Le devis de la transition énergétique du transport aérien s'alourdit : 10.000 milliards de dollars d'ici à 2050

Arriver au zéro émission nette d'ici à 2050 est un immense défi technique et industriel pour l'aviation, mais aussi financier. Et le devis tend à s'alourdir, même pour les solutions les plus matures comme les biocarburants et carburants synthétiques. Selon, le cabinet de conseil américain Bain & Company, les investissements pour couvrir l'ensemble des besoins du transport aérien mondial en 2050 en carburants durables dépasseront 10.000 milliards de dollars. Une facture que ne partage pas Guillaume Faury, le président exécutif d'Airbus. Explications.
Léo Barnier
La facture de la transition énergétique du transport aérien n'a pas fini de s'allonger.
La facture de la transition énergétique du transport aérien n'a pas fini de s'allonger. (Crédits : Regis Duvignau)

Il faudra investir 1.300 milliards de dollars dans les carburants d'aviation durables (SAF) pour espérer couvrir à peine 20% des besoins en carburant du transport aérien en 2050. C'est l'une des principales conclusions du rapport intitulé Les projets de décarbonation de l'industrie aéronautique vont-ils voler ? du cabinet de conseil américain Bain & Company. S'il est largement admis que le coût de la transition énergétique et environnementale du transport aérien va se compter en milliers de milliards de dollars, cette étude évalue la facture à un niveau sans précédent et laisse poindre un certain pessimisme. Il s'agit, selon elle, d'un « moonshot challenge » : très complexe, très cher et dans un laps de temps contraint.

« Il y a plusieurs étapes dans la séquence pour arriver au zéro émission nette en 2050. Le premier étage de la fusée, c'est pousser les SAF au maximum partout, sur court, moyen ou long-courrier, dès que c'est possible, c'est-à-dire en fonction de l'offre disponible. »

Ancien ingénieur aéronautique, désormais associé chez Bain & Company et co-auteur de l'étude, Jérémie Danicourt est convaincu de l'apport des carburants durables pour contribuer à la décarbonation du transport aérien et atteindre cet objectif désormais poursuivi par l'ensemble de la filière. Il prévient en revanche que l'enjeu de la disponibilité est majeur et que la somme de moyens, ne serait-ce que financiers, à déployer est colossale.

L'étude se base sur une croissance annuelle du trafic de 3 % en moyenne, ce qui nécessiterait avec les technologies actuelles de consommer 500 millions de tonnes de kérosène par an en 2050. Bien qu'elle rappelle que le premier enjeu est de diminuer la consommation, avec au moins deux nouvelles générations d'avions et de moteurs d'ici à 2050 pour générer une réduction significative, elle tente d'estimer les coûts nécessaires pour remplacer cette consommation carbonée par de nouvelles sources d'énergie non fossiles.

Plusieurs milliers de milliards de dollars

Et le constat est cinglant. Dans son scénario de base, si l'ensemble de l'industrie investit 1.300 milliards de dollars cumulés, la production annuelle en 2050 ne devrait pas dépasser 106 millions de tonnes, soit 20 % des besoins. En poussant le curseur à 4.500 milliards de dollars dans un scénario « agressif », la production pourrait passer à 350 millions de tonnes. Et lorsqu'il s'agit de couvrir l'ensemble des besoins, les investissements dépassent les 10.000 milliards de dollars sans y arriver totalement. Même avec une réduction significative de la consommation, l'effort à fournir resterait immense.

Les auteurs du rapport prévoient ainsi un bilan beaucoup plus lourd que dans d'autres prévisions faites jusqu'ici, comme celles de l'Association internationale du transport aérien (IATA) qui mise elle aussi énormément sur les carburants durables avec un besoin évalué autour de 370 millions de tonnes par an afin de contribuer aux deux tiers de l'effort de décarbonation en 2050. Lors de l'adoption de l'ambition du zéro émission nette l'an dernier, l'association avait évalué à près de 2.000 milliards de dollars - toutes technologies confondues - le coût brut pour atteindre cet objectif en totalité d'ici 2050 au niveau mondial. L'écart est conséquent.

Un différentiel de coût persistant

Si tant est que la filière arrive à déployer ces efforts massifs d'investissement pour résoudre le problème de la disponibilité, Jérémie Danicourt prévient qu'il y a un autre enjeu : celui du coût de production. « En regardant les différentes catégories de SAF, et même en étant relativement agressifs sur leur déploiement, nous arrivons toujours à un coût au moins deux ou trois fois plus élevé que celui que l'industrie a connu pour le kérosène dans les dernières années », explique-t-il.

Dans le détail, cela donne un prix du SAF entre 2,7 et 3,8 fois plus cher que celui du kérosène dans le scénario de base (1.300 milliards de dollars investis) et entre 2,4 et 3,2 fois dans le scénario de production maximal (10.600 milliards investis). Un constat que ne partage a priori pas Guillaume Faury, président exécutif d'Airbus. Lors d'une rencontre organisée avec l'Association des journalistes professionnels de l'aéronautique et de l'espace (AJPAE), il a rappelé « tout d'abord (que) les carburants fossiles vont devenir plus chers à long terme » et que « nous sommes au tout début de la vie des carburants durables, avec des prix de marché à horizon 5 ou 10 ans assez différents suivant les hypothèses ». Il a ensuite affirmé que selon un certain nombre de ces hypothèses « nous arrivons à des prix beaucoup plus proches que ce que l'on a sur les carburants fossiles ». Si Guillaume Faury admet que les SAF « vont rester plus chers pendant une décennie ou deux... ou trois », il voit un écart « raisonnable » de 20 à 50 % mais réfute l'idée qu'ils puissent rester trois à quatre fois plus cher comme actuellement.

L'hydrogène sans impact

Le patron d'Airbus ne doit d'ailleurs pas non plus goûter entièrement aux conclusions de Bain & Company sur l'hydrogène. Au-delà des difficultés pour porter les technologies à maturation et développer les infrastructures, le rapport lui prédit ainsi un impact très limité d'ici 2050, voire marginal : « Même si tous les turbopropulseurs et la moitié des jets régionaux d'aujourd'hui étaient remplacés par des avions à hydrogène (un scénario très optimiste), le changement ne concernerait que 2 % des passagers-kilomètres payants (PKP) et 4 % des émissions de carbone. » Jérémie Danicourt explique ainsi que l'usage risque d'être restreint au court, voire très court-courrier et que le remplacement des flottes va prendre du temps.

Certes Guillaume Faury reconnaissait volontiers lors du Paris Air Forum que l'impact de l'avion à hydrogène en 2050 sera limité, mais il croit fermement que « l'hydrogène est la technologie de la deuxième moitié du siècle ». Jérémie Danicourt est lui plus sceptique : « Même à plus long terme, nous ne sommes pas très optimistes parce que l'un des gros inconvénients de l'hydrogène est sa densité volumétrique : il prend beaucoup de place. Même si on le comprime, ou qu'on le liquéfie à -253°C, l'ordre de grandeur par rapport au kérosène est qu'il faut quatre fois plus de volume pour avoir la même quantité d'énergie. »

A cela, Bain & Company ajoute un prix de développement et d'installation élevé, de l'ordre de 50 à 65 milliards de dollars pour convertir une cinquantaine d'aéroports en Europe, ce qui ne permettrait de couvrir que 10 % du trafic continental et 1 % du trafic mondial. Et en termes de coûts de production, l'étude parle de 250 à 400 milliards de dollars pour 9 millions de tonnes d'hydrogène vert d'ici 2050, et ce qui ne couvrirait au maximum que 5 % du trafic mondial. L'hydrogène resterait ainsi entre 3 et 4,5 fois plus cher que le kérosène. Sans compter que la concurrence avec les autres secteurs pour en obtenir sera féroce.

Lire aussi : Carburants durables dans l'aviation : le Parlement européen durcit les objectifs

L'avion électrique, solution optimale ?

A l'inverse, le cabinet de conseil se montre très enthousiaste sur l'électrique et l'hybride-électrique. Jérémie Danicourt est convaincu que cela « aura un rôle important dans la décarbonation », principalement en raison de l'efficacité du système : « quand vous avez une source d'électricité verte ou en tout cas bas carbone, mettre cette énergie électrique directement dans une batterie et ensuite l'utiliser pour alimenter un moteur génère beaucoup moins de pertes en termes de rendement. »

Une affirmation qui peut surprendre. Tout d'abord parce que ces solutions sont habituellement envisagées pour le court-courrier (tout électrique) et éventuellement le moyen-courrier (hybride-électrique), comme le rappelait l'Institut Montaigne en janvier dernier dans son rapport Aviation décarbonée : embarquement immédiat. Celui-ci évoquait aussi le problème de la densité énergétique des batteries et du poids d'emport très élevé dès que la taille des avions grandit. Les deux études s'accordent sur le fait qu'il y a des progrès en cours dans ce domaine, mais celui de Bain & Company se montre plus enthousiaste sur les nouvelles technologies comme les batteries solides.

Ensuite, si le rapport de l'Institut Montaigne valide bien le meilleur rendement de l'électricité avec batterie, même par rapport au kérosène, ou au contraire le rendement dégradé des SAF, les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes. Pour les carburants synthétiques (3e génération de SAF fait à partir de CO2 et d'hydrogène vert), l'Institut Montaigne parle d'un rendement de 40 % quand Bain & Company descend à 18 % à peine.

Ces différentes études ont du moins le mérite d'alimenter le débat au moment où les choix stratégiques se dessinent. Et d'ailleurs, Jérémie Danicourt prévient que « c'est compliqué de tout faire en même temps. Nous recommandons à nos clients d'établir un scénario central, de faire des choix et de commencer dès aujourd'hui à allouer leurs ressources en fonction de ces choix. Mais c'est aussi compliqué d'avoir des certitudes, il faut continuer à regarder ce qui se passe au fur et à mesure dans les années qui viennent pour pouvoir éventuellement ajuster le tir. »

Léo Barnier

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Commentaires 9
à écrit le 19/12/2022 à 10:23
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C'est comme un gros éléphant, lourd mais d'un autre côté si gracile... il en est de même pour Babar bien que j'ai toujours préféré Guignol que j'allais voir au Théâtre de marionnettes du Jardin du Luxembour. Et vous y alliez-vous ?

à écrit le 19/12/2022 à 8:28
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Si l’on veut décarboner, il faut casser nos pratiques pour le transport: revenir à plus de sagesse; finies les balades de 500 km pour le week end, finies les vacances à l’autre bout de la planète! Le zéro émission des transports est une fake news pou...

à écrit le 19/12/2022 à 6:39
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Bonjour, le changement a un cout financiers... Mais nous pouvons aussi interdire le transport aériennes.... Sans etre extrémiste, ils me semblent important de reduire la pollution a tout les niveaux...

à écrit le 19/12/2022 à 4:04
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Bof le prix des billets augmentera beaucoup et cela réduira le tourisme de masse, le plus important est qu'on puisse continuer à voyager quoi qu'il en coûte.

à écrit le 17/12/2022 à 18:56
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En sciences, il y a peu des certitudes de définitives ou de certaines, et c'est encore plus vrai dans le domaine des prévisions et des modélisations, toutes catégories confondues.

à écrit le 17/12/2022 à 15:57
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Avec 10 000 milliards on peut faure autre chose que des avions.

à écrit le 17/12/2022 à 15:57
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Avec 10 000 milliards on peut faure autre chose que des avions.

à écrit le 16/12/2022 à 18:43
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Il faudrait surtout commencer par réduire la construction d'avion.

à écrit le 16/12/2022 à 18:24
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Il n'y aura jamais de zéro carbone pour l'aérien

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