Après une semaine agitée sur le plan social, marquée par les grèves chez Aéroports de Paris et à la SNCF, Clément Beaune a choisi la gare de Lyon pour sa première sortie en tant que ministre délégué en charge des Transports. Entre visite des centres opérationnels, démonstration de SNCF Connect et échange avec les voyageurs en ce premier jour de vacances, celui qui jusqu'ici ne s'était occupé que des affaires européennes au sein du gouvernement a eu l'occasion de se frotter une première fois aux syndicats de la SNCF à l'occasion d'une rencontre a priori fortuite.
La séquence ne semblait pas vraiment organisée, sans doute un peu redoutée, mais elle s'est déroulée sur un ton cordial. A la sortie d'une visite du centre opérationnel de SNCF Voyageurs, en compagnie de son PDG Christophe Fanichet, le nouveau ministre a été interpellé par Fabien Villedieu, délégué syndical Sud-Rail, et quelques-uns de ses camarades.
Déficit d'attractivité
Au cours de cet échange, le représentant syndical a insisté sur le problème d'attractivité de la SNCF pour recruter depuis la suppression du statut de cheminots pour les nouveaux entrants avec la réforme de 2018, appuyé par l'un de ses collègues : "Sur les embauches, nous avons perdu la moitié des candidatures en dix ans. Pour faire un cheminot, il fallait 1.000 personnes qui se présentent. Aujourd'hui, nous n'en avons plus que 500". Fabien Villedieu a également déploré le départ de conducteurs et de techniciens expérimentés et les embauches non-réalisées en 2021, créant selon lui des tensions opérationnelles importantes.
Avec la disparition du statut, le délégué Sud-Rail a donc exhorté le ministre à agir sur la rémunération des agents, se montrant "clairement pas satisfait" par les "petites avancées" obtenues mercredi. A savoir, une revalorisation de 3,7% pour les petits revenus, et 2,2% pour les cadres, soit une médiane de 3,1% (70.000 salariés seront augmentés de plus de 3,1%, et 70.000 de moins). Un propos encore une fois appuyé par un autre syndicaliste : "Sachez que les cheminots sont très en colère. Le pouvoir d'achat est un sujet à part entière. Nous en souffrons tous. Il va falloir bouger là-dessus et pas qu'au niveau salarial, mais aussi sur les conditions de travail et les embauches. Ça se dégrade de plus en plus."
Face à ces discours, Clément Beaune a insisté sur la priorité donnée au ferroviaire : "Je voulais que ma première sortie soit à la SNCF et dans une gare d'abord parce qu'il y a les départs en vacances, puis qu'il y a une situation sociale compliquée, mais c'est surtout un message de soutien au ferroviaire. Je n'oppose pas les modes de transports, mais la Première ministre a dit elle-même dans son discours devant le Parlement : la mobilité propre, c'est le ferroviaire. C'est un signe de confiance très clair." Son premier rendez-vous, au lendemain de son arrivée, a d'ailleurs été avec Jean-Pierre Farandou, PDG du Groupe SNCF, et Christophe Fanichet.
Nouvelles négociations à l'automne
Clément Beaune a affirmé son intention de suivre de près le dialogue social, sans pour autant le court-circuiter. En dépit des revendications encore vives quant à une revalorisation salariale pour faire face à l'inflation, le ministre a affirmé que le dialogue social était bien mené : "Il y a eu des accords mercredi et il y aura les négociations annuelles dès l'automne pour la fin de l'année. Je ne vais pas régler ça maintenant et je ne vais pas vous mettre d'accord tout de suite, mais je pense que ces mesures étaient légitimes parce qu'il y a un vrai sujet de pouvoir d'achat. Je le dis publiquement ce matin."
"J'ai fait beaucoup de négociations, pas dans le secteur mais dans ma vie. J'aime ça, je le ferai autant que nécessaire mais à la bonne distance. C'est-à-dire, pas à la place des dirigeants de la SNCF ou des organisations syndicales", Clément Beaune, ministre délégué en charge des transports.
"Vous êtes quand même le patron de mon patron", a répondu avec amusement Fabien Villedieu avant de poser un nouveau comparatif, avec l'Allemagne cette fois : "En 2022, la Deutsche Bahn va embaucher 24.000 cheminots, nous si nous en faisons 4.000 (chiffre confirmé par Christophe Fanichet, NDLR), ce sera le grand maximum. Si nous voulons développer le ferroviaire, il faut faire comme l'Allemagne, qui est en train de prendre de l'avance sur la France.
Le syndicaliste a également vu dans l'obligation pour SNCF Voyageurs de reverser 60 % de ses bénéfices pour la régénération du réseau - également actée dans le cadre de la réforme de 2018 - une autre source de modération salariale. Il a au passage appuyé sur la différence de traitement avec Trenitalia, bénéficiant en tant que nouvel entrant de ristourne sur le prix des péages de la part de SNCF Réseau, et renvoyant l'intégralité de ses bénéfices (potentiels) en Italie.
Ce à quoi le ministre a répondu qu'il ne "sous-estimait pas les préoccupations suscitées par les questions d'ouverture à la concurrence. Il y aura un boom certain de l'usage du train, même s'il y a d'autres opérateurs. Nous allons bien regarder tout ça et leur mettre les mêmes contraintes."
Réinvestir dans le ferroviaire
Le ministre a d'ailleurs multiplié les déclarations sur l'importance de la SNCF au cœur du service public, s'en posant même comme le fier défenseur. De même, il a prôné le réinvestissement dans le réseau après une dégradation ces dernières années : "Nous avons pris du retard dans un certain nombre de domaine, sur les petites lignes, sur les infrastructures métropolitaines, sur le réseau... Il est vrai que nous avons parfois moins investi ces dernières années que nos voisins allemands et même italiens. Je suis convaincu par le réinvestissement dans le ferroviaire."
Si cette nécessité fait l'unanimité dans l'ensemble des parties prenantes du ferroviaire, Clément Beaune sera sans doute confronté à une bataille de chiffres dans les prochains mois. Il juge ainsi "très importants" les nouveaux investissements mis en œuvre, avec 2,9 milliards d'euros par an en moyenne prévu entre 2021 et 2030 selon le contrat de performances signé entre l'Etat et SNCF Réseau. Un montant qui a été jugé très insuffisant par nombre d'acteurs au cours des derniers, qu'il s'agisse du président de l'Autorité de régulation des transports (ART), Bernard Roman, ou des sénateurs Hervé Maurey (Union centriste) et Stéphane Sautarel (Les Républicains) dans leur rapport "Comment remettre la SNCF sur les rails ?".
Le ministre a conclu l'échange en donnant rendez-vous aux syndicats à la rentrée, où de nouvelles discussions doivent s'ouvrir avec la direction de la SNCF selon lui, sans préciser s'il faisait allusion aux négociations annuelles. Le reste de la visite s'est déroulée sans imprévu. Après avoir pris le micro pour réaliser une annonce aux voyageurs durant laquelle il a rappelé que le port du masque était vivement recommandé en gare et à bord des trains, le ministre a assisté à une démonstration de l'application de SNCF Connect, tant décriée à son lancement, puis du nouveau système d'étiquetage bagage basé sur un QR code et s'est enfin entretenu avec les agents de la Sureté générale (Suge) et d'une brigade cynophile.
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