas me "réjouir" un peu. Cependant j'eusse préféré que cela se passa de manière consciente, raisonnée et raisonnable....bien que je sache la raison avoir fort à faire avec l'...

à écrit le 11/03/2022 à 17:05
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Record a battre date de 2007.. push.. go.. go..!

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