Carburants durables dans l'aviation : le Parlement européen durcit les objectifs

Le lancement de l'initiative RefuelEU Aviation dans la foulée du Pacte vert européen rassemble assez largement sur le fond, à savoir favoriser l'émergence des carburants d'aviation durables en Europe, mais les débats restent agités sur la forme. Le Parlement vient d'adopter un texte avec des divergences marquées par rapport à la proposition initiale de la Commission : mandats d'incorporation, choix des carburants éligibles, mécanisme de flexibilité, fonds d'innovation... C'est désormais au tour des Etats membres de se saisir du sujet dans l'espoir d'un consensus.
Léo Barnier
Le Parlement européen s'accorde sur un mandat de négociation sur les carburants aériens durables et se prépare à entamer le dialogue avec le Conseil de l'UE.
Le Parlement européen s'accorde sur un mandat de négociation sur les carburants aériens durables et se prépare à entamer le dialogue avec le Conseil de l'UE. (Crédits : VINCENT KESSLER)

Le règlement Refuel EU Aviation vient de franchir une nouvelle étape. Lancé dans le cadre du paquet législatif européen "Fit for 55", il doit favoriser le développement des carburants d'aviation durables au sein de l'Union avec, entre autres, la mise en place de mandats d'incorporation minimale. Et sur ce point, conformément aux propositions adoptées fin juin par la commission des transports du Parlement européen, les députés européens sont allés plus loin que ce que souhaitait la Commission européenne. Le texte voté à une large majorité en séance plénière le 7 juillet à Strasbourg ouvre désormais la voie aux négociations entre le Parlement et le Conseil de l'UE (représentant les Etats membres) pour fixer le cadre définitif des SAF en Europe.

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Là où la Commission proposait des mandats d'incorporation de 2 % de SAF dans le total de carburant consommé en 2025 puis de 5 % en 2030, avant une accélération jusqu'à atteindre 63 % en 2050, le Parlement augmente d'abord légèrement le rythme (6 % en 2030) avant de se montrer bien plus ambitieux pour les décennies suivantes avec une obligation d'incorporation de 54 % en 2045 et 85 % en 2050. C'est aussi le cas pour l'intégration des carburants synthétiques (e-fuel ou power-to-liquid, issus de l'utilisation d'électricité et d'hydrogène décarbonés et de captation de carbone), qui disposent d'un mandat spécifique dès 2025. D'abord modeste en raison d'un niveau de maturité technologique encore faible et d'une disponibilité inexistante, ils doivent eux aussi montée en puissance après 2030, ils doivent être intégrés à hauteur de 27 % en 2040 et 50 % en 2045

Lors des débats préfigurant le vote, le rapporteur du texte, le député danois Søren Gade (Renew Europe) a salué "l'excellente proposition de la Commission [...] sage, simple et fonctionnelle". Ce qui ne l'a pas empêché de déclarer : "Nous proposons que les obligations soient largement élargies. Nous voulons avoir plus de SAF dans les avions que ce que propose la commission, et des obligations plus larges pour l'utilisation de carburant synthétique de source 100 % durable. Ces carburants synthétiques sont l'avenir et nous devons tenter d'améliorer leur déploiement aussi rapidement que possible."

Face aux critiques quant à un manque d'ambition de la Commission, la commissaire européenne à l'Énergie Kadri Simson a rétorqué : "RefuelEU Aviation sera la première législation à avoir des ambitions contraignantes pour tous les fournisseurs de carburant. C'est très ambitieux." Avant de mettre les députés en garde : "La proposition de la Commission tient compte de l'état actuel du secteur aérien, des développements attendus sur les importants besoins en électricité renouvelable et en hydrogène, des coûts additionnels pour les compagnies aériennes. Il faut faire preuve de prudence : imposer des objectifs d'e-fuel trop élevés risque de réduire la crédibilité notre système, de créer des pénuries d'approvisionnement imposant des pénalités conséquentes en cas de non-conformité à notre industrie (de l'énergie) ou faisant peser un fardeau financier disproportionné sur les compagnies aériennes."

Problème de définition

L'autre enjeu majeur du débat portait sur l'élargissement de la définition des SAF. Là où la Commission européenne proposait sur une définition restreinte basée sur la deuxième directive européenne sur les énergies renouvelables (RED II) publiée fin 2018, les députés de la commission des transports ont souhaité élargir le spectre avec l'intégration de "carburants liquides et gazeux produits à partir de gaz issus du traitement des déchets et de gaz d'échappement d'origine non renouvelable qui découlent inévitablement et involontairement de processus de production dans des installations industrielles". Il s'agit ainsi de pallier au potentiel encore limité des biocarburants listés dans RED II "en raison des contraintes liées à la disponibilité des matières premières, et leur chaîne d'approvisionnement et leur collecte ne sont pas toujours bien suivies".

Une disposition qui a hérissé le poil des députés verts, mais aussi des associations et des compagnies aériennes. Alliés de circonstances, Transport & Environnement et Easyjet ont ainsi adressé une lettre aux parlementaires pour revenir sur cet amendement, craignant notamment que cela ouvre la voie à l'utilisation de distillat d'acides gras de palme (PFAD). Dans le même crédo, les députés ont autorisé jusqu'en 2034 issus de graisses animales.

D'autres amendements excluent néanmoins "les biocarburants risquant fortement d'induire des changements indirects dans l'affectation des sols, tels que ceux qui sont dérivés de l'huile de palme", ainsi que ceux "produits à partir de cultures destinées à l'alimentation humaine ou animale".

De son côté, la commissaire Simson a estimé que ce changement de périmètre était un "élément critique" pouvant limiter l'efficacité de RefuelEU Aviation : "Etendre la définition des SAF pourrait retarder les investissements dans les carburants avancés et synthétiques. Nous avons besoin de très large volume de SAF à moyen terme, mais la qualité doit prévaloir sur la quantité."

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Initiatives parlementaires

Les députés ont aussi proposé la mise en place d'un mécanisme de flexibilité d'une durée de 10 ans à la place de la période transitoire de 5 ans voulue par la Commission. Il s'appuierait essentiellement sur un système de "book & claim", selon lequel une compagnie achète du carburant durable et ne l'utilise pas forcément directement. Celui-ci est introduit dans le système au plus près du lieu de production et utilisé par les acteurs sur place, l'acheteur recevant le crédit correspondant dans le calcul de son empreinte carbone. Cela doit permettre au système d'atteindre ses objectifs sans attendre que chaque plateforme dispose de son propre approvisionnement en SAF.

Ce qui a également suscité l'opposition de Kadri Simson : "Sur la période de transition, gardons à l'esprit l'objectif suivant : les SAF devraient être disponibles physiquement dans tous les aéroports le plus rapidement possible. Il n'y a aucune preuve qu'établir un système "book & claim", autrement dit un marché virtuel des SAF, puisse apporter un bénéfice ni qu'il n'y ait pas de risque."

Autre innovation du Parlement, la proposition de s'appuyer sur le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (UE ETS) pour réduire l'impact du surcoût lié à l'utilisation des SAF. Les députés ont ainsi proposé de "stimuler davantage l'utilisation de carburants durables d'aviation dans l'Union, [...] les compagnies aériennes devraient pouvoir demander des quotas à titre gratuit pour l'embarquement de carburants durables d'aviation dans le cadre du système d'échange de quotas d'émissions."

Les élus européens ont aussi acté la création d'un nouveau fonds dédié pour l'aviation durable de 2023 à 2050 afin de soutenir les investissements et l'innovation. Celui-ci serait financé par les pénalités liées aux défauts d'incorporation et par la moitié des recettes issues de la mise aux enchères des quotas dédiés à l'aviation dans le cadre l'UE ETS.

Sur ces points moins clivants, la commissaire Kadri Simson s'est montrée partagée. Elle a d'abord salué "l'accent placé par le rapporteur sur la nécessité d'avoir une réglementation harmonisée dans l'UE apportant des conditions de concurrence équitable pour l'aviation sur le marché interne européen" et le fait que "le régime de quotas pour l'aviation permettra de réduire cet écart de prix entre les SAF et les carburants fossiles". Puis, elle a estimé que "la création d'un fond dédié à la durabilité de l'aviation méritait une analyse plus approfondie".

La perspective générale du texte semble assez largement partagée dans les différents organes du pouvoir européen, l'industrie et les associations de défense de l'environnement. Mais le consensus final reste encore à trouver lors du trilogue à venir. Malgré un texte adopté à 334 voix contre 95, les points de débats restent donc nombreux comme l'ont montré les 153 abstentions en séance plénière.

Léo Barnier

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Commentaires 4
à écrit le 09/07/2022 à 16:46
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Ben drivé par Total, toutes les voitures des 24h du Mans on tourné avec un carburant 100% non fossile. C'est au point, suffit de le vouloir.

à écrit le 08/07/2022 à 12:20
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L’inconsistance est de fixer autoritairement des objectifs très élevés alors que les technologies ne sont pas là ou pas matures……

à écrit le 08/07/2022 à 7:33
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C'est vraiment n'importe quoi leur truc, soit c'est irréaliste (même les 63% qui étaient prévus de saf, pour la france, aujourd'hui ça ferait 1.5 fois la consommation française d'huiles végétales, quand aux carburants de synthèse, ça n'existe pas enc...

à écrit le 07/07/2022 à 20:58
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Un carburant durable, c'est un carburant qu'on ne consomme pas. C'est éviter de le mettre dans un quelconque moteur, dont les réacteurs d'avions.

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