Le e-commerce peut-il s'affranchir du transport aérien ?

DOSSIER E-COMMERCE. Dans un monde encore marqué par les restrictions de voyage pour les personnes, le cargo est en pleine croissance, dopé par l'explosion de l'e-commerce depuis le début de la crise. En dépit de fortes contraintes de capacités, les avantages offerts par l'aérien - tout particulièrement la rapidité - en ont fait le mode de transport privilégié pour les transactions transfrontalières. Pourtant, d'autres critères pourraient venir remettre en cause cette domination sans partage, ou presque. Décryptage.
Léo Barnier
Si l'avion domine, le maritime et le ferroviaire ont des arguments pour capter la croissance de l'e-commerce.
Si l'avion domine, le maritime et le ferroviaire ont des arguments pour capter la croissance de l'e-commerce. (Crédits : Kuehne+Nagel)

En plein boom depuis quelques années, l'e-commerce a véritablement explosé pendant la crise sanitaire. Selon l'Association internationale du transport aérien (IATA), en 2021, le secteur a augmenté de 30 % par rapport à l'année précédente pour atteindre une valeur de l'ordre de 4.500 milliards de dollars. Son développement a pris plusieurs années d'avance sur les prévisions faites avant crise. En 2025, il pourrait ainsi tutoyer les 7.000 milliards de dollars. Et si la principale association mondiale de compagnies aériennes s'intéresse de près à ces chiffres, c'est que l'aérien s'est imposé comme le principal vecteur de transport international du e-commerce. Aujourd'hui relégués au second plan, le maritime et le ferroviaire pourraient encore avoir une carte à jouer.

Lire aussi 16 mnL'explosion du e-commerce fait décoller le fret aérien

Grâce à sa croissance phénoménale, l'e-commerce est rapidement devenu indispensable pour le fret aérien et représente désormais 18 % de ses revenus. Cette part devrait croître à 22 % cette année. Mais l'avion est également devenu indispensable au développement international de ce secteur : selon l'IATA, 80 % des envois transfrontaliers liés à l'e-commerce ont emprunté la voie aérienne en 2021. Le fret avionné a ainsi représenté 20 % de la valeur totale du secteur, soit près de 1.000 milliards de dollars. Et ce en dépit de problèmes de capacité encore importants, liés à la chute du trafic passagers (le transport en soute représente 70 % de la capacité du cargo aérien en temps normal) et à la difficulté pour les transporteurs de suivre le rythme de la croissance.

Lire aussi 16 mnL'explosion du e-commerce fait décoller le fret aérien

La vitesse avant tout

Cette domination s'explique par plusieurs facteurs propres au e-commerce pour lesquels l'avion offre un avantage incomparable face au bateau ou au train. Pour Eric Martin-Neuville, directeur général en charge du Freight forwarding de Geodis, est catégorique : la vitesse est aujourd'hui le critère majeur dans le traitement du e-commerce.

Cet avis est assez largement partagé par les autres transporteurs, notamment les spécialistes de l'express. Pour Philippe Prétat, PDG de DHL Express France, cette prédominance de la vitesse dans l'e-commerce tient à la volonté des particuliers souhaitant une livraison aussi rapide que possible. Il voit donc un trafic largement drainé par l'aérien, capable d'offrir une célérité impossible à atteindre par bateau.

De fait, plusieurs transporteurs viennent de basculer dans l'aérien pour capter le potentiel de croissance de l'e-commerce. CMA CGM, spécialiste du transport maritime, a lancé un service aérien il y a tout juste un an avec quatre Airbus A330-200F, qui seront renforcés par deux Boeing 777F au printemps. Et le groupe a commandé quatre A350F neufs, qui seront livrés après 2025. De même, la filiale de la SNCF Geodis exploite son propre Airbus A330 depuis l'été dernier.

Lire aussi 14 mnE-commerce : boosté par le Covid-19, jusqu'où peut-il s'imposer ?

L'environnement en ligne de compte

Tout en confirmant cette primauté de la vitesse, Jérôme Ovion, vice-président des Réseaux routiers de l'Europe du Sud pour Fedex Express et jusqu'à récemment en charge des opérations Hubs & transport, expose une vision un peu plus large dans les critères de choix des modes de transport pour l'e-commerce : "Nous voyons aussi beaucoup la fiabilité : quand vous annoncez une livraison en J+1, il faut le tenir. Enfin, l'environnement est un élément de discussion important avec nos clients, pas forcément avec le client final mais avec les expéditeurs."

Dans ce contexte de renforcement des considérations environnementales, l'avion pourrait pâtir de son empreinte carbone élevée. Il représente par exemple plus de 80 % des émissions de DHL ou encore émet environ 50 fois plus de CO2 au kilogramme transporté que le fret maritime.

S'il reconnaît volontiers que le critère écologique est de plus en plus considéré dans la sélection de mode de transport, Sebastian Wouters, directeur mondial pour le e-commerce chez Kuehne+Nagel, tempère quelque peu la pression qui en découle. Il explique que celle-ci dépend largement du comportement des consommateurs finaux, en perpétuelle évolution, et de leur propension à acheter à l'autre bout du monde. Le transport ne représente d'ailleurs que 5 à 10 % du bilan carbone de l'e-commerce selon le cabinet Carbone 4.

Lire aussi 5 mnEn lançant le 777-8F avec Qatar Airways, Boeing revient dans la course face à l'A350F d'Airbus

Rester compétitif

Quoi qu'il en soit, de plus en plus de sociétés mettent en place des solutions pour réduire leur empreinte écologique. C'est le cas chez les intégrateurs, qui gèrent les envois de bout en bout. Fedex a ainsi annoncé son intention d'être neutre en carbone en 2040, tandis que DHL vise 2050, avec plusieurs milliards d'euros d'investissement pour renouveler leurs flottes, acheter des carburants d'aviation durable, optimiser leurs opérations en vol et au sol.

Cela peut passer aussi par la consolidation des envois avec une expédition hebdomadaire plutôt que quotidienne, comme le note Sebastian Wouters. Mais ce dernier prévient que ces options ont un prix que les clients doivent accepter.

D'autant que cette dimension environnementale vient s'ajouter à l'envolée des prix du fret aérien pendant la crise. Selon l'IATA, le prix du kilogramme transporté au kilomètre s'est situé aux alentours des trois dollars en 2021, contre 1,8 dollar en moyenne en 2019. Malgré le retour progressif des capacités avec la reprise des vols passagers, les prix devraient rester aux alentours de 2,7 dollars en 2022.

Lire aussi 5 mnFret maritime : jusqu'à quand va durer la flambée des prix ? Geodis répond

Le bateau et le train ont d'autres avantages

Le bateau, qui joue sur la taille des volumes transportés pour réduire son bilan environnemental comme économique, pourrait donc tirer son épingle du jeu. Chez Geodis, Eric Martin-Neuville en est en tout cas convaincu : "Je pense que les grands opérateurs, les grandes plateformes sont obligées de regarder et je pense que pour des raisons d'écologie et pour des raisons économiques, nous allons avoir une transition modale vers le maritime pour une partie de leur offre."

Il est rejoint sur ce point par Sebastian Wouters. Le patron du e-commerce pour Kuehne+Nagel mentionne même une troisième voie avec le ferroviaire, notamment sur les marques haut de gamme. Celui-ci se développe notamment entre l'Europe et l'Asie, avec une croissance exponentielle depuis 2014. La Chine développe ainsi fortement ses infrastructures à coups d'importantes subventions, avec un organisation autour de hub et une multiplication du nombre de trains en service. "Cela offre une option intermédiaire entre la mer et l'air, avec deux fois la vitesse du maritime et la moitié du coût de l'aérien", précise-t-il.

Les deux hommes s'accordent sur le fait de ne pas opposer les différents modes de transport. C'est aussi le cas du côté de Fedex, Jérôme Ovion estime que la forte croissance de la demande se répercutera sur l'ensemble des modes de transport.

Lire aussi 8 mnE-commerce : « Sa puissance est imbattable, on ne peut ni l'arrêter ni la combattre » (Martin Piechowski, président de Chronopost)

Une répartition en fonction des clients...

Eric Martin-Neuville voit d'ailleurs de la complémentarité entre les modes de transport en fonction de la typologie des "e-retailers". En combinant la rapidité de transport à un faible besoin d'infrastructures, le transport aérien s'avère indispensable pour les vendeurs les plus petits fonctionnant uniquement en B-to-C : "leur modèle ne marche qu'avec un délai de livraison court. Je ne le vois pas diminuer et je ne pense que ce soit tellement influencé par l'aspect écologique."

A l'inverse, il estime que des acteurs de premier plan sont capables de s'affranchir au moins partiellement de l'aérien en pré-positionnant des stocks au plus près de la clientèle finale. C'est notamment le cas des plateformes mondiales telles qu'Amazon ou Alibaba, disposant de larges entrepôts à travers le monde. De fait, ces géants peuvent faire appel au maritime et au ferroviaire pour alimenter ce modèle B-to-B-to-C, le besoin de célérité ne se faisant sentir que pour les derniers kilomètres entre l'entrepôt intermédiaire et le client final. " Cela comporte un choix stratégique sur une valeur d'inventaire qui peut être très élevée", prévient tout de même le directeur du Freight forwarding de Geodis.

Lire aussi 7 mnLogistique du dernier kilomètre : comment le e-commerce transforme les villes

...et des produits

Pour Sebastian Wouters, le curseur entre les différents modes de transport dépend aussi fortement de la typologie des produits. Les e-commerçants positionnés sur les biens à faible valeur ajoutée privilégieront les solutions au coût le plus faible, tandis que l'industrie du luxe ou de la mode chercheront des solutions différenciantes avec un haut niveau de service. Il mentionne également des critères géographiques, dictés notamment par les infrastructures disponibles.

Le patron de e-commerce de Kuehne+Nagel mise donc sur la flexibilité entre les solutions aériennes et maritime pour répondre aux besoins de ses clients, notamment en cas d'imprévus ou d'évolution de la demande - donnée fréquente en e-commerce : "Parfois, il faut déplacer les choses du fret maritime au fret aérien à un coût plus élevé, voire affréter un avion. Nous faisons toutes ces choses en fonction de la situation et du besoin pour aider nos clients et nous avons ces options disponibles pour eux."

Kuehne+Nagel propose notamment une solution baptisée "Sea-Air", jouant sur les deux tableaux pour optimiser les coûts et les délais de transport. Typiquement un chargement partant d'Asie pourra rejoindre le Moyen-Orient par bateau avant d'y être transféré sur un avion pour éviter le long et coûteux passage du canal de Suez.

Retrouvez le meilleur de notre dossier e-commerce :

Léo Barnier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.